La chair des vivants a-t-elle meilleur goût que celle des morts ?(8)

Penchons-nous aujourd’hui sur la symbolique du sang qui irrigue (c’est le cas de le dire) les films de zombies. En effet, après être parvenu à la conclusion que les morts-vivants se comportent à l’image de sangsues affamées de chairs gorgées d’hémoglobine (pas de sang caillé ou coagulé, por favor !), il convient maintenant de déterminer ce qui a prévalu dans le choix scénaristique de ce carburant. Chacun des thèmes évoqués au cours des semaines passées aurait ainsi tout aussi bien pu faire l’affaire (la peur, l’instinct grégaire, etc.).

Alors, pourquoi le sang ?


La version moderne du zombie traitée dans cette série d’articles (qui n’a que peu de liens avec les créatures similaires issues d’autres continents, ou même avec les morts-vivants haïtiens à la sauce vaudou qui ont eu le vent en poupe au cinéma dans les années 30/40) est née aux Etats-Unis d’Amérique dans les années 60. Le contexte de cette naissance ne saurait être neutre. L’époque déjà : celle de la guerre du Vietnam - avec ses macchabées sanguinolents en « prime time » chaque soir à la télévision – et des grandes famines en Afrique ou en Asie (cf. guerre du Biafra 1967-1970) - avec leurs légions d’êtres humains vêtus de loques, la démarche et le regard hagards -
elles aussi relayées à grands coups de reportages télévisés. Le pays ensuite : les U.S.A. où, à l’inverse de nos sociétés européennes au sein desquelles l’influence des églises tend régulièrement à diminuer, la tentation théocratique n’est jamais très éloignée. Il est de notoriété publique (qu’il suffise pour s’en convaincre d’analyser la majorité des films produits par l’industrie hollywoodienne) que la cosmogonie qui règne là-bas sans partage est essentiellement d’inspiration chrétienne. George Romero, bien qu’il ait réalisé un corpus d’œuvres fortement teinté d’athéisme, a néanmoins laissé filtrer dans ses films des éléments symboliques qui trouvent leur origine dans la vision du monde défendue par les chrétiens. On ne s’affranchit pas aussi aisément de cette tutelle bi-millénaire, qui continue d’imprégner bien des éléments de notre mode de pensée (y compris au niveau des valeurs défendues par les Lumières depuis le XVIIIème siècle).


Les enseignements de l’église catholique et de ses déclinaisons protestantes dépeignent le sang comme porteur de vie. Ceci va à l’encontre de ce qui a cours dans le judaïsme, par exemple : il est ainsi prescrit dans l’Ancien Testament de ne point se souiller de sang (les divers rituels qui entourent la préparation de la viande kasher découlent de ce commandement). Répandre ce précieux liquide est par conséquent en Occident un très fort symbole de violence et de domination. L’absorber revient à ingérer la force des animaux qu’il irriguait.


Une distinction était opérée sous l’Ancien Régime entre les nobles et les gueux condamnés à la peine capitale. Les premiers étaient décapités à la hache ou tués à l’arme blanche. L’écoulement de sang qui en résultait était on ne peut plus digne de leur rang. Ne les appelait-on d’ailleurs pas les sangs bleus ? (probablement afin de les différencier de la populace, dont le contenu des veines n’aurait su être autre qu’atrocement rouge).
Quant aux seconds, ces vils manants écumant les campagnes du royaume, ils étaient pour leur part pendus, brûlés ou étouffés. Il va sans dire qu’il s’agissait là, selon l’opinion générale, de morts hautement dégradantes.

Une séparation du même ordre existait entre le sexe fort, seul autorisé à tuer les gros mammifères (viandes rouges ou noires) et les femmes qui devaient se contenter des oiseaux et des animaux de basse-cour (viandes blanches). Au XIXème siècle encore, les hommes buvaient le sang des bœufs des abattoirs pour se revigorer. Les femmes, elles, ingurgitaient du bouillon de poulet…

C’est de ce terreau symbolique qu’est né l’appétit des morts-vivants pour la chair des « respirants ». Peut-être reviendrons-nous ultérieurement sur d’autres aspects de la religion chrétienne susceptibles d’expliquer le comportement des zombies (le corps et le sang du Christ absorbés lors de l’eucharistie, pour ne citer que cet exemple frappant).

La « grande bouffe » apocalyptique (autre concept éminemment chrétien que celui de l’Apocalypse…) poursuivra son petit bonhomme de chemin avec notre prochain article. Il y sera question des Etats-Unis d’Amérique, foyer d’origine de la propagation planétaire des hordes de zombies...

Commentaires

Bonsoir.

Pouvez-vous m’indiquer quelle est la source exacte de la dernière illustration (bourreau sur une échelle préparant la pendaison d’un condamné) ?
Merci d’avance.