Regard des furies (Le)

Auteur / Scénariste: 
Illustrateur / Dessinateur: 


Les humains ont essaimé la galaxie, par l’intermédiaire d’une race extraterrestre surnommée les Tritons, jaloux de leur monopole total du voyage interstellaire au point de détruire systématiquement tout vaisseau humain tentant d’en percer le secret. On dit même qu’ils auraient été jusqu’à éradiquer une planète entière.

C’est alors qu’une puissante compagnie multiplanétaire, l’HONYC, apprend qu’un vaisseau triton se serait échoué sur une planète bagne, Rhadamante. En violation des lois Chang imposant l’extermination des génètes, ou hommes génétiquement modifiés, l’HONYC décide alors de ressortir de son placard cryogénique son meilleur agent, Erèmos. Véritable catalogue ambulant de modifications et améliorations génétiques désormais illégales, ce dernier – plus conçu comme un surhomme que comme une machine à tuer – sera envoyé sur la planète bagne pour y découvrir le secret de la propulsion interstellaire, tandis que les Tritons font savoir à l’humanité qu’un compte à rebours est désormais amorcé, qui conduira à la destruction totale de l’humanité si leur vaisseau ne leur est pas restitué, accompagné de tous les humains ayant eu l’occasion de l’apercevoir.

A première vue, Le Regard des furies apparaît comme un roman de science-fiction de plus, développant des thèmes relativement classiques et finalement assez banals. C’est compter sans l’érudition de l’auteur, Javier Negrete, dont la connaissance des humanités et la précision du langage et des descriptions font de ce roman un must de la science-fiction.

Le titre à lui seul laisse entrevoir les thèmes cachés de ce roman, que la simple vue de la couverture et la lecture d’un résumé pourtant représentatif du roman ne permettent pas de soupçonner. Mégère, Alecto et Tisiphone, les Furies grecques, étaient en effet les ambassadrices vengeresses des défunts victimes d’un crime et apparaissaient pour exiger de leurs meurtriers le prix du sang… L’ensemble de ce roman est à l’avenant et développe – au travers d’un héros attachant et emblématique – des sujets de nature philosophique.

Rassurez-vous, quoique ce roman puisse apparaître comme difficile à lire de par la précision des termes employés, il n’est pas hermétique au point qu’il soit nécessaire d’avoir une connaissance approfondie des classiques de la pensée grecque pour le comprendre. Mais sous un roman efficace et énergique se dissimulent de véritables interrogations sur la nature humaine, portées par un génète dont la simple existence est hors la loi. Le nom même de ce héros, Erèmos – solitaire, désert, inculte – et sa spécialité – l’étude de l’éthique grecque, et plus exactement de la responsabilité morale – démontrent la complexité des problèmes qu’il tente de résoudre, tandis que sa nature même, ses créateurs l’ont voulu ainsi, les ignorent résolument.

Ce meurtrier efficace et froid, au regard perçu comme celui d’un dragon par ses interlocuteurs, dont les modifications génétiques ont été pensées pour le rendre redoutable dans toute interaction sociale comme le jeu ou la séduction, aurait pu se retrancher dans une froide observation du genre humain. Malgré ou peut être à cause de sa fonction, il a décidé d’employer son intelligence redoutable à la résolution d’une contradiction inhérente à l’homme, et tout particulièrement à lui même : comment s’assurer de faire le bien alors que le seul principe éthique naturellement inscrit dans les gènes est celui de la loi du plus fort ?

Vous l’aurez compris, ce roman est à mon sens – tant sur le fond que sur la forme – un de ceux qui balisent la science-fiction, un grand repère qui permet d’apprécier le genre à sa juste mesure, celle d’un simple champ d’écriture au sein duquel de réels talents peuvent s’exprimer. Pour moi, ce roman est en effet non seulement un très bon bouquin de SF, mais apparaît bien plus, toujours sur le fond, comme une grande leçon de philosophie appliquée – que seuls certains thèmes de la SF permettent d’aborder aisément, et que d’aucuns comme Asimov ont évoqué – ainsi que, sur la forme, comme un modèle d’écriture précise et dynamique, soutenue en l’occurrence par une traduction remarquable.

Je parlais de balise, mais en réalité ce bouquin m’apparaît comme un nouveau critère en SF. Je classe désormais les romans de SF en deux catégories, ceux qui sont dignes du Regard des furies et l’ensemble des autres.

Javier Negrete, Le Regard des furies, Couverture : Manchu, Traduction : Christopher Josse, 416 p., L’Atalante

Type: