Larmes du seigneur afghan (Les)

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On connait Pascale Bourgaux à travers ses reportages internationaux pour le JT de la RTBF. C’est un grand reporter qu’on retrouve aux quatre coins du monde, en pleins conflits, dans des lieux où la condition féminine n’est pas ce qu’elle est dans nos pays occidentaux. Un grain de folie doit subsister chez elle pour mettre sa vie en danger. Mais comme elle le dit si bien, il faut bien régler le thermomètre de la folie et de la peur pour s’y rendre. Son expérience, son intuition, sa connaissance de l’Afghanistan et de ses habitants l’ont aidée à estimer les risques de ce reportage adapté en bande dessinée.

 

Les larmes du seigneur afghan n’a rien d’une fiction. C’est un prolongement sous forme BD du vrai reportage que Pascale Bourgaux a réalisé en Afghanistan en 2010. Cette BD va plus loin que le documentaire du même nom et nous dévoile les coulisses du métier de grand reporter de guerre. Elle montre ce qui précède et suit les événements décrits dans le documentaire et révèle aussi les pensées, les craintes, les doutes que la journaliste et son caméraman ont éprouvés pendant ce reportage qui a duré un mois. On se rend compte que les images qui font notre quotidien télévisé ont été faites dans la crainte d’être emprisonné ou tué. Être un reporter occidental en Afghanistan, c’est attirer la méfiance sur soi. Les pro-talibans soupçonnent Pascale et son cameraman d’être des espions à la solde des Américains. C’est à la fois risible et navrant de découvrir des esprits aussi obtus, car la journaliste s’est rendue six fois en dix ans dans cette partie du monde.

Lors de ce reportage, qui au départ lui est déconseillé, Pascale et son cameraman Gary ont comme objectif de retourner dans le village de Mamour Hassan, dans le nord du pays. Si les retrouvailles restent chaleureuses, le climat, la tension ne sont pas au beau fixe. Les ennemis d’hier se sont lentement infiltrés dans la vie de tous les jours. Les décisions économiques et politiques sont fortement influencées par les aspects religieux. Le village de Mamour Hassan semble être un îlot de quiétude dans un monde d’incertitude et de chaos économique. Les personnes autour du seigneur afghan doutent, alors que lui reste profondément anti-taliban depuis plusieurs décennies. Pour pouvoir faire son reportage dans de bonnes conditions, Pascale doit se plier aux us et coutumes locaux. Par moment, la burqa est de rigueur et son cameraman doit se faire passer pour sourd et muet.

Pascale découvre qu’un des fils de Mamour Hassan est pro-taliban, et elle croit tenir le sujet principal de son reportage. Elle va donc tenter d’avoir des interviews avec celui-ci, mais aussi avec des personnes influentes ou impliquées dans la vie sociale et culturelle de la région. Sa démarche est plus risquée que par le passé, car les mentalités ont évolué. Jusqu’au moment du départ, il pèse une menace sur sa vie et celle de son cameraman. Ce n’est que de retour dans un camp de l’OTAN qu’ils se retrouvent à l’abri. Ils découvrent que des soldats allemands en mission pour l’OTAN on fait une bavure en tuant des alliés afghans. C’est un scoop que Pascale veut exploiter, mais la nouvelle n’a pas l’effet escompté sur les médias. Finalement, Pascale et Gary reviennent en Belgique pour monter le reportage. C’est l’occasion de terminer la BD en faisant un résumé de la situation économique et politique de l’Afghanistan.

Lorsqu’on referme le livre, on devine une certaine amertume chez Pascale Bourgaux. La présence occidentale - l’OTAN, les ONG - n’ont apporté qu’une paix relative dans cette partie du monde et le départ des forces militaires est tout proche. La menace du retour des talibans est toujours présente et le futur du pays reste incertain. L’aide financière semble s’être diluée dans les poches des hauts dignitaires : les personnes qui avaient le plus besoin de cette aide se demandent toujours où elle est passée. Le pays semble miné par la corruption. Les bakchichs sont monnaie courante. C’est le fléau principal du pays. La sécurité des journalistes occidentaux passe par des gardes personnels.

D’une certaine manière, Pascale Bourgaux nous rappelle qu’il y a des peuples qui ont besoin d’aide pour ne pas basculer vers le chaos. L’Afghanistan a le malheur d’être situé dans une région du monde relativement instable. Son relief montagneux, l’Hindou-Kouch, ne le rend pas facile d’accès. Le pays possède des ressources naturelles importantes, mais pour les exploiter, la situation économique et politique devrait être plus stable, ce qui inciterait les compagnies étrangères à s’y installer pour exploiter ses ressources. En attendant, l’Afghanistan est redevenu un des principaux producteurs d’opium dans le monde.

Ce qui surprend en rencontrant Pascal Bourgaux lors de la présentation de la BD chez Filigranes (interviewée par Sophie Baudry), c’est la joie de vivre qui l’anime, le sourire toujours présent, le regard qui pétille, un humour omniprésent et une certaine autodérision, comme si la jeune femme se ressourçait. On est à la fois heureux et content de la voir défendre le fruit de son travail sous une forme qui était inattendue pour elle. Car la bande dessinée n’est pas un livre de souvenirs de guerre ni une succession de reportages qui ont permis au fils des années d’accumuler assez de matière pour nous faire découvrir qu’à l’autre bout du monde il y a aussi des joies, des peines, des incertitudes, des drames qui parsèment la vie d’êtres humains, qui gardent l’espoir d’être un jour aidés et heureux.

 

Si Pascale arbore un large sourire lorsqu’on lui pose des questions, on ne peut s’empêcher de constater que dans ses réponses, dans le ton de sa voix, il y a un soupçon de nostalgie qui révèle qu’elle a envie de retourner en Afghanistan. Aujourd’hui, partagée entre la RTBF, France24 et TV5 Monde, elle continue son travail de journaliste. On peut être fier, car c’est vraiment un grand reporter !

Au-delà de découper l’histoire sous forme de pages, de strips, et de vignettes plus accessibles aux lecteurs, c’est aussi une autre façon de présenter les événements. Pascale doit se dévoiler beaucoup plus que dans les reportages télévisuels. Ses pensées, ses craintes, ses doutes, ses émotions ajoutent une touche personnelle à cette bande dessinée. De grand reporter, elle se retrouve soudain autobiographe et scénariste, en plus d’être le personnage principal d’une BD. Et le résultat est à la hauteur de la tâche qu’elle s’est fixée, car la BD est rythmée, bien structurée, les scènes sont fluides, et le lecteur (que je suis) a de l’empathie pour cette femme qui ose prendre des risques.

Bande dessinée et documentaire, vrai reportage dessiné. C’est une façon plus pratique de faire connaitre un sujet particulier dont on veut faire prendre conscience aux lecteurs. C’est très réussi pour cette BD de 80 pages. Elle donne évidemment envie de voir le documentaire du même nom. Reste un petit défaut que l’éditeur pourrait facilement corriger lors d’un prochain tirage. C’est d’ajouter au bas des pages la traduction de toutes les phrases en pachtoun. En dehors de ce petit détail, voilà une nouvelle façon d’aborder le reportage qui devrait plaire. Suffisamment autobiographique pour que cela passe pour une aventure et suffisamment détaillée pour comprendre que c’est du vécu.

C’est donc sa passion de journaliste, l’envie de découvrir et de raconter ce qui se passe à l’autre du monde qui fait que Pascale Bourgaux nous ramène des reportages internationaux et participe à l’élaboration d’une bande dessinée telle que Les larmes du seigneur afghan. Le livre est sorti dans la collection « Aire libre » chez Dupuis. C’est le fruit d’une collaboration entre le dessinateur Thomas Campi, le scénariste Vincent Zabus et Pascale Bourgaux.

À lire, à découvrir, à suivre, car Pascale Bourgaux n’en restera pas là et proposera à l’avenir une BD sur ses périples iraniens.

 

Les larmes du seigneur afghan, Pascale Bourgaux & Thomas Campi & Vincent Zabus, 80 pages, 2014, Aire libre

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