Morte Saison

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Cette réédition du premier ouvrage de Jack Ketchum (alias Dallas Mayr), originellement paru aux Etats-Unis en 1980, permet à l’auteur-phare du mouvement « splatterpunk » de réviser un texte qui avait dû subir, à l’époque, les foudres de la censure de son éditeur. De menus changements ponctuent ainsi les pages de ce roman, lui redonnant toute sa violence première. Une fin différente vient pour sa part radicalement modifier l’atmosphère sur laquelle se clôt le livre, qui acquiert du coup une touche bien plus sombre, bien plus désespérée…

Il faut dire que le récit, extrêmement brut et sans concessions, d’une violence sauvage mêlée de scènes relevant de la pornographie la plus crue, s’intègre parfaitement à la vague de films dérangeants qui inonda les écrans américains au cours des années 70. Toute une série de long-métrages qui nous dépeignait le retour à la nature - voire « l’ensauvagement » - d’être humains régressant à l’état de bêtes non domestiquées, dénuées de sens moral, avides de tueries sanguinolentes. On pense bien évidemment à « Délivrance » de John Boorman (1972) - mais aussi à « Massacre à la Tronçonneuse » de Tobe Hooper (1974) et à la « La Colline a des Yeux » de Wes Craven (1977).

Le récit se déroule dans l’Etat rural du Maine (qui se trouve également être celui où officie le plus célèbre auteur de la littérature de terreur, i.e. Stephen King), dans le nord-est des U.S.A. Un groupe de touristes vient passer quelques jours loin de New York dans une maison à l’écart de la civilisation, louée par une certaine Carla. Sur le point de boucler un livre qu’elle peaufine depuis quelques temps, Carla ressent en effet le besoin de s’isoler, de se ressourcer. Son petit-ami, James, un acteur plutôt vain, est du voyage. Nick, son « ex » avec lequel elle est néanmoins restée en bons termes, est également de cette virée, flanqué de sa compagne du moment, Laura, jolie mais pas très futée. Marjie, la sœur de Carla, réservée et peu confiante en ses capacités, complète cette brochette de citadins venus prendre un bon bain relaxant de nature, avec Dan, son ami.

Mais la nature véritable diffère sensiblement de l’image romantique qu’on peut s’en faire en milieu urbain. Une famille de dégénérés (hommes, femmes, enfants), vivant ignorés de tous dans une grotte du bord de l’océan, tapis dans la forêt qu’ils utilisent comme terrain de chasse, ne tarde pas à s’en prendre à la petite communauté new-yorkaise. Pour croquer à pleines dents dans leur chair ! Il s’agit en effet d’un groupe d’anthropophages, amateurs de ragoûts à base de quartiers de viande découpés à même leurs semblables – dont l’altérité, pour le coup, gagne soudainement en intensité.

Après un début plutôt tranquille, la violence frappe le douillet quotidien des occupants de cette maison comme une douche froide : James se fait égorger d’emblée, Carla se transforme bien contre son gré en rôti géant, dévorée à quelques dizaines de mètres à peine de l’endroit où se terre sa sœur, Dan et Nick s’improvisent commandos, décidés à vendre chèrement leur peau… Bref, la folie et l’horreur s’emparent du lieu et plus rien ne sera jamais comme avant.

Pendant ce temps, les forces de police soupçonnent que des événements répréhensibles se déroulent sur le territoire dont elles ont la responsabilité. Une escouade est rassemblée à la hâte, afin d’aller battre la forêt environnante. Arrivera-t-elle à temps pour mettre fin au carnage ? Sera-t-elle de taille pour lutter contre la sauvagerie déployée par ce groupe de tueurs tout droit sortis de l’âge de pierre ?

Ce livre agit comme un coup de poing. Ketchum va droit à l’essentiel, il ne s’embarrasse pas de mots en trop. Ses personnages ne sont pas pour autant interchangeables, ils ont chacun une personnalité qui leur est propre. Leur disparition ne laisse pas indifférent. D’autant plus que Ketchum s’amuse à brouiller les pistes, à placer le lecteur dans un siège éjectable : quand nous croyons que Carla tient le rôle central du récit, elle se fait éventrer sans tarder ; quand Dan apparaît comme le bon « soldat » capable de tirer ses amis de ce guêpier, il se fait aussitôt capturer par la famille de cannibales… Le sol se dérobe en permanence sous nos pieds et la seule certitude qui nous reste, c’est que tout peut arriver dans ce récit - et surtout le pire.

Un livre à recommander aux estomacs bien accrochés, donc. Mais un livre fort, percutant, qui mérite sans aucun doute de figurer sur les rayonnages de toute bibliothèque qui se respecte. L’homme est un loup pour l’homme, disait Hobbes. « Morte Saison » en est l’illustration.

Jack Ketchum, Morte Saison, traduit de l’anglais par Benoît Domis, illustré par Stephane JAEGLE 281 p., Bragelonne

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