HAUSMAN René 01

Illustrateur / Dessinateur: 


Né en 1936 à Verviers, René Hausman est assurément l’un de nos plus grands dessinateurs animaliers, et un représentant majeur de ce que, pour faire bref, on pourrait nommer un fantastique terrien, fait d’enracinement dans les légendes et d’un contact permanent avec les pulsions premières de l’être humain. C’est en 1957 que René Hausman entre au journal Spirou avec la bande dessinée « Saki et Zunie », avant de se tourner vers l’illustration d’ouvrages ayant les animaux pour thème, et de multiplier ses activités graphiques. En 1978, il revient à la BD via le Trombone illustré (Supplément à Spirou) et le magazine Fluide glacial. En 1984, il anime dans Spirou « Le grand Fabulaire du petit peuple », sur scénario de Pierre Dubois, avec qui il crée ensuite le personnage de Laïyna, pour deux superbes albums : « La Forteresse de pierre » et « Le Crépuscule des elfes ». Depuis, sa collaboration avec Yann a donné un autre album capital, « Les Troix cheveux blancs », dont la suite paraîtra bientôt.

Alain Dartevelle : Votre maîtrise du dessin et de l’aquarelle est époustouflante. Outre les années de pratique, ce niveau de qualité résulte-t-il d’une formation particulière ?

René HAUSMAN : Pas du tout. Je suis ce qu’on appelle un autodidacte. Encore qu’on apprenne toujours, d’une façon ou d’une autre. Disons que je n’ai pas suivi la filière classique, et que mon parcours a plutôt été anarchique. Très jeune, j’ai ressenti une grande passion pour les animaux, ce qui m’a poussé à vouloir les dessiner. C’est ainsi que tout a débuté.

A.D. : Si vous n’avez pas fréquenté telle ou telle école, votre dessin, qu’on peut grosso modo qualifier de réaliste – un réalisme lyrique, risquerais-je – n’intègre-t-il les leçons que vous avez tirées des travaux de prédécesseurs ?

R.H. : Il est certain que j’ai des maîtres. Au sommet, je place Calvo, dont on a récemment réédité « La Guerre des Animaux ». Et quand j’étais petit, je me suis nourri à deux sources d’inspiration qui, en général, ne sont pas des dessinateurs belges. C’est d’un courant de la bande dessinée française assez méconnu, mais qui a trouvé son moment de gloire dans les pages d’un hebdomadaire pour filles, « La Semaine de Suzette ». J’avais la chance d’avoir des cousines un peu plus âgées qui me refilaient ces magazines, et je découvrais ainsi les dessins de gens comme Pinchon, Le Rallic, René Giffey. Il y avait aussi cette merveille de dessinateur que peu connaissent, et qui s’appelle Jobbé-Duval. Lequel était surtout dessinateur, mais a quand même fait un peu de bande dessinée dans « Les Belles Images », un autre hebdomadaire français du tournant des années trente. Ma seconde grande influence, elle, c’est l’âge d’or de la BD américaine : Hogarth, Lee Falk, Harold Foster, Alex Raymond, etc. Je me suis également pris de passion, via le journal « Bravo », pour la reprise de Flash Gordon par Jacobs, ainsi que pour « Le Rayon X, » qu’il a réalisé dans la même lignée. Cela se passait pendant la Deuxième Guerre mondiale, alors que les BD américaines ne parvenaient plus en Europe.

A.D. : C’est tout cela qui vous a donné l’envie de faire de la BD ?

R.H. : Tout cela me plaisait bien, m’attirait, mais en réalité, je me destinais plus à un genre de travail apparenté à ces chromos qu’on trouvait avant-guerre dans les bâtons de chocolat. Des chromos aux sujets animaliers, en particulier. Je possède d’ailleurs encore plein de ce type d’images. D’une manière générale, j’ai toujours adoré les livres d’images.


A.D. : Et ce n’est qu’en 1957 que vous êtes venu à la BD, avec vos premiers personnages, Saki et Zunie…

R.H. : Je n’en ai pas fait beaucoup. J’avais à l’époque un manque de métier absolu en BD. C’étaient des personnages que j’avais conçus alors que je faisais mon service militaire. Ils ont eu l’heur de plaire à Yvan Delporte, rédacteur en chef de « Spirou »à l’époque. C’est d’ailleurs Yvan Delporte qui a retravaillé de fond en comble ma petite idée de scénario. Mais après cette expérience, je me suis vite tourné vers l’illustration.

A.D. : Avant d’aller plus loin, je dois vous demander d’où vient votre propension au fantastique et à la fantasy, dont est empreinte une bonne partie de votre œuvre.

R.H. : Je n’ai jamais été un grand lecteur. Néanmoins, j’ai beaucoup aimé des auteurs comme Théodore Sturgeon, Ray Bradbury, ou encore Richard Matheson… J’aimais bien Barjavel, également. Je ne comprends pas qu’on n’ait jamais tiré un film d’un livre comme « Ravages », d’ailleurs.

A.D. : Et un auteur comme Tolkien ?

R.H. : Vous m’excuserez, mais je dois bien dire que Tolkien, ça me tombe des mains. Je n’ai même pas entrepris « Le Seigneur des Anneaux ». J’ai essayé de lire « Bilbo", sans grand succès.

A.D. : Si je comprends bien, vos admirations littéraires relèvent de la S-F, et sont donc assez éloignées de votre propre univers, où vous utilisez les archétypes du fantastique et de la fantasy, ou encore des légendes du terroir, pour les réaménager à votre manière…

R.H. : C’est exact. Je suis attiré par les centaures, les sirènes, les fées, les lutins, tout un petit monde de légendes. Je suis également passionné par ce curieux homme sauvage qui apparaît sur certains blasons du Moyen-Age, et qui aurait bien pu être une espèce de Yéti de chez nous : un être velu, à peu près nu et armé d’une massue. Un personnage proche de l’homme-singe qui apparaît dans « Laïyna » : celui qui la recueille, la protège et la sauve à diverses reprises.


A.D. : La série « Laïyna », qui date de 1987. Soit trente ans après « Saki et Zunie »… Qu’avez-vous fait entre-temps ?

R.H. : Oh, vous savez, entre les deux, j’ai quand même fait quelques interventions en BD, dont des port-folios. Mais surtout, je me suis multiplié : j’ai fait beaucoup d’illustrations, d’affiches, des timbres-poste, des illustrations diverses, des étiquettes, des enseignes et des décorations de restaurants. Sans oublier mes expositions d’aquarelles…

A.D. : Votre activité dépasse donc largement la création de bandes dessinées. On pourrait peut-être parler d’un métier de faiseur d’images…

R.H. : Exactement. C’est une dénomination qui me plaît vraiment beaucoup.

A.D. : Pour en revenir à « Laïyna », série créée sur scénario de Pierre Dubois, comment les choses se sont-elles faites ?

R.H. : Je connaissais Pierre depuis longtemps, et nous avions le désir de réaliser quelque chose ensemble. Nous n’avons d’ailleurs pas fait que les deux épisodes de « Laïyna », j’ai également illustré son « Fabulaire du petit peuple », paru dans « Spirou ». C’était un répertoire des gnomes, lutins, elfes, etc.

A.D. : Avez-vous respecté de A à Z le scénario de Pierre Dubois pour « Laïyna », ou y a-t-il eu interaction ?

R.H. : Auparavant, avec Delporte pour « Saki et Zunie », je m’étais borné à suivre le scénario à la lettre, ou presque. Dubois, quant à lui, m’a fourni une nouvelle, en fait, que j’ai moi-même complètement découpée et mise en scène. Dans le cas de l’album « Les Trois cheveux blancs » par contre, Yann m’a fourni un canevas très précis. Cela dit, j’ai été pour une bonne part dans la recherche de la documentation, et dans l’onomastique. Les noms employés sont de vrais noms lituaniens. J’avais vraiment l’envie de situer une histoire dans un pays slave, ou à tout le moins de l’Est. Vous remarquez que lorsque le scribe qui raconte l’histoire sort son livre de chroniques, l’écriture est en gothique. Ce ne sont pas des caractères de fantaisie, mais véritablement du gothique. Cela à titre d’exemple. Je travaille actuellement à un deuxième album avec Yann, et je prends davantage de liberté, en plein accord avec lui.

A.D. : Dans les deux albums de « Laïyna », il y avait déjà quelque chose d’assez prenant : ce côté primaire, dans le bon sens du terme, des êtres et des choses. Une présentation des sentiments à l’état brut. Dans « Les trois cheveux blancs », c’est beaucoup plus violent encore, avec des situations crues, qui pourraient choquer certains lecteurs. Cela est-il votre apport à l’histoire ?

R.H. : Cela correspond à Yann autant qu’à moi-même. J’aime assez insuffler de la perversion dans mes histoires. Est-ce que cela choque ? Peut-être, encore que de telles histoires tiennent de l’exercice de style. C’est une perversité qui transparaîtra également dans notre nouvel album commun pour la Collection Aire Libre de Dupuis, même si les personnages et l’époque en sont différents. Cet album s’appellera « Le Prince des Écureuils », et contera une sombre histoire de transmutation d’un animal en homme, le tout empreint de malheur, de sang, et de sadisme aussi, dans la mesure où il s’agit de la vengeance d’un ex-écureuil envers ses congénères…


A.D. : Par ailleurs, je me suis laissé dire que « Saki et Zunie » viennent de connaître une seconde jeunesse…

R.H. : C’est exact. Un album a paru chez Noir Dessin Production, qui regroupe des gags en une ou deux planches, scénarisés par mon fils cadet. Comme nous sommes tous deux amateurs de cinéma, nous avons donné à chaque petite histoire le nom d’un film plus ou moins connu. Saki interviendra aussi, à titre de faire-valoir. Quant au graphisme, il a considérablement évolué depuis la fin des années cinquante. Zunie, que j’avais déjà fait renaître dans les pages du Trombone illustré, est devenue plus en chair, et plus adulte également. C’est également plus coquin. Michel Elsdorf, l’éditeur, a d’ailleurs prévu un tirage de tête strictement réservé aux adultes !

A.D. : À ce stade-ci de votre création, êtes-vous entièrement satisfait ? N’avez-vous pas quelque regret ?

R.H. : Pour tout dire, je regrette un peu d’avoir abandonné Laïyna. J’éprouve beaucoup d’attachement pour cette héroïne. Peut-être que Pierre Dubois et moi-même avons-nous eu tort de concentrer l’histoire en deux albums…

A.D. : Et cependant, à la fin du deuxième tome, Laïyna et sa petite troupe atteignent une nouvelle contrée où tout pourrait recommencer. Il ne serait donc pas inconcevable de ressusciter Laïyna…

R.H. : Ce n’est finalement pas impossible, en effet. Mais seul l’avenir nous le dira !

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