CHENU Lucie 01

Auteur / Scénariste: 

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Alors… cette première question, je l’ai gardée pour la fin ; je ne sais jamais trop quoi raconter (rires). J’ai suivi un parcours assez chaotique : les Beaux-Arts du Havre, puis j’ai repris des études scientifiques, pour finir par un doctorat de génétique microbienne, à Toulouse. Le titre de ma thèse était : « Rôle de la Protéine de Liaison à la Pénicilline 3 dans la résistance aux beta-lactamines de Streptococcus pneumoniae ». Quelque chose comme ça (rires).

Entre deux, mon compagnon, qui m’avait suivie en région toulousaine, s’était lancé dans l’élevage de chevaux, et nous avions eu un premier enfant. Après ma thèse, j’ai arrêté la recherche. Je suis donc maintenant éleveuse de chats-chiens-chevaux-Chenu, seuls les chevaux sont élevés à titre professionnel (rires).

Cette anthologie est plutôt sombre sur un sujet qui, à priori, porte plutôt à la joie. Certains textes sont même un peu terrifiants. Comment as-tu procédé au choix ?

J’ai d’abord choisi des « parents », des auteurs que j’admire. Dès le début, j’ai rêvé cette anthologie avec quelques-uns de mes écrivains favoris dont je savais, sans l’ombre d’un doute, que leur sensibilité s’accorderait au thème, soit parce qu’ils l’avaient déjà abordé, comme Joëlle Wintrebert, Nathalie Dau, Pierre Bordage, Martin Winckler ou Amin Maalouf, soit parce que dans leur œuvre, on rencontre les émotions qui, pour moi, sont au cœur-même de l’idée d’enfantement, comme Léo Lamarche, Francis Berthelot, Mélanie Fazi ou Lélio. Ensuite, il y en avait d’autres dont je ne savais pas s’ils allaient être inspirés par le thème, et dont j’ai découvert à ma grande joie que, oui, et comment ! Et puis il y a trois nouvelles que je connaissais ou que j’ai découvertes à l’occasion de cette anthologie, celles d’Alain le Bussy, de Jean-Pierre Fontana et de Pierre-Alexandre Sicart, et qui s’accordaient pile-poil avec ce que je voulais présenter : elles trouvaient leur place dans l’ensemble comme les pièces d’un puzzle !

Mais pour en revenir à la peur, elle est inhérente à l’idée de naissance. Naître est un moment effrayant, un traumatisme. Les femmes sont longtemps mortes en couches, beaucoup de bébés aussi – c’est encore le cas hors de notre Occident protégé – et la souffrance accompagne l’enfantement, même si la médecine sait maintenant la tenir à l’écart. Alors certes, l’arrivée d’un bébé voulu, désiré, est synonyme de joie, de bonheur, mais en constituant ce recueil, je me suis vite rendue compte que l’époque où l’on écrivait des nouvelles amusantes sur un fœtus télépathe qui oblige sa mère à lire des traités de physique et à boire du lait (« Un accouchement pas comme les autres », de Damon Knight) est révolue. Dans les années 50, on pouvait fantasmer sur les potentialités qu’offrait la science. À l’heure actuelle, on a appliqué à la naissance, humaine ou animale, un grand nombre de technologies (FIV, DPI, clonage, etc.) et on découvre le revers de la médaille, l’éthique à laquelle on avait omis de réfléchir. Et cela est effrayant. Il était donc tout naturel que les auteurs de fantastique et de science-fiction, qui sont toujours un peu visionnaires, se tournent vers ces thématiques, et en particulier sur celle du choix, choix de refuser, choix d’enfanter. Ce qui donne des textes exigeants, parfois terrifiants.

Mais on trouve aussi, dans (Pro)Créations, des nouvelles drôles et tendres. Des nouvelles qui expriment le bonheur, la vie…

Est-ce important, selon toi, d’être mère pour appréhender à fond cet ouvrage ?

Non, absolument pas ! Ni mère, ni père. Nous sommes tous nés, nous avons donc tous une expérience de la naissance du point de vue du bébé… et puis, il n’est nul besoin d’ « avoir été un des personnages » pour apprécier un livre. Sinon, personne n’aimerait lire des histoires de vampires (rires). À vrai dire, j’aurais même tendance à déconseiller (Pro)Créations aux femmes enceintes et aux futurs papas… parce qu’en effet, comme tu le dis, certains textes sont terrifiants, et que quand on construit une famille, on n’a pas forcément besoin de ça. Par contre, après, quand on s’est remis(e), là c’est une bonne catharsis J
Par contre, je reconnais que le fait que je sois mère a joué un rôle dans mon désir de réaliser cette anthologie, sur ce thème précis. Mais pas seulement. Assister à la naissance de poulains, s’intéresser à la génétique et à la psychanalyse, tout ça y a contribué.

Avec cela, que pourrait dire la mère que tu es à la non-mère que je suis ?

Je te souhaite une bonne lecture !

La nouvelle avec les chevaux, un cadeau, une attention ou un coup de cœur…

Un peu des trois, je crois… Un cadeau et une attention de la part de Jean Millemann, un coup de cœur de ma part… une de ces fusions spirituelles comme il s’en produit entre un auteur et un anthologiste. Mais c’est aussi un texte qui traite de la mort, et il faut se souvenir que le cheval était, pour les Celtes, un animal psychopompe, un passeur d’âmes ; sa présence n’est donc absolument pas anodine.

Chacune des nouvelles est bien sûr déjà un choix mais y en a-t-il une en particulier qui a touché la chair de la mère ou le cœur de la femme ? Une qui a résonné différemment ?

Chacune d’entre elle a résonné différemment des autres, chacune m’a touchée particulièrement, aussi, il m’est bien difficile de répondre. Dans les nouvelles de Carole Boudebesse, de Sylvie Miller ou de Jean-Michel Calvez, je retrouve des moments heureux ou angoissants que j’ai pu vivre en tant que mère ; celle de Jess Kaan est consolante, au contraire. Patrick Eris, lui, m’a fait revivre l’époque où je faisais de la recherche ; chez Estelle Valls de Gomis et Lionel Davoust, ce sont les affres de la création artistique que j’ai retrouvées… En fait, pour des raisons tout à fait différentes, je suis amoureuse de chacun de ces textes, nouvelles ou romans dont j’ai choisis – à grand mal, parce que je ne voulais pas risquer de faire un spoiler – un extrait.

Être anthologiste, c’est un choix ?

Une passion ! Une vocation, un apostolat. Finalement, c’est un bagne, mais on en redemande (rires).

Au départ, j’aime lire des anthologies, surtout des anthologies thématiques. J’aime les nouvelles, plus percutantes que les romans (j’aime aussi les romans et même les sagas, seulement, c’est un autre plaisir). J’adore cette possibilité qui m’est offerte de découvrir de nouveaux auteurs grâce aux anthologies ! Et une anthologie thématique offre la possibilité d’explorer de multiples facettes d’un thème, grâce à des points de vue parfois opposés, des styles littéraires différents… Je trouve ça passionnant. Donc quand j’ai commencé à me rendre compte que le thème de la Naissance et de l’Enfantement (je fais une différence entre les deux) m’obsédait, que je le retrouvais partout, tant dans mes écrits que dans mes lectures, j’ai commencé à imaginer quels auteurs j’aimerais réunir autour de cette thématique… Et voilà !

Quelles sont les principales différences entre ces deux rôles ?

Être anthologiste est, à un moment, un travail d’équipe, écrire reste une activité solitaire, le plus souvent.

Je crois qu’on peut comparer l’anthologiste à un metteur en scène et l’auteur de l’anthologie à un comédien qui écrirait son propre rôle, d’après quelques indications données par l’anthologiste. En revanche, l’anthologiste a à orchestrer un ensemble complexe, parfois même disparate, sans que les différents acteurs/auteurs de la pièce se rencontrent jamais entre eux.

Vis-tu de la plume ?

Houlà non ! Malheureusement (rires).

Écrire un roman, cela représente quoi pour toi, mieux connue dans le monde de la nouvelle ?

Un challenge. Un pari, un gant jeté que je ramasserai peut-être un jour. Mais j’aime écrire des nouvelles, et des articles aussi – cela vient peut-être de mes études scientifiques. En ce moment, j’écris plus d’articles que de nouvelles, d’ailleurs. Mais le retour à la fiction commence à me démanger.

A part l’écriture et la littérature, quelles sont tes autres passions ?

Les chats-chiens-chevaux-Chenu. Surtout les Chenu (rires). Les autres, les gens. Je tiens l’amitié en très haute estime.

Sinon, la musique. Le cinéma. Les BD. Certaines séries TV.

Et j’aime faire du modelage, qui m’apaise, me détend, contrairement à l’écriture, qui m’éveille, qui m’excite, me fait jouer à saute-moutons dans ma tête avec des idées de plus en plus nombreuses. Avec l’argile, je laisse mes mains faire, et je regarde le résultat à la fin.

Quel est, selon toi, le rôle de l’auteur dans notre société ?

Est-ce que l’auteur a un rôle particulier, différent de celui de n’importe quel autre citoyen ? Je ne sais pas. Je peux te dire ce qu’à mon avis il n’est pas. Il n’est pas, et n’a pas à être un gourou. Il n’est pas un guide. Mais, parce qu’il s’exprime par des mots, et qu’on peut supposer qu’il lit beaucoup, il peut être un acteur important d’une réflexion collective. Parce que la lecture est, pour chacun, un formidable outil d’apprentissage, de développement de soi.

L’auteur de SF (au sens large, y compris fantasy et fantastique) peut avoir, s’il le désire, un rôle supplémentaire. Parce que la littérature de SF est, par essence, une littérature métaphorique. Parce qu’on peut exprimer au travers de la SF des craintes, des appréhensions, des désirs, d’une façon bien plus forte que par la littérature générale. La métaphore et la parabole parlent à notre inconscient et, si quelque chose en nous est réceptif, on acquiert une connaissance plus profonde d’un état de fait.

Qu’est-ce qui t’attire dans le fantastique ?

Le surnaturel. Ce qu’on m’affirme ne pas exister, alors que je sais bien, moi, qu’il y a un ailleurs, un autre chose que ce que la civilisation occidentale veut bien nous accorder. Et puis les émotions, aussi, qui ne sont pas masquées sous un vernis de civilité. On a peur, on aime, on hait, on rit, sans hypocrisie.

De quels auteurs revendiques-tu l’influence ?

Par définition, si je suis sous influence, je ne le sais pas (rires).

Il y a des auteurs que j’admire, avec qui je me sens une parenté, dont j’ai lu et relu les ouvrages durant mon adolescence : Farmer, Zelazny, Asimov, Tolkien, Sturgeon, Bradley… Je pense que, comme tout apport intellectuel et émotionnel reçu durant ma jeunesse, leurs œuvres ont joué un rôle sur l’élaboration de ma personnalité. Mais pas plus que mes parents, mes amis, mes profs ou les événements marquants de cette époque !

Par ailleurs, il y a des écrivains que j’ai découverts plus récemment, que j’admire, qui m’ont, en quelque sort, ouvert l’esprit. Outre ceux que je viens de citer et les vingt-deux auteurs de (Pro)Créations, il y a Robin Hobb, Léa Silhol, Michel Pagel, Philippe Ward, Malika Mokeddem, Jean-Louis Fetjaine, et quelques autres dont j’ai dévoré tous les livres, mais aussi des auteurs comme Khalil Gibran, Chaïm Potok, Henri Gougaud, Marek Halter, Daniel Pennac, Gilbert Sinoué, dont je ne connais pas forcément tous les ouvrages, mais qui m’ont apporté un plus, un je-ne-sais-quoi qui m’a permis d’évoluer, de me construire.

Mais je suis sûre que j’en oublie, c’est terrible !

En fait, je crois que l’influence que je revendique (et après un long détour, je vais enfin répondre à ta question), c’est la variété. La différence, l’altérité.

Ceci dit, si tu veux parler de l’influence littéraire, de celle qui fait évoluer le style, il en est une, qu’on reçoit d’Untel pour la transmettre à un tiers. C’est l’expérience qu’on acquiert lors d’un travail en commun autour d’un thème, de l’écriture collective, de la beta-lecture ou de la correction. J’ai beaucoup appris en travaillant sur les textes que je recevais pour Horrifique ou Univers & Chimères, en réécrivant des Puat ou en découvrant ce que d’autres auteurs avaient créé à partir de mes idées, en faisant relire mes textes par d’autres, auteurs ou éditeurs, qui prenaient le temps – et je suis bien placée pour savoir qu’on ne l’a pas toujours, ce temps ! – d’expliquer ce qui n’allait pas…

Ton livre SF préféré ?

La saga de Ténébreuse de Marion Zimmer Bradley, et tout particulièrement La Maison des Amazones. J’ai tellement souvent lu ce livre que je le connais par cœur, défauts inclus. Quand je le relis, ça n’est pas pour l’histoire dont je me souviens trop bien, mais pour les personnages, que je retrouve avec un grand bonheur, comme des amis que je n’aurais pas vus depuis longtemps. J’ai d’ailleurs écrit une fan-fiction inspirée de la Trilogie des Amazones (« Retour à Gaïm’Hya », Faeries n°9).

Et puis quand-même, en fantasy, Les Dames du Lac, de la même MZB, et Tolkien ! Le Seigneur des Anneaux, mais aussi et surtout Le Silmarillion.

Ça, ce sont les livres qui m’ont marquée il y a longtemps, qui sont devenus une partie de moi. Je ne sais pas comment je les percevrais si je les découvrais maintenant, alors que je suis devenue une lectrice beaucoup plus exigeante. Aussi, même si je dépasse le « un livre préféré » (et comment faire autrement ?), je dois citer les deux auteurs de fantasy qui m’ont le plus marquée ces dernières années, roman après roman, nouvelle après nouvelle : Robin Hobb et Léa Silhol. Je ne me suis pas encore remise du dernier roman de Léa Silhol, La Glace et la Nuit, qui vient de paraître aux Moutons Électriques. C’est un pur chef-d’œuvre.
Et en fantastique, je garde un gros faible pour Lestat le vampire, d’Anne Rice.

Ton livre hors SF préféré ?

Les Arsène Lupin, de Maurice Leblanc. Là encore, il s’agit d’un ami d’enfance, d’un amoureux secret… Le fait d’avoir grandi dans le Pays de Caux et de connaître les lieux parcourus par Lupin contribue grandement à ma jubilation de lectrice. Mais au-delà de ça, Maurice Leblanc est un merveilleux conteur. Qui écrivit d’ailleurs au moins deux romans d’anticipation, en plus d’avoir introduit des éléments de fantastique dans certains de ses romans policiers.

Et un essai, d’un écrivain que j’admire énormément : Les Identités meurtrières, d’Amin Maalouf. Dans cet ouvrage, Amin Maalouf explique que chacun a plusieurs identités, une personnalité composée de multiples facettes – et il prend son exemple : arabe, libanais, chrétien, écrivain de langue française… à quoi on peut rajouter qui aime ou non la musique, le rock ou le classique, qui pratique ou non du sport, etc. Et quand l’une de ces facettes, l’une de ces identités, est attaquée, on la renforce, pour se protéger, et on finit par ne plus devenir « que ça ». Ce qui conduit tout droit à l’intégrisme, augmente le rejet mutuel de l’autre, et risque d’amener au terrorisme. Et ce qui est très appréciable chez Amin Maalouf, c’est que son livre n’est pas désespérant, au contraire. Il signifie « voilà, nous avons compris comment ça marche, eh bien, nous pouvons donc faire en sorte que cela ne soit pas. »

Ton film SF préféré ?

The Rocky Horror Picture Show !
_ Le Seigneur des Anneaux.

Et une série TV, ou plutôt deux : X-files et Babylon V.

Ton film hors SF préféré ?

Cabaret. Tommy. Quand Harry rencontre Sally.

Quel est le livre que tu aurais aimé écrire ?

Celui qui trotte dans ma tête et que je n’ai pas fini de coucher sur papier…

Mais pour ne pas éluder ta question et son sous-entendu, je dirais Le Dieu dans l’Ombre, de Megan Lindholm. Encore une histoire de naissance extraordinaire, encore un livre aux personnages forts, aux émotions intenses. Il est très rare que j’ai envie de « m’approprier » un livre, j’ai plutôt tendance à écrire des choses très différentes de ce que je lis, et vice-versa, mais celui-là a une résonance particulière, pour moi.

Quel est le don que tu regrettes de ne pas avoir ?

J’aimerais avoir les pouces verts, mais si je sais m’occuper d’animaux, je ne suis pas douée avec les plantes, hélas ! Et puis, j’aurais aimé être musicienne… Mais je pense que ma famille aurait aimé que je sois ordonnée et bonne cuisinière (éclats de rire !)

Si tu rencontrais le génie de la lampe, quels vœux formulerais-tu ?

Que mon fils et ma fille deviennent un homme et une femme heureux, justes et bons. Et si le génie me disait que cela ne dépend pas de lui, mais d’eux, s’il ne pouvait réaliser que des vœux pragmatiques, alors je lui demanderais que mes projets en cours aboutissent. Et puis des vacances, aussi (rires).

Quels sont tes projets ?

Tu veux dire à part les histoires qui fourmillent dans ma tête et les articles pour lesquels j’ai amassé plein de documentation ? Eh bien, je prépare un numéro de Horrifique spécial Alain le Bussy et je supervise la parution d’un recueil de nouvelles écrites collectivement, selon des règles inspirées de l’OuLiPo, sur le thème : « Pour Un Autre Temps ». Et puis je fais toujours partie de l’équipe d’Univers & Chimères et nous préparons le numéro 4, où il sera question de vampires… Mais j’ai aussi d’autres projets d’anthologies.

Parce qu’on peut exprimer au travers de la SF des craintes, des appréhensions, des désirs, d’une façon bien plus forte que par la littérature générale.

Critique de l’ouvrage, ici !

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