CHAMBON Jacques 01

Auteur / Scénariste: 

Cela fait exactement dix ans que Jacques CHAMBON préside aux destinées de Présence du Futur, la prestigieuse collection de science-fiction des Éditions Denoël. Non content de mener une politique éditoriale visant un public plus large, ce professeur de Lettres au passé de critique et de concepteur d’anthologies (pour Opta, Casterman et Pocket, entre autres) a créé les collections Présence du Fantastique et Présences. Et parallèlement à son travail en science-fiction, Jacques CHAMBON assure depuis cinq ans la direction de Sueurs Froides, la collection Polar de ces mêmes Éditions Denoël. Beaucoup pour un seul homme qui de-ci de-là, trouve aussi le temps d’écrire des fictions. Conversation entre bilan et perspectives.

Alain DARTEVELLE : À votre arrivée chez Denoël voici dix ans, vous aviez déjà accompli un travail considérable en tant que critique et anthologiste. Pourriez-vous retracer ce parcours ?

Jacques CHAMBON : Encore ces activités étaient-elles restées un peu marginales par rapport à mon occupation principale, soit une fonction de professeur de Lettres dans des instituts ou universités à l’étranger. Je suis agrégé de Lettres, et j’ai professé successivement en Angleterre, au Liban, puis à nouveau en Angleterre et ensuite en Italie, tout cela sur une période de dix-sept ans. Cette profession me laissait cependant suffisamment de temps pour la science-fiction.


A.D. : Vous avez collaboré à Fiction, je pense…

J.C. : Cela, c’était bien antérieur encore, à travers le fandom. À l’époque, je terminais mes études à Clermont-Ferrand, et avec Jean-Pierre Fontana, nous avions créé le fanzine Mercury, qui avait fait un peu parler de lui, au vu de ses ambitions. À chaque parution de Mercury, nous en envoyions un exemplaire à Alain Dorémieux. Et le hasard a fait que Jacques Goimard, qui devait rendre à Dorémieux un article sur le Jodelle de Guy Pellaert, n’a pas pu le faire par je ne sais quel concours de circonstances. Dorémieux m’a alors demandé d’utiliser un papier que j’avais fait dans Mercury sur ce sujet, ce qui m’a mis le pied à l’étrier…

A.D. : Cependant, pour le grand public, vos activités de critique sont surtout connues au travers de votre collaboration au Magazine littéraire.

J.C. : C’est exact. J’y ai succédé à Antoine Griset qui avait abandonné cette rubrique pour des activités de gestionnaire au Monde. Là aussi, le hasard et un problème de bouclage ont joué en ma faveur : Antoine Griset, ne pouvant remettre son article à temps, avait proposé qu’on fasse appel à moi. Autrement dit, une fois de plus, je jouais les doublures…

A.D. : Il m’a semblé que votre rubrique S-F pour Le Magazine littéraire sortait de l’ordinaire, du fait de votre volonté de rencontrer les auteurs dont vous parliez…

J.C. : Cela m’est arrivé, mais il n’y avait là rien de systématique. Je terminais alors mon séjour en Angleterre, avant de partir pour l’Italie. Certains auteurs, tels Thomas Disch et Robert Sheckley, étaient pratiquement mes voisins, et j’ai donc eu l’occasion de les rencontrer. Mais ce qui m’intéressait surtout était, non pas de faire le simple compte rendu d’un livre, mais celui de plusieurs livres qui me semblaient refléter une préoccupation de l’époque, « l’homme-plus » par exemple.

A.D. : On pourrait aussi parler de vos anthologies.

J.C. : J’ai commencé chez Opta avec une anthologie intitulée Nouveaux mondes de la science-fiction, centrée sur le mouvement dit de la "speculative fiction", avec des auteurs tels que Harlan Ellison – j’avais notamment choisi sa fameuse nouvelle "A boy and his dog"– ou John Sladek. Je m’entendais bien avec Dorémieux, qui a d’ailleurs accompagné une grande partie de mon parcours, telle une ombre tutélaire. Lui-même travaillait à Casterman en tant qu’anthologiste, et il m’a permis d’en faire cinq ou six pour cette maison. J’ai ensuite travaillé pour la collection "Dimensions", où j’ai fait une des premières anthologies originales de Silverberg (Trips) reprise maintes et maintes fois en livre de poche depuis lors. J’ai également fait plusieurs Livres d’Or, pour la série dirigée par Jacques Goimard. Il s’agissait de présenter un auteur à travers ses nouvelles. J’ai orchestré un Vance, un Farmer et un Bester, et j’avais en projet un Ellison lorsque la collection s’est arrêtée.

A.D. : Ensuite, de retour en France en 1986, vous entrez chez Denoël en tant que directeur littéraire de Présence du Futur. Cela n’a pas dû être chose aisée de succéder à une personnalité telle qu’Elisabeth Gille…

J.C. : D’autant que si je partageais certains de ses goûts et admirais, toute amitié mise à part, son travail, il en était d’autres sur lesquels je me sentais plus réservé. Ainsi de cet encouragement d’une science-fiction française extrêmement littéraire, qui tentait ou rêvait d’élargir le public de la SF en y amenant les gens de la littérature générale. Il me semblait que c’était une naïveté, sinon une erreur. J’ai toujours pensé que cette manière de sensibiliser le public littéraire à la SF n’était pas très efficace. Cela aurait dénaturé la SF, dont on sait que le charme tient en grande partie à son côté quelque peu marginal, underground. Hier, j’entendais Dan Simmons expliquer que cela ne le dérangeait pas du tout si les milieux scolaires et universitaires, à quelques professeurs près, continuaient à tenir la SF à distance, avec une sorte de mépris. Cela le dérangeait d’autant moins que malgré, ou par suite de cette attitude, les élèves se tournaient en grand nombre vers la SF. Ce dont Dan Simmons fait son miel, c’est l’image d’un élève dissimulant un roman de SF entre les pages de Madame Bovary !

A.D. : Dans cette optique, comment vous êtes-vous démarqué de la politique éditoriale d’Elisabeth Gille ?

J.C. : En réalité, je ne crois pas avoir eu beaucoup d’efforts à fournir. Les auteurs eux-mêmes ont très rapidement compris qu’ils étaient plus ou moins dans une impasse.

A.D. : Cependant, n’était-ce pas sous votre direction que le groupe Limite a publié son recueil "Malgré le Monde" ?

J.C. : Précisément. Mais cela faisait partie de l’héritage d’Elisabeth Gille. Elle avait initié toute une série de projets que j’ai été tenu de concrétiser, sans me faire tirer l’oreille d’ailleurs, car tous ces auteurs étaient quand même des gens éminemment sympathiques et talentueux. Le problème, c’est que le projet de Limite n’a pas rencontré de succès commercial, et des auteurs comme Jacques Barberi se sont bien rendu compte qu’ils devraient reconsidérer leur position. Volodine, lui, a carrément quitté la science-fiction. Ma position personnelle consistait à retenir des textes qui, tout en ayant une ambition littéraire, ne négligeaient pas l’histoire et renouaient avec le charme de la littérature populaire. Mais l’influence d’Elisabeth Gille a quand même duré deux ou trois ans. Cela dit, je n’ai pas renié tous ses choix : elle avait déjà publié John Varley, et acheté les premiers titres des cyberpunks, une orientation que j’ai amplifiée parce qu’elle me correspondait. Moi-même, j’ai parfois fais le choix d’une SF un peu difficile, comme le fantasmatique "Entrefer" de Iain Banks, qui a néanmoins bien marché. Petit à petit, j’ai publié des auteurs plus populaires, qu’ils soient anglo-saxons (dont Norman Spinrad et Robert Silverberg, qui, curieusement, n’étaient pas au catalogue de PdF) ou français. J’ai ainsi fait revenir Brussolo à Présence du Futur. Barberi a continué à publier, jusqu’à ce qu’il ait des ouvertures du côté de la télévision. La même chose s’est passée pour Joël Houssin, absent jusque-là de la collection, et dont les livres "Argentine" et "Le Temps du twist" se sont bien vendus et ont fait l’objet de diverses récompenses, par exemple le Prix Apollo pour "Argentine".

A.D. : Une autre marque très importante de votre travail chez Denoël est la création de la nouvelle collection Présence du Fantastique, en miroir à Présence du Futur. Puis celle de Présences, qui délaissait le poche pour le "hard cover".

J.C. : Les premiers volumes de Présence du Fantastique sont sortis début 1990, et la création de cette collection s’est faite sur la constatation que depuis un peu plus d’un an (on vivait alors la grande résurgence du fantastique aux États-Unis), je recevais des livres que je trouvais excellents, mais qui ne trouvaient pas leur place dans une collection de SF. J’en ai eu assez de refuser de tels livres, que j’aimais et que j’avais envie de défendre. Après discussion avec le directeur de la maison, Henry Marcellin, nous sommes tombés d’accord sur la création de Présence du Fantastique, petite sœur de Présence du Futur. Nous avons commencé prudemment, à raison de sept à dix titres par an, et nous conservons cette prudence…

A.D. : Avec, incrustée dans celle collection, la suite d’anthologies d’Alain Dorémieux, Territoires de l’Inquiétude.

J.C. : Il y a eu une double incrustation. D’abord celle d’auteurs qui par ailleurs écrivaient de la science-fiction : Brussolo, Scott Baker, Gene Wolfe, Lucius Sheppard… Ensuite la série d’anthologies elle-même, qui se voulait un panorama du fantastique moderne, en train de se faire. Territoires de l’Inquiétude a duré sept années et neuf numéros. Le problème est qu’une érosion du lectorat s’est produite, entre autres suite au fait que nous n’avons pas pu tenir le rythme de publication. On avait commencé avec 3 numéros la première année, puis 2 les années suivantes. Ensuite, les intervalles sont devenus plus longs. Or, quand une anthologie de ce type – en fait, proche de la revue – finit par paraître de façon aléatoire, les lecteurs l’oublient ou croient qu’elle est morte. Ce qui nous a forcés à conquérir un nouveau public à chaque parution. Pour les derniers numéros, on n’a plus dépassé le chiffre de 1 500 à 1700 ventes, qui est nettement insuffisant en termes de rentabilité. De sorte que si un dixième numéro paraît, ce sera certainement le dernier.

A.D. : Quant à la collection Présence du Fantastique proprement dite, est-elle viable ?

J.C. : Tout à fait. D’autant plus viable que désormais, les titres parus en Présences sont repris soit en Présence du Futur, soit en Présence du Fantastique, pour une exploitation au format de poche. Cela contribue à la stabilité financière de l’ensemble.

A.D. : Précisément, comment est née la collection Présences ? À l’époque de sa création, il y avait bon nombre de grosses briques américaines que d’autres éditeurs mettaient sur le marché, et qui s’adressaient directement au public le plus large. Je présume que la création de Présences a correspondu, dans cette même ligne, à une volonté de déborder le territoire trop circonscrit de la SF et du fantastique…

J.C. : Exactement. L’idée était, par ce que j’appellerais une SF ou un fantastique "soft", de toucher un public plus important. Les enquêtes de lectorat révélaient d’ailleurs que pas mal de gens ne demandaient pas mieux que de lire de la science-fiction ou du fantastique, mais à la condition que la tâche ne leur soit pas rendue trop ardue par la nécessité d’une connaissance préalable des codes, parfois complexes, inhérents à ces genres. Dans mes premiers choix, la démarche était manifeste : il s’agissait de textes dans lesquels on entrait sans aucun problème, et dans le cours duquel les décrochages et décalages ne se faisaient que progressivement. Je pense à "L’Échange" de Brenner, ou à "Une femme sans histoires" de Christopher Priest. Par la suite, évidemment, j’ai publié des choses peut-être plus SF, dirais-je, comme le "Gens de la Lune" de John Varley. Mais la longueur de ce livre justifiait sa place en Présences.

A.D. : Vous avez publié des auteurs français, également…

J.C. : Oui, encore qu’il ait fallu un peu de temps pour qu’ils apparaissent régulièrement. Parmi les premiers, j’ai publié Réouven, un vieux routier déjà, dont le type d’histoires correspondait bien à l’option d’un fantastique de haut niveau mais facile d’accès. Il y a eu également le "Black Velvet" d’Alain Dorémieux, et plus récemment, "La Mécanique des ombres" de Benjamin Legrand, pour lequel le public a cependant été partagé – mais c’est un peu la règle dans le cas du lancement d’auteurs parfaitement inconnus jusque-là. Pour nous résumer sur la ligne éditoriale, je dirais que, conformément à nos publicités, Présences offre des voyages de luxe dans l’imaginaire. Ce qui implique tout à la fois des auteurs assez considérables, et le confort de lecture – au sens où je l’entends dans mon propos précédent, ça va de soi,"L’Échiquier du mal" offrant, du point de vue du confort au sens banal du terme, celui d’un Grand Huit !

A.D. : Alors que ces collections sœurs ou mères apparaissaient, vous-même vous étiez dédoublé : parallèlement à vos responsabilités en SF et Fantastique, vous avez hérité de la direction de Sueurs froides, la collection polar de Denoël. Comme les choses se sont-elles passées ?

J.C. : Disons qu’en 1992 s’est produite une réduction drastique du personnel chez Denoël. Comme beaucoup de maisons d’édition qui ont connu des difficultés à cette époque, nous avons réduit le nombre de nos publications, cherché de nouveaux locaux, etc. C’est dans ce contexte que Henry Marcellin, sachant que je m’étais toujours intéressé au polar, m’a confié cette nouvelle responsabilité. Si j’ai accepté, c’est d’une part parce que cela ne me semblait pas incompatible avec mes autres activités, et d’autre part en raison d’un rythme de publication tout à fait tolérable : à cette époque, on sortait 4 à 5 Sueurs froides par an. En outre, j’avais des lecteurs, et des auteurs qui ne demandaient pas mieux que de m’aider. J’ai également eu la chance de trouver un bon manuscrit pour ma première publication :"Tiré à part" de Jean-Jacques Fiechter, dont Bernard Rapp vient de faire un film avec Terence Stamp. C’est aussi un livre qui a eu le Prix de Littérature policière. Maintenant encore, les choses se passent sans véritable problème. En même temps, et de plus en plus, beaucoup d’auteurs de SF aiment transgresser ou mélanger les genres, ce qui me permet d’envisager de publier des polars de Pierre Pelot, de Serge Brussolo, ou encore de Jacques Barberi.

A.D. : Pour en revenir à la production actuelle de Présence du Futur, je dois pourtant vous avouer que je suis quelque peu interloqué : alors que Le Fleuve se développe et que J’ai Lu a lancé Ayerdahl, je vois bien Denoël réactiver son fonds éditorial, et réaliser un grand ciblage sur Philip K. Dick. Mais de nouveaux auteurs, on n’en voit pas trop, comme si vous vous mettiez en position d’attente. Est-ce une stratégie délibérée de votre part ?

J.C. : C’est une stratégie, effectivement, mais qui est celle de la maison plutôt que la mienne, et repose sur un problème de coûts de traduction, très élevés actuellement pour une exploitation directe en livre de poche. Par ailleurs, Denoël connaissait depuis longtemps un problème de prix par volume, en regard de ceux pratiqués par la concurrence. À mon arrivée chez Denoël, des volumes présentés comme du semi-poche, mais en réalité perçus comme du poche, coûtaient entre 60 et 65 F, alors que les concurrents tournaient autour des 40 F. De manière à devenir compétitifs, nous avons cassé les prix en évitant que les plus hautes catégories ne soient atteintes, et en veillant à ce que nos livres ne dépassent jamais le prix d’une place de cinéma. C’est un point de repère essentiel par rapport au budget des gens, et des jeunes en particulier. Toutefois, pour tenir cette politique, on est obligé de privilégier l’exploitation du fonds, dont les traductions sont amorties, et de ne publier de l’inédit qu’à doses plus mesurées. Je publie actuellement des gens comme Resnick, dont on sait qu’ils vont cartonner. Mais par rapport à la découverte, vous avez tout à fait raison de relever cette espèce d’attente. N’oublions pas non plus que l’idée d’injecter des Présences en Présence du Futur réduit d’autant le nombre de nouveautés. C’est d’ailleurs en Présences que la découverte a plutôt tendance à se faire…

A.D. : Des auteurs comme Dantec ou Ayerdahl ne vous ont-ils pas soumis leurs manuscrits ?

J.C. : En fait, j’ai un manuscrit de Dantec, qui s’appelle "Backstage", en attente depuis trois ou quatre ans. C’est une masse énorme, de l’ordre d’1 500 000 signes. Compte tenu des problèmes que je viens d’évoquer, j’avais demandé à Dantec d’élaguer quelque peu son texte, d’autant que c’est un des premiers qu’il ait écrits, et que le livre gagnerait à un peu plus de concision. Ce qui se passe, c’est que Dantec, qui fait la carrière que l’on sait, a pris plus de métier et envisage de réécrire entièrement ce livre. Mais, vu ses obligations multiples, il faut qu’il trouve le temps d’opérer cette réécriture.

Quant à Ayerdahl ? J’avais effectivement reçu des manuscrits de Marc Soulier, puisque c’est son vrai nom, et j’avoue n’avoir pas accroché. Je trouvais que c’était bien fait, professionnel, mais qu’il n’y avait pas de véritable univers personnel, une notion à laquelle je suis très attaché. Une notion dont dépend l’originalité du livre, en fait. Je dirais que j’aime les obsédés, ceux qui développent un univers qui n’appartient qu’à eux. Et je n’ai pas ressenti cela chez Ayerdahl.

A.D. : Ce qui m’amène à une question plus générale : on parle beaucoup d’un renouveau de la SF française. Croyez-vous qu’elle soit tellement différente de ce qu’on a publié auparavant ?

J.C. : Je ne le crois pas. Pourquoi parle-t-on d’un tel renouveau ? Parce qu’Ayerdahl et Serge Lehman marchent bien, ce qui ne fait jamais que deux auteurs. Dantec, ce n’est pas le même marché, et Brussolo n’écrit plus de SF. Il me semble donc qu’on s’empresse quelque peu de parler de renouveau.

A.D. : Du point de vue des thèmes également, la rupture ne semble pas consommée. Il serait si beau et si simple de parler, pour la France, d’une succession SF politique – SF littéraire – nouvelle SF. En réalité, quand on voit ce que produisent Ayerdahl et Lehman, la SF politique est toujours bien présente, comme le soulignait dernièrement Jean-Claude Vantroyen dans un de ses articles pour "Le Soir"…

J.C. : Bien entendu. S’il y a renouveau, c’est peut-être parce qu’il y a des gens qui écrivent et publient régulièrement. Cette volonté de professionnalisme ferait la différence, assortie d’un regain d’intérêt de la part du public. Cela dit, Serge Lehman est en train de m’écrire quelque chose. Quant à Ayerdahl, je pense qu’il se trouve très bien chez J’ai Lu. Je suis d’ailleurs très content de ce qui lui arrive, c’est un garçon attachant et bourré de punch. Et puis, je ne peux pas tout publier…

A.D. : Je ne voudrais pas terminer cette interview sans évoquer votre propre production littéraire : vous avez publié deux nouvelles dans Territoires de l’Inquiétude…

J.C. : "Production" littéraire est un bien grand mot. Disons que ces… incursions sporadiques dans l’écriture correspondent au jeu de mes rapports avec Alain Dorémieux. Au travers de notre conversation, vous aurez compris qu’entre lui et moi, il y a une longue histoire d’amour ! Au départ, il m’a donné ma chance. Et à une époque où il s’était quelque peu retranché de l’univers de la SF et du fantastique, j’ai, disons-le, en quelque sorte profité de l’autorité, ou du semblant d’autorité que je pouvais avoir à Présence du Futur pour le faire retravailler. Il s’est donc lancé dans le projet des Territoires de l’Inquiétude avec un grand enthousiasme qui nous a également valu de lire son roman "Black Velvet". C’est d’ailleurs une de mes grandes fiertés d’avoir amené Alain Dorémieux à écrire son premier roman, et un autre est en préparation. C’est lui qui m’a alors poussé, sinon à écrire, du moins à publier. Je lui ai donc envoyé un texte vis-à-vis duquel, en dehors des rapports privilégiés que nous pouvions avoir, il a tenu un rôle de directeur littéraire très rigoureux. Il m’a fait travailler, comme il m’arrive de le faire avec certains auteurs, et je peux dire que dans les textes que j’ai publiés dans Territoires, il y a un peu de la patte et de l’influence de Dorémieux. Ce qui se retrouve également chez la plupart des auteurs qu’il prend en charge.

A.D. : N’auriez-vous pas l’envie, vous-même, de vous lancer dans un roman ?

J.C. : Bien sûr, j’ai des pleins tiroirs d’idées. Mais je pense qu’il faut pouvoir se consacrer presque entièrement à un roman. Il se fait qu’à près de cinquante-cinq ans, je suis à un âge où je vais pouvoir envisager une préretraite de l’Éducation nationale, ce qui me laissera plus de temps libre. Pour le roman, attendons donc encore un peu. Cela dit, je ne pense pas avoir le tempérament d’écrivain au sens ou des auteurs l’ont, soit une véritable rage d’écrire. Et puis, comme la plupart des grands travailleurs, je suis, fondamentalement, un paresseux…

A.D. : Peut-être se fait-il, également, que vos activités de directeur littéraire vous permettent déjà, en quelque sorte, de satisfaire une certaine fringale d’écriture

J.C. : C’est évident ! On peut dire que quelque part, j’écris par personnes interposées. Même si mon rôle reste dans un parfait anonymat, je suis tout à fait ravi de faire évoluer un manuscrit, d’aider un auteur à réaliser un roman véritablement abouti. J’écris donc un peu à travers les autres, ce qui est pour moi une grande source de satisfaction… et la meilleure solution qu’ait, jusque-là, trouvé ma paresse.

Propos recueillis le 5 avril 1997 à Nancy, durant la 24e convention nationale de SF

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