Bal des schizos (We can build you) (Le)

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Ce roman, qui présage Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques et dont je me demande s'il n'a pas influencé le scénario de Blade Runner (bien qu'humaine, la Pris de ce roman aurait pu servir de modèle à la Priss du film, non ? J'ai cru revoir l'androïde du film en lisant son portrait page 31) semble apporter des idées nouvelles à chaque relecture. Le thème apparent est celui de la création des premiers « simulacres », robots chargés d'imiter les humains. Une petite société d'électronique qui ne parvient plus à vendre ses orgues électroniques imagine la création de simulacres et recrée ainsi des imitations d’Edwin M. Stanton et de Lincoln. L'une des questions posées par le livre est de savoir si les personnages ainsi créés sont des résurrections de leurs modèles. J'avoue que, à la troisième lecture, je n'ai pas vraiment mordu à ce thème, qui me paraît de plus en plus invraisemblable (recréer exactement la personnalité des individus exigerait une connaissance totale de tout ce qui leur est arrivé depuis leur naissance, voire depuis leur conception ou une intervention miraculeuse, divine ? Le second conviendrait certainement mieux à l'auteur). Mais nous rencontrons là dans un des plus gros problèmes de la littérature, le fait que personnages et évènements du roman reflètent exclusivement l'imagination de l'auteur ; que les lois de la vraisemblance littéraire ne sont pas les lois de la vérification expérimentale d'une hypothèse ; que le roman peut énoncer les convictions de l'auteur mais pas jouer le rôle d'expérience, fut-elle philosophique. Comme un tableau peut, sans qu'on s'en rende compte, violer les lois de la physique en présentant des objets irréalisables sans que les lois de la perspective soient violées (cf. Escher), un roman peut parfaitement rendre vraisemblable un personnage (le terme s'applique parfaitement à une machine consciente, un animal ou une entité de roman) auquel la réalité ne permettrait pas d'exister et l'auteur peut attribuer à ses simulacres des actes ou des paroles qu'aucune technologie ne saurait réaliser (ici les simulacres de Dick, ailleurs les robots positroniques...).

 

Comme le jugement esthétique d'un tableau, le jugement d'un roman, fut-il de science-fiction, ne saurait porter sur la réalité de l'histoire ou la valeur des hypothèses, seulement sur leur vraisemblance et le plaisir de lecture. Et je crois, hors toute discussion sur l'éventuelle valeur philosophique ou scientifique des hypothèses utilisées, ce roman l'un des plus intéressants de Dick.

 

Mais, comme la plupart des romans de Dick, ce roman porte, avant tout, sur une étude psychiatrique des deux personnages centraux et d'abord du narrateur, confronté à un cas extrême de schizophrénie, celui de Pris, dont l'hostilité se transforme en amour, mais un amour pour une femme imaginaire. Comme trop souvent chez Dick, une part importante des dialogues ou des réflexions expose des théories psychologiques ou psychiatriques. Le roman se déroule dans une société où la multiplication des cas de paranoïa et de schizophrénie a rendu nécessaire une loi de tests réguliers et de soins obligatoires. La maladie de Pris lui fait regarder les autres comme malades, elle-même comme un simple observateur, objectif. Le héros est profondément hypocondriaque et passe son temps à interpréter ses réactions et celles des autres. A condition de ne pas s'amuser à généraliser ces jugements dont Dick ne nous dit jamais s'il faut les prendre au second, au troisième degré ou pour des rappels de vérités, à lui-même et à ses amis et connaissances, le lecteur appréciera et apprendra peut-être même des choses. Ou trouvera des motifs de les contester...

 

Le bal des schizos (We can build you), de Philip K. Dick, traduit par Anne et George Dutter, J'ai lu n°10767, 2014, 283 p., couverture de Flamidon, 6 €, ISBN 978-2-290-03359-3

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