BAUDOU Jacques 01

Auteur / Scénariste: 

En général reléguée dans des revues et fanzines à tirage plus ou moins limité, la critique SF a cependant quelques rares ouvertures dans la grande presse. Jacques Baudou a cette chance d’exercer ses talents dans le quotidien français « Le Monde ». Qui mieux est, il est en charge de deux rubriques SF : l’une pour le vénérable et vénéré supplément hebdomadaire « Le Monde des Livres » et l’autre pour le plus récent supplément mensuel « Le Monde des Poches ». Avec Jacques Baudou, nous avons tenté de cerner la spécificité de ce type d’intervention critique, plus proche du journalisme que de l’analyse en profondeur, mais cependant essentielle pour faire connaître les littératures de l’imaginaire à un large public de lecteurs. Et dans la foulée, nous l’avons interrogé sur ses nouvelles fonctions de directeur littéraire, puisque c’est sous sa houlette que Serge Lehman publie son cycle FAUST au Fleuve Noir…

Alain DARTEVELLE : Pourriez-vous nous dresser le portrait-robot d’un critique SF au « Monde » ? Vous, en l’occurrence…

Jacques BAUDOU : je suis né le 10 octobre 1946, ce qui veut dire que je viens de fêter mon demi-siècle. Avant d’en arriver là, j’ai fait des études supérieures, dont une licence en Sciences de la vie, et un doctorat de troisième cycle de Biologie cellulaire. Ensuite, les hasards de l’existence ont fait bifurquer ma carrière. Après un passage en tant qu’assistant de fac, j’ai été engagé comme animateur scientifique par la Maison de la Culture de Reims. À cette époque, l’animateur cinéma venait de se faire virer, et je me suis intéressé à ce domaine tout en suivant une formation au métier d’animateur socio-éducatif. Depuis quelque vingt-cinq ans, je suis animateur spécialisé dans l’audiovisuel pour cette Maison de la Culture.

A.D. : Et votre attirance pour la littérature, dans tout cela ?

J.B. : Elle remonte à bien plus longtemps ! Je lis depuis mon plus jeune âge, et j’ai d’ailleurs appris à lire presque seul, en regardant les journaux, d’après ce que m’ont dit mes parents. J’ai toujours beaucoup lu, avec des genres de prédilection. Très tôt, j’ai lu Conan Doyle et Jules Verne, ce qui fait que les deux mamelles de ma culture littéraire sont le polar et la science-fiction… Le fantastique, je n’y suis venu que vers mes dix-sept, dix-huit ans. Tandis que Verne, et Wells également, m’ont marqué tout gamin. Je garde d’ailleurs dans mes archives un petit carnet que je tenais à l’époque, où je faisais des résumés de tous les romans de Jules Verne !

A.D. : N’était-ce pas un embryon de travail critique, voire une manière de démonter la machinerie littéraire à vos fins personnelles ? N’avez-vous jamais écrit, vous-même ?

J.B. : J’écris des textes de fiction, mais de façon limitée. En guise d’anecdote, quand j’avais une vingtaine d’années, j’ai adressé des nouvelles fantastiques à une revue qui s’appelait « L’Insolite ». Cette revue m’en a sélectionné trois, en a publié un, puis s’est arrêtée. Et j’ai coutume de dire que ma carrière littéraire a été tuée dans l’œuf. N’empêche, j’ai continué à écrire des nouvelles. J’ai eu quelques publications, notamment des nouvelles policières. Et comme beaucoup de gens, je rêve d’écrire un roman. Encore faudrait-il en trouver le temps, et surtout en avoir le talent !


A.D. : Avant de collaborer au journal « Le Monde », faisiez-vous déjà de la critique ? D’autre part, si on l’identifie à la SF depuis quelques années, votre nom a longtemps été lié à l’univers du polar, me semble-t-il…

J.B. : Je suis un peu étonné qu’on perde de vue qu’auparavant, j’étais le critique SF du « Matin de Paris », pendant pas mal de temps, et avec un papier chaque semaine. Mais peut-être « Le Matin de Paris » n’avait-il pas une audience suffisante ! En fait, je ne souhaite pas qu’on me traite de spécialiste. S’il est vrai que j’ai dirigé un fanzine consacré au polar, j’ai aussi, pour d’autres revues, orchestré des numéros sur Maurice Renard et sur Tolkien, par exemple. J’ai aussi préparé un numéro jamais paru sur Ron Goulart, un personnage cher à mon cœur. Donc, le polar ne m’a jamais monopolisé, pas plus que la littérature. En même temps, je me suis toujours intéressé au cinéma, comme à la télévision. Il se trouve que quand je suis arrivé au « Monde », j’ai commencé à écrire des textes pour le supplément télé. D’abord sur des films, puis sur des séries relevant du fantastique, de la SF ou du polar. Quant à mon premier test pour « Le Monde des Livres », il a été consacré à un livre que je considérais comme un des plus importants de ces dernières années, mais qui ne relevait pas vraiment de la rubrique S-F : « Le Pays du Fou rire », de Jonathan Carroll. À ce moment, Emmanuel Jouanne tenait cette rubrique. Puis des problèmes, dont j’ignore la nature exacte, sont survenus entre la rédaction et lui. Dès lors, j’ai été approché pour reprendre la chronique de SF. J’ai dit tout de suite que ce qui m’intéressait était d’y inclure le roman d’horreur, qui me paraissait alors le plus riche et innovateur parmi les genres relevant de l’imaginaire. Il se trouve qu’au fil des années, et pour de multiples raisons, éditoriales entre autres, le roman d’horreur a perdu sensiblement de son intérêt et de son pouvoir. J’ai donc traité de plus en plus de SF et de Fantasy, sans exclusive aucune entre ces genres différents.

A.D. : Et quant à vos rapports avec la rédaction du « Monde des Livres » ? N’avez-vous pas l’impression que la rubrique SF est une concession de la littérature générale à un genre marginal ? La rubrique n’intervient-elle pas en guise de « bouche-trou » ? Sa périodicité me semble assez floue

J.B. : Je ne partage pas cette impression. La rubrique SF est en route depuis très longtemps. Si sa périodicité et son importance ont varié, c’est en raison des modifications de ligne éditoriale ou de maquette. Depuis mon arrivée, il y a eu quatre formules différentes. Dans l’état actuel des choses en tout cas, et depuis plusieurs mois, il y a un ensemble de quatre rubriques calibrées de la même manière : polar, littérature pour la jeunesse, bande dessinée et SF. La périodicité est de l’ordre d’un papier toutes les 4 ou 5 semaines. Toutefois, ce rythme n’est pas intangible. La parution peut être décalée d’une semaine en fonction de l’actualité, ou pour des raisons de surface publicitaire. Ce sont là des contraintes qui s’appliquent à tous les collaborateurs.

A.D. : J’ai été sidéré de découvrir, voici près de deux ans, une page entière du « Monde des Livres » consacrée à la science-fiction, une page où Ayerdahl tenait la vedette. Disposer d’une telle surface rédactionnelle est l’exception, non ?

J.B. : À l’époque, j’avais une page par trimestre, ou à tout le moins trois pages par an. Il était intéressant de construire cette page en jouant sur différents calibrages d’articles.

Actuellement, je dispose d’une chronique mensuelle, qui sauf décalage exceptionnel d’une semaine, présente l’avantage de la régularité. J’y parle au minimum de quatre livres. En outre, je bénéficie d’une autre rubrique SF mensuelle, tout à fait régulière celle-là, dans « Le Monde des Poches », où je chronique un maximum de sept titres.

A.D. : J’ai aussi pu voir votre signature dans une autre publication du « Monde », un « Dossiers et Documents littéraires » de juillet 1995, consacré à la science-fiction…

J.B. : Je n’en ai écrit que la présentation générale. Ce genre de publication, essentiellement destiné aux enseignants et aux étudiants, se compose en fait d’une recension d’anciens articles du « Monde », dont le rassemblement permet de dresser une sorte de panorama du genre.

A.D. : Dans votre introduction, vous parliez d’un certain renouveau de la science-fiction française. Noms à l’appui – Ayerdahl, Bordage, Genefort, Lehman, vous souligniez un retour du sens du romanesque.

J.B. : J’ai le sentiment qu’on assiste à un retour en force de la SF, avec des ouvrages originaux, qui ne perdent pas de vue non plus une qualité à laquelle je tiens beaucoup : la lisibilité. J’ai bien connu les différentes périodes de la SF française, et ce qu’on produit actuellement s’en détache de façon très claire. Si l’on remonte à la vague post-soixante-huitarde, je caricaturerai à peine en disant que les romans étaient proches des tracts politiques. C’est frappant si vous relisez les anciens numéros d’ « Alerte ! », et les bouquins de chez Kesselring. Quant à moi, j’ai fait mai 1968, et je n’ai pas de leçons à recevoir de qui que ce soit. Mais je suis absolument terrifié lorsque je lis une glorification de la bande à Baader. C’est une imbécillité sur le plan politique, comme sur tous les plans d’ailleurs. Or il se fait qu’on en arrivait là, dans la SF française ! Un délire absolu…

Ce qui n’empêche que – et je suis le premier à le reconnaître –, la SF a un rôle essentiel à jouer en tant qu’outil de critique sociale. De ce point de vue, j’ai été enthousiasmé par « La Parabole du Semeur », le roman d’Octavia E. Butler récemment publié chez J’ai Lu.

A.D. : Il y a aussi un reproche latent que vous semblez adresser à une certaine SF française, et qui est le formalisme. Ainsi à propos du groupe « Limite » dans les années 80…

J.B. : En effet, il y a eu une époque où l’on se regardait beaucoup écrire. Attention, tout n’était pas inintéressant, dans ces publications ! Mais il ne faut pas qu’il arrive à la science-fiction ce qui est arrivé à la littérature générale. Prenez le nouveau roman, par exemple. Qu’en reste-t-il en 1996 ? Il ne faut pas que les auteurs perdent de vue ce qu’est la littérature. Bien sûr, il y a des travaux de laboratoire enrichissants. Il suffit de lire « Si par une nuit un voyageur » d’Italo Calvino, ou encore « La Vie mode d’emploi » de Georges Perec. Encore de tels romans ne sont-ils absolument pas hermétiques, mais au service d’une extraordinaire lisibilité du texte. Perec disait d’ailleurs, à propos de « La Vie mode d’emploi », qu’il essayait d’y renouer avec la formidable qualité de narration qu’on trouve chez Dumas et chez Jules Verne. Ce sont là des exemples positifs. Mais la plupart du temps, de telles recherches donnent des ouvrages qu’on pourrait qualifier d’évitables. Et j’ai un peu l’impression que la SF française s’est, un moment, égarée dans ce type de recherche vaine.

A.D. : Emmanuel Jouanne avait introduit une distinction un peu forcée peut-être, où il relevait les littératurants – ceux qui publiaient chez Denoël, en gros – et les raconteurs d’histoires qu’on trouvait chez J’ai Lu et au Fleuve…

J.B. : Eh bien, s’il faut choisir, je me situe dans le camp des raconteurs d’histoires. En ce sens que ma grande référence littéraire, c’est Stevenson. Pour moi, le grand roman de l’histoire du roman, c’est « Le Maître de Ballantrae ». Et contrairement à ce qu’on croit, c’est Henri James qui écrivait à Stevenson en l’appelant Maître, pas l’inverse. C’est assez curieux, mais j’ai eu une discussion similaire avec Dan Simmons, lorsque je l’ai interviewé pour « Le Monde ». Il me disait que pour lui, la littérature se sépare entre la lignée de Stevenson, et celle de James. Et que ce qui l’intéresserait serait de réunir les deux. Dans la littérature française, il me semble que la dichotomie est nettement prononcée, et que les passerelles sont relativement rares entre les deux tendances.
Tous genres confondus – car je ne lis pas que de la SF –, les raconteurs d’histoires sont pour moi des gens tels que Blaise Cendrars, Pierre Mac Orlan, André Dhotel, Henri Bosco et Jean Giono. En science-fiction, ma prédilection va vers des auteurs qui ont un même sens de l’histoire. J’ajoute d’emblée que je me suis fixé pour règle de ne jamais parler d’un livre que je n’aime pas. D’abord parce que je dispose de peu de place, ne fût-ce que pour défendre les livres que j’apprécie. Ensuite, parce qu’il est assez facile de démolir un roman. Alors qu’un livre qu’on n’aime pas représente des enjeux importants pour son auteur. Je l’ai fait une fois, et je l’ai bien regretté, d’autant que je m’étais livré à une critique argumentée, et que par la suite, j’ai appris que le livre avait été réécrit plusieurs fois de suite ! Notez que plus tard, j’ai eu l’occasion de me rattraper avec le livre suivant de cet auteur, qui me plaisait davantage.

Bref, j’essaie de me tenir à une critique positive, sur base des titres qui me tiennent à cœur. D’autant que mes critiques ne représentent qu’une opinion : la mienne. Et s’il est vrai que ma collaboration au « Monde » me donne une parcelle de pouvoir, je dois en user avec une prudence d’autant plus grande.

Cela dit, je fais de la critique journalistique, et non pas universitaire. Je rends compte de l’actualité, des nouvelles collections et de la variété de la production. Je ne peux pas tout lire, et je dois faire des sélections. Il y a des auteurs intéressants dont je ne parle pas tout de suite, en fonction des contingences, quitte à en parler un peu plus tard. Mon attitude consiste très modestement à tenter de faire des choix de cœur parmi la masse des livres publiés.


A.D. : Au fait, que pensez-vous de Maurice Dantec, nouvelle étoile de la SF avec son roman « Les Racines du Mal », paradoxalement publié à la Série Noire ?

J.B. : Maurice Dantec me laisse perplexe. Je ne suis pas sûr que la transplantation du polar en SF soit une recette imparable. Le phénomène Dantec est assez amusant. Au Grand Prix de l’imaginaire, il y a deux ans, j’ai voté pour « Dernière station avant Jérusalem » de Demouzon, qui me semblait une sorte de pépite. On m’a alors reproché de défendre les auteurs de polar qui font de la science-fiction. Et voilà que l’année suivante, Dantec décroche le prix ! Attention, je ne suis pas contre les hybridations, mais il me semble que dans ce cas, l’enthousiasme est quelque peu exagéré. Cela dit, des gens que j’estime beaucoup, comme Jacques Chambon, apprécient grandement son bouquin, et une fois encore, chacun est libre de son opinion…

A.D. : Si l’on songe à la grande époque de « Fiction », il était frappant de constater que les rubriques littéraires donnaient lieu à des réactions passionnées de lecteurs, au point de présider à de véritables débats. Dans les fanzines également, il n’est pas rare que les articles suscitent des controverses. Quand on est critique SF au « Monde », est-ce qu’il y a des retours semblables ?

J.B. : Il y a peu de retour. J’ai bien reçu l’une ou l’autre lettre de lecteur. L’un d’entre eux, notamment, me traînait dans la boue parce que j’avais fait un article sur « Hypérion ». Il me disait qu’ « Hypérion » ne valait rien, et que je ferais mieux de parler des bouquins de Pierre Bordage. C’est vrai que je n’ai pas parlé du cycle des « Guerriers du silence », auquel je trouvais d’incontestables qualités, mais qui suscitait un certain nombre de réserves de ma part. Pour ne rien cacher, j’en trouvais la prolificité un peu vaine et gratuite. Mais depuis, « Wang » a levé toutes mes réticences, et je lui ai consacré un article enthousiaste… En réalité, les principales réactions me viennent des auteurs. Il se fait que je n’appartiens pas au milieu de la science-fiction, ce qui est un avantage en ce sens que ça me laisse les mains libres. Et parfois, un de mes articles me permet d’entrer en contact avec un auteur, étant entendu que pour les gens qui me semblent particulièrement importants – ainsi Ayerdahl ou Serge Lehman – c’est moi qui fais la démarche.
J’aimerais toutefois ajouter qu’il ne faut pas s’abuser sur l’impact d’un article. C’est rarement un papier seul qui décide des ventes. Un exemple frappant est la sortie de « L’Échiquier du Mal », de Dan Simmons. Il y a eu, sur une quinzaine de jours, un papier dans « Le Nouvel Obs », un dans « Le Monde »et un dans « Libération », des articles argumentés et de surcroît enthousiastes. Seule la conjonction des réactions critiques est déterminante pour les ventes. Un article isolé dans « Le Monde » a une influence beaucoup plus limitée, perceptible au niveau des attachées de presse : des journalistes d’autres supports demandent le livre afin d’en rendre compte eux-mêmes.

A.D. : On assiste actuellement à une véritable efflorescence de revues SF et fantastique. Alors que « Phénix » continuait sur sa lancée, on a vu apparaître « Bifrost », « Cyberdreams », « Show Effroi », « Ozone », « Galaxies »…. Après le grand vide laissé par « Fiction », que pensez-vous de ce renouveau ?

J.B. : J’ai vécu un phénomène similaire au niveau du roman policier. Dans les années soixante-dix, le roman policier est tombé dans le trou, poussé par la vague du roman d’espionnage puis celle de la science-fiction. Puis de petits groupes se sont constitués, comme l’Oulipopo (Ouvroir de littérature potentielle policière) et « 813 ». Des fanzines, des revues sont apparues, comme « Enigmatika »ou « Les Amis du Crime ». Et petit à petit, l’audience du roman policier s’est répercutée au niveau des Éditeurs. De nouvelles collections ont été créées, d’autres ont réapparu. Et il me semble qu’en ce moment de la science-fiction, on va dans la même direction : Pocket va lancer une collection grand format, la collection Rivages est très intéressante, avec des choix très ouverts. Ce que fait Chambon avec ses collections « Présences », « Présence du Futur » et « Présence du Fantastique » est tout à fait remarquable. La manière dont la collection de Gérard Klein pour Laffont, « Ailleurs et Demain », a été relancée par le succès d’ « Hypérion », et le travail de Klein au Livre de Poche, où il essaie de reconstituer une bibliothèque de base de la SF… La qualité des choix éditoriaux de J’ai Lu, avec des auteurs et des livres dont on ne peut pas dire qu’ils soient pré-vendus : Octavia E. Butler, James Morrow, Connie Willis, le « Sexomorphose » d’Ayerdahl… Tout cela témoigne d’un bouillonnement prometteur, alors même que de nouveaux auteurs apparaissent aux États-Unis, comme Jablokov. Même hors de la science-fiction, d’ailleurs, les choses bougent. Ainsi dans le roman d’horreur : l’évolution littéraire de King et celle de Peter Straub, un écrivain d’un sacré calibre… Je m’intéresse aussi à la Fantasy, où apparaissent de temps à autre des auteurs majeurs : Robert Holdstock, Jonathan Carroll, James Blaylock. Le Lisa Goldstein publié chez Rivages est également remarquable… Et puis, je suis attentif à ce qui peut survenir du côté français et francophone, en me disant qu’il faut absolument encourager l’innovation, sans pour autant s’enflammer exagérément sur un premier livre…

A.D. : Depuis un an environ, et tout en poursuivant vos activités de critique SF, vous avez des responsabilités éditoriales au Fleuve Noir, où vous dirigez la série FAUST de Serge LEHMAN. Comment concevez-vous votre rôle de directeur littéraire ?

JB. : La direction littéraire de la série FAUST m’est revenue à la suite d’un concours de circonstances trop long à détailler : j’ai aimé le projet pour son caractère de critique sociale pointue et pour son ambition romanesque, pour le mélange des genres aussi que se proposait Serge. Et j’ai aimé l’auteur et sa façon d’envisager notre collaboration. À dire vrai, je me sens fort peu « directeur », mais plutôt un lecteur privilégié qui a un rôle de conseil. Avec un écrivain aussi conscient de son travail que Serge, c’est une tâche simple !
A.D. : Quelle est selon vous la spécificité de Serge Lehman, par rapport à la mouvance des nouveaux auteurs français (Ayerdahl, Dantec, Genefort, etc.) ?

J.B. : Question compliquée et un peu « prématurée » : Serge a encore peu d’œuvres romanesques à son actif, et son talent est sans aucun doute plus protéiforme que ce que nous pouvons pour l’instant apprécier. C’est un nouvelliste de très grand talent, sans doute le meilleur en France actuellement… C’est un auteur qui a une vision théorique très réfléchie de ce vers quoi la SF francophone doit aller, les territoires qu’elle doit explorer pour avoir une chance d’exister face à la SF anglo-saxonne. Et qui sait que, si elle doit déployer tous les fastes du romanesque, toutes ses séductions pour avoir une chance de conquérir un lectorat, elle ne peut le faire qu’en proposant des lectures à différents niveaux, dont certains d’une grande subtilité et complexité. C’est sans aucun doute « L’intellectuel de la SF française ».

A.D. : Envisagez-vous de publier d’autres auteurs français ?

J.B. : Non. FAUST est un « accident », et le restera tant que j’exercerai la fonction de critique au « Monde ».

(Propos recueillis en avril 1997)

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