Si vous n’aimez pas M.I.6, vous n’aimez pas le cinéma !

Sol sol – si do sol – sol – fa fa sol – sol…

10 notes de musique.

Une allumette allume une mèche.

Une cassette s’autodétruit après avoir adressé un message à monsieur Phelps : « Votre mission, si toutefois vous l’acceptez… »

Jim Phelps constitue son équipe : un spécialiste du matériel sophistiqué, un pro du déguisement, une femme appât, un costaud.

Les éléments du mythe créé en 1966 par Bruce Geller et mis en musique par Lalo Schifrin sont des engrammes aussi évocateurs qu’un « Poupoupidou », une robe blanche qui s’envole au-dessus d’une grille de métro, une moustache avec une canne et un chapeau melon.

En 1988, la série Mission Impossible 20 ans après relance le mythe.

En 1996, Tom Cruise entre en scène.

« Bonjour monsieur Cruise, votre mission, si toutefois vous l’acceptez, est d’adapter la série au cinéma… »

En acceptant le job, Tom Cruise va écorner le mythe bâti sur la constitution d’une équipe d’agents complémentaires : la IMF (Impossible Mission Force). Cruise phagocyte ses partenaires, devient à lui tout seul l’équipe. Il est la Force et propulse Ethan Hunt sur le terrain des héros musclés solitaires où règne en maître un certain John McClane. A l’époque Bruce Willis et les Die Hard sont en effet en train de renvoyer au placard les films d’action pépères. Grâce aux réalisateurs John McTiernan et Renny Harlin.

La barre de l’action movie étant placée très haute, Tom Cruise sélectionne des réalisateurs quatre étoiles. Brian De Palma réalisera le premier volet de la saga. John Woo le deuxième. Carton artistique et commercial. Mission accomplie.

 

Mais en 2002 déboule sur les écrans Jason Bourne avec Matt Damon devant la caméra et Doug Liman derrière. La mémoire dans la peau dépoussière les romans de Robert Ludlum et réinvente le film d’espionnage. Le film est un chef-d’œuvre. Deux ans après, Paul Greengrass prend la suite et réinvente la grammaire cinématographique du film d’action en le rendant hyper réaliste. Sa caméra est constamment en mouvement guidée par les personnages et le récit. Du jamais vu !

En 2006, Daniel Craig remplace Pierce Brosnan dans le rôle de James Bond. Martin Campbell en profite pour réaliser un Casino Royale réaliste, tendu, nerveux, ébouriffant, qui enterre tous les précédents films de la franchise. James Bond n’hésite plus à cogner, à se décoiffer ni à déchirer son costard. Casino Royale reste à ce jour le meilleur James Bond.

Les trois franchises ringardisent du coup les Die Hard (à l’exception néanmoins de Piège de Cristal devenu un classique) et se tirent désormais la bourre pour réinventer le film d’action à chaque nouvel opus, avec des tournages aux quatre coins du monde puisque l’enjeu est planétaire. Peu importe le McGuffin d’ailleurs, comme dirait Hitchcock. Ce qui compte, ce n’est pas l’enjeu du film ni le dénouement qui est connu d’avance, mais la manière d’y parvenir. Le suspense ne porte pas sur l’issue du film mais sur celle de chaque scène.  

 

Au fil des films, les James Bond vont néanmoins s’enliser dans une psychologie de pacotille devant la caméra de Sam Mendes tandis que Paul Greengrass s’enferme dans une mise en scène de plus en plus parkinsonienne. C’est à ce moment-là, en 2015, que M.I.5 et surtout M.I.6 (à ne pas confondre avec le nom du fameux service du renseignement britannique pour lequel travaille James Bond) vont dépasser ses deux concurrents, grâce à Christopher McQuarrie, le créateur de Kayser Söze, mythique méchant de Usual Suspects, créateur aussi de Jack Reacher avec Tom Cruise, un héros aussi solitaire que Rambo. La première idée géniale de cet immense scénariste devenu également réalisateur, c’est de réintégrer l’élément qui manquait au mythe de Mission Impossible : la IMF ! Une équipe aussi solide que du kevlar se reconstitue autour de Ethan Hunt : Benji (l’inénarrable Simon Pegg), Luther (le tarantinien Ving Rhames) et Ilsa Faust (la sublime Rebecca Ferguson). Ilsa Faust est la deuxième idée géniale de McQ qui a conçu ce personnage comme un double féminin d‘Ethan Hunt, agissant dans son ombre, aussi agile en moto que sur des escarpins, spécialiste du ciseau tête en robe du soir et talons hauts. Mais ce n’est pas la seule femme autour de Hunt. Troisième idée géniale de McQ : Hunt est marié à Julia avec laquelle il lui est impossible de vivre sous peine de la mettre en danger et de ne plus pouvoir sauver le monde. Au lieu de tuer l’épouse encombrante du héros comme l’ont fait les scénaristes de James Bond et de Jason Bourne pour se simplifier le récit, McQ lui donne les traits de Michelle Monaghan et lui flanque un compagnon hyper sympa pendant que son mari continue d’exercer au sein de la IMF. Dans ce triangle amoureux cornélien, Hunt devient vulnérable et complexe. On est très loin du héros monolithique. Autour de lui, les personnages, qui ne sont plus là pour faire de la figuration, réagissent au caractère de Hunt que McQ fait vivre de plus en plus sous le regard des autres. Ses amis et ses ennemis parlent de lui en son absence, enrichissent et nuancent le trait. C’est l’une des marques de fabrique de McQ. Hunt ne peut désormais exister sans son équipe. Il préfèrera même foirer la mission que sacrifier un des membres de l’IMF.

 

 

Sur Mission Impossible : Fallout (traduire : Retombées) le scénariste de Usual Suspects, The Edge of tomorrow et Walkyrie s’adapte à la franchise et invente des scénarios où Ethan Hunt n’a d’autres alternatives que de risquer sa vie. Il s’avère un véritable créateur de scènes d’anthologie où il s’emploie à repousser les limites du septième art avec une exigence visuelle hors du commun, aidé en cela par Rob Hardy, le directeur de la photo de Annihilation et Ex-Machina. Objectif : aller plus loin, là où le spectateur n’est jamais allé, alliant le dépaysement spectaculaire des James Bond et le réalisme époustouflant des Jason Bourne. Pour renforcer ce réalisme, McQ a un atout de choc : l’acteur le plus cher du monde qui s’investit à 100% dans ses rôles jusqu’à passer deux ans pour préparer méticuleusement une scène dangereuse ou se péter la cheville pour réussir un saut entre deux immeubles. En exécutant lui-même ses cascades, Tom Cruise contribue grandement à crédibiliser des séquences impossibles. Tom Cruise est un grand acteur. Pas au sens où on l’entend quand on parle d’un comédien caméléon et expressif comme Robert de Niro. Si ce dernier est capable de prendre 30 kilos pour jouer dans Raging Bull, Tom Cruise est capable de prendre des leçons de pilotage durant 3 mois à raison de 8 heures par jour pour maîtriser l’Ecureuil H125 et accomplir des figures acrobatiques ! Tom Cruise est un grand acteur parce qu’il est cinétique, constamment en mouvement, ce qui est la définition même du cinéma. Cruise c’est 67 kilos de concentré cinématographique, tombé il y a 56 ans dans la marmite du septième art, né pour courir, voler, piloter, virevolter, sauter, tomber, glisser, plonger, se casser une jambe, jamais au même endroit d’une image seconde à l’autre ! Un film où Tom Cruise ne cavale pas est aussi rare qu’un film français où l’on ne s’assoit pas à une table pour bavasser, et il faut qu’Oliver Stone le cloue dans un fauteuil roulant dans Né un 4 juillet pour que l’acteur se tienne tranquille ! Dans M.I.6, il joue paradoxalement avec un plaisir évident les prouesses d’Ethan Hunt qui lui n’en éprouve aucun à les exécuter.

 

 

M.I.6 est l’œuvre à part entière de Christopher McQuarrie/Tom Cruise, entité artistique bicéphale maîtrisant à la perfection le scénario, la réalisation, la production et l’interprétation. Sans jamais déroger à une règle d’or : en donner aux spectateurs plus que pour leur argent, avec une sincérité totale. Résultat, dans le genre, M.I.6 est une œuvre inégalée (je ne parlerai pas de la 3D car je préfère voir les films en 2D).

 

Finalement, pourquoi on aime le cinéma ? Parce qu’on aime en avoir plein les yeux et les oreilles, on aime être bouche bée, aller là où on n’ira jamais poser les pieds, éprouver des sensations vertigineuses, vibrer aux côtés de personnages hors du commun, s’accrocher au fauteuil, tomber amoureux (qui ne rêverait pas d’avoir Ilsa Faust comme ange gardien ?), de croire à des trucs impossibles.

 

Sans vouloir paraphraser Pierrot le Fou et pour rester poli, je conclurai cette chronique ainsi : si vous n’aimez pas Tom Cruise, si vous n’aimez pas Mission Impossible : Fallout, alors vous n’aimez pas le cinéma.

 

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