Effets secondaires par Élodie Beaussart

Le Dr Gratz compulsait les différents documents posés sur son bureau. Il les étala comme un jeu de cartes puis toussota en relevant les yeux vers le couple installé en face de lui.

— Bon, au vu des résultats aux différents examens que je vous ai prescrits, je crois savoir ce qui pose problème.

La cinquantaine, moustache bien taillée et blouse cintrée sur un léger embonpoint, il regarda alternativement l’homme et la femme devant le bureau. Elle, petite, blonde, volontaire. Lui, à peine plus grand, sec et nerveux, le regard écarquillé.

Les feuilles étalées sur le sous-main de cuir marron s’intitulaient « spermogramme », « bilan hormonal », « examen gynécologique » et « échographie ». La pochette bleue d’où elles venaient portait une étiquette « bilan de fertilité Delplanque ». C’était le nom des époux : Louise et Fabien Delplanque.

— Alors quoi ? dit l’homme d’une voix traînante. Qu’est-ce qui se positionne comme problème ?

Il se tortillait sur sa chaise. Sa lèvre supérieure était mouillée de sueur.

Il ne faisait pourtant pas si chaud dans le bureau. Le Dr Gratz avait un gros pull sous sa blouse et Louise Delplanque avait gardé sa doudoune violette. Mais Fabien, lui, avait ôté son gilet en laine et restait en tee-shirt.

— Au fait, Docteur, on pourrait rotoscoper les résultats, là, on les a pas eus…

Le médecin toussota de nouveau.

— Roto… quoi ?

— Il veut dire photocopier, dit Louise. Hein, mon lapin ?

Elle frotta la tempe de son mari d’un air maternel.

— Euh, bien sûr, oui, dit le médecin. Je demanderai à la secrétaire de vous en faire une copie. Bon, revenons donc aux résultats des examens. Pour vous, Madame, tout fonctionne parfaitement. Ovulation, cycle menstruel, tout est impeccable.

La blondinette sourit et se dandina sur son siège d’un air satisfait. Ses grandes boucles d’oreilles fantaisie (fausses perles et fausses plumes) tintèrent tandis qu’elle tournait la tête vers son mari. L’air de profonde satisfaction qu’elle affichait déplut au praticien. Mais bon, après tout, elle était peut-être juste soulagée que le problème ne vienne pas d’elle.

— Pour vous, Monsieur… Il y a un souci.

L’homme tressauta sur sa chaise et se pencha en avant.

— Un souci ? J’ai un souci, moi ?

Le Dr Gratz lissa sa moustache et soupira d’un air résigné. T’en as plusieurs, même, mais tu ne t’en rends pas compte, mon gars, pensa-t-il.

— Le problème, dit-il, c’est la vitesse de pénétration.

— La quoi ? Qu’est-ce que c’est, je vois pas de quoi vous voulez parler, je suis pas handicapé, je pénètre très bien…

La femme pouffa et son mari la regarda, désemparé. Elle mit une main devant sa bouche pour étouffer son rire.

— Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Où vous avez trouvé ça ?

— C’est dans le spermogramme, Monsieur Delplanque. Vous savez, cet examen qui nous permet d’évaluer les caractéristiques de votre sperme. La quantité de spermatozoïdes est tout à fait normale. Ils ne souffrent pas non plus d’anomalies. Mais ils sont… trop lents.

— Trop lents ? C’est ça que vous voyez dans l’hologramme ?

Le médecin saisit la feuille d’examen et la montra à Fabien en tapotant un chiffre qu’il avait entouré en rouge.

— Le spermogramme, monsieur Delplanque. C’est marqué ici, leur vitesse de pénétration est insuffisante. En gros, ils peuvent parvenir jusqu’à l’ovule sans problème, mais une fois devant… ils ne font rien.

Un silence plus froid qu’un cadavre tomba dans la pièce. Silence soudain rompu par la sonnerie du téléphone, à laquelle le médecin mit fin en soulevant et reposant aussi sec le combiné. Il n’était pas d’humeur à répondre au téléphone, pas tant qu’il n’en avait pas fini avec ces zozos.

— Mais… couina l’homme.

Les résultats d’analyse tremblaient dans ses mains.

— Quelles sont les solutions ? demanda Louise Delplanque d’une voix claire et assurée.

En voilà une au moins qui a quelques neurones, pensa le médecin.

C’est avec un soulagement palpable qu’il répondit :

— Une FIV est inenvisageable dans ces conditions. Même en mettant les spermatozoïdes à l’intérieur de l’ovule, on n’obtiendrait rien. C’est leur dynamisme qui est déficient. Il ne reste qu’une possibilité : le don de sperme. Et ça vaut peut-être mieux pour vous, madame, pensa-t-il. Parce que si le bébé hérite du Q. I. de son père…

S’il avait insulté Fabien Delplanque avant de le gifler à pleine volée, il aurait sans aucun doute obtenu le même résultat.

Une tornade naquit soudain au beau milieu du bureau : les feuilles d’examens, le cadre avec la photo de famille du médecin, sa trousse, son bloc-notes, ses post-it, sa lampe, tout fut balayé et le Dr Gratz se retrouva face à Fabien Delplanque debout, le bras encore tremblant après avoir tout envoyé par terre, les yeux exorbités, le corps tendu comme un ressort prêt à casser.

Qu’est-ce que vous me racontez, c’est n’importe quoi ! Viens Louise, on s’asperge d’ici !

L’homme attrapa sans ménagement sa femme par le bras et le couple sortit du bureau.

La porte claqua et le Dr Gratz se retrouva seul au milieu du capharnaüm d’objets brisés et de feuilles envolées. Il eut un rire nerveux, leva les yeux au ciel, lissa sa moustache puis se décida à ramasser le téléphone tombé par terre. Il allait appeler la secrétaire et avancer sa pause-déjeuner. Oh oui. Et peut-être même la prolonger d’une heure ou deux. L’en avait assez pour aujourd’hui.

 

— Y a rien, rien du tout ! fulminait Fabien, assis dans le canapé, l’ordinateur portable posé sur les genoux.

Il pianotait de la main droite sur le clavier, sa main gauche tenant un mug rempli de café brûlant.

Louise posa le panier de linge sale qu’elle transportait et vint s’asseoir près de lui.

— C’est la proie et la tanière pour avoir des infos sur Gaugle.

La croix et la bannière, tu veux dire ? Ah, tu te fais trop de souci, dit-elle en posant un léger baiser sur la tempe de son mari.

— Ça fait des heures que je regarde tous les sites que je peux trouver sur les problèmes de spermotruc chez les hommes, et partout c’est marqué qu’ y a aucune solution par rapport à mon problème… à part le foutu don d’organe !

Sa lèvre inférieure se mit à trembler et il renifla.

Louise saisit délicatement le mug de la main de Fabien et le posa sur la table basse.

— Le don de sperme. C’est rien, ça va aller, mon lapin.

Elle entoura Fabien de ses bras.

— On fera rien que tu veux pas, dit-elle. On peut adopter un pauvre gamin qu’a plus de parents, si tu veux. Si ça se trouve, on pourra même choisir la couleur, comme pour la voiture !

Fabien resta immobile, le nez plongé dans le décolleté généreux et inondé de parfum bon marché de sa femme.

— C’est quand, ton irrigation ? finit-il par demander.

— Tu veux dire, mon ovulation ? Ben, la semaine prochaine. Samedi ou dimanche, d’après mon tableau.

Il releva la tête. Ses lèvres ne tremblaient plus, son regard était déterminé.

— Je serai prêt, ma carotte. Je vais trouver une solution.

 

Quatre heures six du matin.

En caleçon, pieds nus sur le carrelage, Fabien était de nouveau assis dans le canapé. L’ordinateur portable réchauffait ses cuisses tandis que le premier café de la journée brûlait ses lèvres. C’était l’automne et il ne devait pas faire plus de quinze degrés dans le salon où les radiateurs électriques étaient éteints, mais Fabien n’avait pas froid.

Il s’était réveillé d’un coup, à trois heures cinquante-six du matin. Une image lui était revenue en tête. Une publicité sur un énième site visité la veille lors de sa recherche intitulée « infertilité vitesse de pénétration » sur Google. Il n’y avait pas prêté attention sur le moment, fatigué de naviguer entre les messages désespérés des hommes infertiles sur les forums et les promesses des marabouts désireux de vous vendre leurs potions à base de corne de rhinocéros et de testicule de tigre.

Fabien avait cherché dans l’historique de son navigateur Internet pour retrouver le site en question.

Louise dormait à poings fermés dans leur chambre, de l’autre côté du couloir. Fabien ne l’avait pas touchée depuis la visite chez le médecin – il voulait mettre toutes les chances de son côté pour l’ovulation. Elle allait devoir attendre après-demain si elle voulait lui enlever l’un de ses caleçons aux couleurs du drapeau anglais (elle les avait trouvés en promo chez Auchan et elle les adorait !) en se mordant les lèvres comme elle le faisait si bien – et bon sang, ce que ça pouvait l’exciter !

« Testez notre méthode naturelle pour booster vos spermatozoïdes », disait le slogan clignotant qu’il fixait maintenant sur l’écran du portable tout en sirotant son café.

Un scientifique en blouse blanche, teint bronzé et sourire de porcelaine, expliquait sur une vidéo que « le Sperminator est un mélange de plantes connues depuis des centaines d’années et originaires de forêts en Sibérie et en Ukraine. Notre laboratoire en extrait le suc – avec des méthodes respectueuses de l’environnement – afin de les proposer en gélules à notre clientèle ».

Le produit – deux gélules à prendre respectivement une heure et cinq minutes avant le rapport sexuel pendant la période d’ovulation – coûtait quatre-vingt-neuf euros, auxquels s’ajoutaient les six euros de frais d’expédition si on souhaitait les recevoir sous vingt-quatre heures.

«Vous ne perdez rien à essayer ! » concluait le scientifique.

Un grand sourire idiot se peignit sur le visage de Fabien.

Sperminator, murmura-t-il. Cool…

Il alla jusqu’à la penderie à l’entrée et fouilla dans son blouson pour récupérer son portefeuille. Quelques instants plus tard, il tapait les chiffres de sa carte bancaire dans le formulaire en ligne.

 

Louise se réveilla samedi matin avec une douleur localisée dans le bas-ventre, à droite. Les joies d’être une femme : depuis qu’elle avait arrêté la pilule, elle avait non plus un mais deux moments pénibles dans le mois. La douleur de l’ovulation n’était pas une crampe sourde comme celle qui précédait les règles. C’était une tension concentrée en un point, certains mois à gauche, d’autres fois, à droite, comme ce matin.

Son dos était crispé. Les yeux encore fermés, elle s’assit dans le lit et essaya de toucher ses orteils.

L’odeur du café flotta jusqu’à ses narines et elle grimaça. Elle détestait ce breuvage et ne comprenait pas comment son mari pouvait en boire autant. Enfin, c’était toujours mieux que d’avoir un mec accro à l’alcool, comme le nouveau copain de sa mère…

Louise ouvrit les yeux en entendant Fabien entrer dans la chambre. Elle lâcha ses tibias (elle n’arrivait jamais à toucher ses orteils) et éclata de rire en le voyant : tout nu, le sexe en érection, il tenait le plateau du petit-déjeuner dans les mains et arborait un sourire triomphant.

Ta daaam ! fit-il d’un air hilare. Tu veux manger ton petit-déj d’abord, ou ton mari d’abord ?

Elle déglutit et le fixa d’un air mi- amusé, mi- surpris.

— Qu’est-ce qui se passe, j’ai loupé un truc ? C’est l’anniversaire de quelqu’un ?

— Tu m’as bien dit que c’était aujourd’hui, ta germination ?

— Mon ovulation, euh, oui… Justement j’ai un peu mal et je pense que…

Il la coupa pour réciter une phrase qu’il avait visiblement apprise par cœur.

— Ton petit mari t’a préparé de quoi reprendre des forces après l’amour ! J’avais mis un caleçon comme tu aimes bien, mais finalement j’ai décidé de te laisser apprécier la vigourosité de ma motivation !

Il eut un rire dément. Le plateau tremblait légèrement dans ses mains.

— Alors ma petite carotte d’amour, ça t’inspirationne ?

Louise soupira mais elle se rallongea quand même sur le lit après avoir enlevé son pyjama rose avec un chat bleu sur le maillot qui disait « Chat dort encore ? ». Elle n’allait pas le contrarier de grand matin, après il allait grogner toute la journée et elle n’arriverait jamais à le convaincre d’aller acheter la belle petite horloge moderne qu’elle avait repérée l’autre jour chez Maisons du Monde. Et elle la voulait, cette horloge.

En plus, elle estimait qu’après le coup dur de la consultation de la semaine dernière, son mari avait bien le droit de s’amuser un peu avant la suite des évènements. Par « suite des évènements », elle pensait notamment à Franck, son coiffeur super mignon. Non seulement il était hétéro, mais en plus il était divorcé et déjà père d’un gamin de deux ans qui vivait chez sa mère. Deux semaines plus tôt, il avait ouvert son salon un jeudi midi, rien que pour elle, et s’était occupé d’une autre toison que celle qu’elle lui mettait habituellement entre les mains. Elle avait pu vérifier que ses talents manuels dépassaient largement le cadre de l’art capillaire. Elle avait joui et une idée lui était venue : elle pourrait bien tomber enceinte de lui.

Le contact des mains de Fabien lui parut désagréable : il était en sueur.

— T’es sûr que ça va, mon lapin ? Tu nous couves pas un truc, là ?

— Au contraire, je pète la force ! dit-il.

Tandis qu’il se positionnait sur elle et la pénétrait sans préliminaires, elle se dit qu’elle pourrait même tomber amoureuse de Franck. En plus, c’est toujours pratique d’avoir un coupe-tifs chez soi, vu que les balayages, ça coûte quand même super cher.

Elle commença à gémir en rythme pour faire plaisir à Fabien qui la pilonnait rapidement. Elle ouvrit les paupières, chassant le souvenir de Franck, et regarda son mari. Pour ce qu’elle en savait, elle aurait pu tout aussi bien rester aussi immobile qu’une méduse morte : il avait fermé les yeux et son visage entier était trempé de sueur.

Louise sentait les coups de boutoir ébranler tout son mobilier intérieur et commençait à se lasser, car la douleur dans son bas-ventre avait augmenté.

— Lapin, peut-être qu’on pourrait prendre le temps… commença-t-elle.

Elle vit alors avec horreur le visage de Fabien se contracter et les veines du cou et des tempes commencer à gonfler, en même temps qu’elles tournaient du bleu au noir.

— Fabien ! cria-t-elle. Ton visage !

Elle avait les mains posées dans le dos de son mari et elle sentit aussi la peau se soulever sous les veines dans lesquelles battait fiévreusement le sang.

— Oh mon Dieu ! cria-t-elle. Arrête, Fabien, y a un problème !

Elle ramena ses mains et le gifla pour le faire réagir.

Sous le coup, il arrêta ses va-et-vient et ouvrit les yeux.

Louise hurla.

Les yeux de Fabien étaient révulsés et dans le blanc on distinguait les minuscules vaisseaux capillaires qui étaient devenus noirs eux aussi.

Alors, un spasme secoua l’homme et une éjaculation puissante se répandit dans les entrailles de Louise qui hurla de nouveau : son putain de sperme était brûlant !

Fabien haleta quelques instants, immobile, puis ses joues se gonflèrent et il serra les lèvres comme pour réprimer…

Bleuâaaaarp…

Un liquide noir où flottaient des morceaux verts – comme de la mousse – s’échappa de sa bouche et vint éclabousser la poitrine, le cou, le visage et les cheveux de Louise.

Fabien venait de prononcer le dernier néologisme de sa courte vie : il bascula sur le côté et tomba du lit. Sur le carrelage de la chambre, son corps se mit à gonfler et le liquide ténébreux jaillit de tous ses orifices, tandis qu’un dernier spasme agitait sa jambe qui cogna le plateau du petit-déjeuner. Les verres se renversèrent et se brisèrent au sol et du jus de pommes alla se mêler à l’abominable magma visqueux.

Louise se plia en deux au bord du lit. Son ventre hurlait de douleur. Elle trouva néanmoins la force de se pencher sur son mari. Trop tard. Il était mort, défiguré, son corps se vidant lentement avec des gargouillements obscènes. L’odeur qui sortait du liquide noir aux mousses vertes était étrange : comme un mélange de pastis et de café.

Louise gémit : l’intérieur de son vagin semblait avoir été décapé au papier à poncer et elle ressentait une douleur pulsante dans son utérus. Elle se leva, courbée en deux comme si elle avait quatre-vingt-dix ans et non vingt-quatre, et elle enjamba le cadavre de son mari. Elle ne put cependant éviter la flaque de magma qui commençait déjà à refroidir et elle grimaça au contact du liquide avec ses pieds nus.

Elle se traîna jusqu’à la salle de bains, laissant des empreintes marron sur le carrelage. Elle se précipita dans la douche et ouvrit le mitigeur : dès que l’eau fut tiède, elle dirigea le jet vers son entrejambe. Elle tourna la molette afin d’obtenir un jet concentré et, écartant les lèvres de sa vulve, elle envoya l’eau directement à l’intérieur d’elle. Elle cria sous la douleur mais fut soulagée de voir le contenu de l’éjaculation ressortir en nappes épaisses noires qui se diluèrent dans l’eau et furent aspirées par le siphon. Des traces de mousse verdâtre maculaient le rideau de plastique.

Je dois me débarrasser de ce poison !

Une idée horrible la frappa : et si c’était contagieux ?

Un spasme déchira soudain son ventre : c’était comme si quelqu’un ouvrait son utérus en deux avec un couteau émoussé. Elle écarta le rideau de douche et tomba à genoux sur le tapis de bains aux motifs de vagues bleues et vertes.

L’eau continuait de jaillir de la pomme de douche, éclaboussant le carrelage et envoyant des gouttelettes sur Louise.

Mon téléphone… je dois appeler les pompiers !

Elle essaya de se relever en prenant appui sur le rebord du lavabo mais un autre spasme la secoua et elle se recroquevilla en position fœtale avec un sanglot. Sa main droite avait heurté quelque chose qui tomba sur le carrelage devant ses yeux.

Une boîte de médicaments.

« Sperminator, une dose », lut Louise à travers les mèches de ses cheveux en désordre collées à son front.

— Qu’est-ce que…

Des papillons noirs se mirent à danser devant ses yeux et tout s’obscurcit.

Elle lutta contre l’évanouissement et saisit la boîte devant elle. Elle se souvenait de Fabien lui disant qu’il allait trouver une solution, qu’il serait prêt.

— Salaud, qu’est-ce que t’as fait ! gémit-elle.

Elle extirpa un blister dont les deux emplacements pour des gélules étaient vides et une notice qu’elle déplia.

« Sperminator, boosteur de spermatozoïdes » disait la notice.

Noms de plantes inconnues…

Liste d’effets secondaires éventuels…

Une douleur intolérable éclata dans son corps et soudain elle sentit quelque chose bouger dans son ventre.

Oh non qu’est-ce qui m’arrive, qu’est-ce que…

Louise vit avec horreur son ventre commencer à enfler.

Sa main se crispa sur la notice et elle se mit à pleurer et crier tandis que son ventre se déformait de plus en plus, atteignant maintenant la circonférence moyenne d’une grossesse au huitième mois. Puis quelque chose rompit avec un chuintement mouillé à l’intérieur de son corps et soudain les papillons noirs qui voletaient devant ses yeux devinrent violets. La couleur pourpre se mit à pulser de plus en plus lentement tandis que quelque chose sortait avec un grand floc mouillé de son vagin.

Au milieu du magma noir et du sang coagulé, des spermatozoïdes gros comme des têtards se traînaient, battant mollement l’air de leurs flagelles, pareils à des poissons échoués au sol après que quelqu’un eut brisé les parois de leur aquarium. L’un d’eux se dirigea droit vers la tête de Louise et stoppa à quelques centimètres de ses yeux : elle eut l’impression que la bête obscène souriait en la regardant, découvrant une rangée de microscopiques dents toutes blanches.

« Sperminator est un traitement expérimental non soumis à une autorisation de mise sur le marché », disait la notice que Louise serrait convulsivement dans ses doigts souillés de sang. « Nous invitons nos clients à être très prudents quant aux possibilités d’interactions médicamenteuses néfastes… ».

Les pulsations violettes s’arrêtèrent et la dernière phrase resta imprimée sur la rétine de Louise :

« … quelques cas de réactions allergiques graves ont été reportés, notamment dans le cas d’une consommation excessive de caféine ».

— Je t’avais dit que tu buvais trop de café… murmura Louise.

Ses yeux s’écarquillèrent : est-ce qu’il était vraiment marqué « Interdit de rotoscoper cette notice » au bas de la feuille ?

Elle essaya de rire. Mais le son s’éteignit sur ses lèvres.

Alors elle cessa de s’agiter.

 

Ou à lire en PDF http://www.phenixweb.info/sites/default/files/Effets-secondaires-Elodie-...

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Commentaires

Bravo Elodie pour ce texte aussi court qu'efficace ! Tu parviens à bien nous prendre par surprise en nous orientant vers une fausse piste vaudeville/grand guignol pour mieux déchainer l'horreur par la suite. C'est très bien fait, j'ai beaucoup aimé ce texte :)

 

Bon courage, continue comme ça !

Philippe-Aurèle

Première fois que je vous lis et j'en ai perdu mon mascara naturel! j'aime beaucoup votre style d'écriture et la façon dont vous tourner les choses, le dénouement est innatendu!