Vrai monstre et fausse frayeur par Albine Tangre

Georges et Franklin travaillaient tard ce soir-là, comme tous les autres soirs qui précédaient l’examen. Le bureau qui leur était réservé à l’école d’audiovisuel était devenu leur deuxième maison. S’ils réussissaient à donner vie à leur idée, ils pourraient enfin prétendre être des professionnels. Franklin voulait conquérir Hollywood et les studios d’effets spéciaux, et Georges désirait continuer ses études dans l’art. Il avait pour projet de créer ses propres films d’animation.

Franklin s’étira sur sa chaise de bureau, éreinté par de longues heures passées à plancher sur le projet. Georges commençait quant à lui à piquer du nez, se rattrapant de justesse avant de s’écraser le nez sur le bois du meuble.

— Bon je rentre, je n’en peux plus ! décréta Georges.

Levant à peine un œil de la table lumineuse, Franklin lui lança d’une voix ensommeillée :

— Moi pas. Je reste encore un peu. Je veux finir de rotoscoper et entrer ça dans l’ordi. À demain !

— Tâche de ne pas faire de bêtises !

Georges fit un geste de la main pour saluer son ami puis s’en alla, un peu inquiet. Son collègue avait tendance à accumuler les bourdes. Mais il fallait bien partager le travail. Et cela ne manquait pas. Créer un film d’animation de dix minutes prenait énormément de temps, et c’était bien connu qu’il était impossible de l’étirer comme la ficelle du string de quelqu’un qui sous-estime sa taille.

Franklin se leva, se servit une tasse de café et la fit chauffer au micro-onde. Si tout allait bien, ils finiraient le plus gros du boulot dans une semaine et pourraient passer aux détails à peaufiner. Mais il fallait d’abord s’occuper de la rotoscopie. Ces images d’un homme qui marche serviraient à créer les contours d’une momie. La plus effrayante, mieux encore que celles récemment vues dans les gros blockbusters.

Reboosté par ses ambitions, le jeune homme prit sa tasse fumante et se remit au travail. Petit à petit, le nombre d’images dont il fallait décalquer le tour s’amenuisa. Lorsque cette étape fut enfin achevée, il fallut encore scanner chaque calque pour l’enregistrer. Ce fut fastidieux, et ennuyant. Si bien qu’aux environs de trois heures du matin, quand le jeune homme eut fini, il voulut s’amuser un peu. Il prit la première image et la personnalisa. Il traça les bandelettes une à une, puis ajouta un regard noir dans lequel brillait une flamme vengeresse. Franklin termina par une coloration rose fuchsia de l’ensemble. Il songea qu’il devrait à tout prix effacer cette horreur qu’il venait de créer avant que Georges ne la voie. Mais après tout, avec tout le travail fourni et vu l’heure qu’il était, Franklin décida qu’il avait bien droit à une petite récréation.

Enfin la momie ressemblait à quelque chose. Et mise à part sa teinte ridicule, elle pourrait bien faire peur. Avant d’effacer cette personnalisation étonnante et de rentrer chez lui, le jeune homme décréta qu’il avait bien gagné le droit de faire une opération pillage de réserve. Il se rendit dans le placard à nourriture afin de grignoter. Mais il ne trouva rien à son goût. Quelques malheureuses tranches de viande séchée achevaient de prendre la poussière sur une étagère. Visiblement, Georges n’avait pas réussi à contenir ses fringales. Qu’à cela ne tienne, Franklin mangera chez lui.

Par acquis de conscience, il vérifia chaque élément du dossier « momie qui fout les boules ». Mais l’heure aidant, il s’assoupit sur le clavier de son ordinateur avant même de sentir arriver le coup de fatigue. Dormant comme un enfant, il déplaça son bras pour prendre son nounours imaginaire. Sans le savoir, ce geste entraîna une succession d’événements qui allait lui faire regretter de n’être pas rentré plus tôt. La combinaison de touches sur lesquelles son membre avait appuyé, conjuguée à un orage qui se déclenchait violemment donna vie à la momie. Chose impossible, mais malheureusement bien réelle pour le pauvre homme qui se réveilla en sursaut.

L’esprit encore embrumé par son petit somme, Franklin ne comprit pas tout de suite ce qu’il venait de se passer. Il se frotta les yeux, regrettant le rêve qu’il venait de quitter, et connut alors l’effroi. La chose qui se tenait devant lui provenait de ses délires de graphiste fatigué. Jamais une telle chose n’aurait du, ni n’aurait pu se produire ! Mais le fait était là. La momie venait de se réveiller et allait sûrement le tuer. L’horreur plaquée sur son visage, le jeune homme se mit à reculer doucement. Il voulait échapper à une fin atroce, donnée par une chose sans nom.

— Un zéro zéro un un, prononça la momie d’une voix caverneuse.

Hilare, le jeune graphiste s’approcha de l’ordinateur et effectua une manipulation afin de passer d’un langage à un autre.

— Tu es en mode binaire puisque numérique. Attends, je vais mettre en français ! Ce sera plus simple.

— I’m the horror and I’ll kill you !

— Yo soy el horror y lo mato !

De plus en plus amusé, Franklin décida de passer la momie en français.

— Je suis l’horreur et je vais te tuer ! Ah enfin, tu as fini de jouer. Crains-moi car ton trépas est proche.

Quelque peu moins riant, le jeune homme songea qu’il allait mourir. Il dévisagea la momie et, bien malgré lui, Franklin commença à sourire. Puis un gloussement irrépressible s’empara de lui et gonfla, jusqu’à devenir un franc fou rire.

Plié en deux, le graphiste ne put faire un pas de plus. Il était si hilare que la momie en prit ombrage. D’une voix venue d’outre-tombe, elle tonna :

— Pourquoi ris-tu ainsi, pauvre inconscient ? N’as-tu pas compris que je suis la mort, ta mort ? Je vais te faire regretter ton affront !

— Excusez-moi, hoqueta Franklin, mais cette couleur… C’est à mourir de rire.

L’ignominie tourna sa tête dans un craquement sinistre et vit un miroir. Elle s’en approcha, se regarda rapidement, puis se mit à geindre.

— Quelle teinte ! Non mais quelle idée ! Je dois faire peur, et non pas provoquer le rire. Je suis fini, fichu. Je n’ai plus qu’à remballer mes bandelettes et direction le Nil. Avec un peu de chance je m’y noierai, emporté au fond par le poids de ma chair desséchée. Tu te rends compte qu’avec tes âneries tu me mets en porte-manteau ?

— Pardon ? En porte–à-faux plutôt !

— Oui, et bien je crois que ta base de données de la langue française a un problème.

— Et moi je crois que c’est ta langue qui a un problème.

— Forcément, je n’en ai pas.

Cette momie était si étonnante et pitoyable que Franklin lui assura que malgré son côté ridicule, il avait peur d’elle. Celle-ci s’essuya les yeux et se moucha dans les bandelettes de son bras, qui à présent dégoulinaient de mucus. Reprenant un peu de contenance grâce à cet aveu, l’horrible être se remit péniblement en marche.

Il était temps pour Franklin de s’enfuir à nouveau. Il ouvrit la porte du bureau qu’il occupait dans le bâtiment et commença à remonter le couloir. Il stoppa sa fuite quand il entendit un net « aïe » provenir de derrière lui. Il se retourna et vit la momie allongée à terre, grognant en se tenant le bras.

— Qu’y a-t-il encore ? cria le graphiste sans bouger de sa position.

— Il y a que je viens de perdre une main en tombant. Un imbécile de graphiste a eu un problème de proportion en me dessinant, et je n’ai pas pu passer la porte sans heurter le haut du crâne. Tu as de la chance que mon cerveau ait été aspiré après mon trépas, sinon il y en aurait partout à cette heure-ci.

Franklin se rapprocha doucement de la momie, sur ses gardes au cas où ce soit un piège. Elle était certes ridicule et pas adroite, mais n’en demeurait pas moins un être qui voulait le tuer.

Mais ce qu’elle avait dit été vrai, une main décharnée gisait au sol. Le moignon de la momie ne saignait pas, ce qui arrangeait le jeune homme. Il était trop fatigué pour faire le ménage, bien que les bandelettes de la momie auraient pu faire une bonne serpillère. À ce propos, Franklin remarqua que l’entourage de la chose commençait à se défaire, laissant apparaître une peau parcheminée à même les os.

Absorbé par la contemplation de la momie, le graphiste ne la vit pas tendre son bras valide et lui attraper la jambe. D’un mouvement plus fort que ne pouvait expliquer son manque de muscle, l’horrible être fit tomber le jeune homme. Allongés tout deux côte-à-côte, Franklin vit sa dernière heure arriver.

C’est là que se produisit quelque chose d’étonnant. Les yeux de la momie se mirent à briller d’un feu alimenté par la violence, devenant de plus en plus lumineux. Elle lâcha le jeune homme, qui en profita pour reculer à la force de ses jambes. Il se mit enfin debout, regardant le spectacle, tout en étant à bonne distance. Maintenant, une odeur de roussi se répandait dans le couloir. La tête de la momie commençait à fumer, et c’est là qu’elle comprit. La lueur dessinée dans ses yeux s’était tant intensifiée qu’elle la faisait brûler. Criant à qui mieux mieux, la momie courut pour chercher un moyen de s’en sortir.

Franklin l’aurait volontiers laissée se consumer, mais les alarmes anti-incendie allaient se mettre en route. Le jeune homme serait incapable d’expliquer à qui que ce soit le pourquoi du comment de tout ce bazar. Même s’il disait que l’alarme s’était déclenché seule, il serait bien en peine de dire comment une main momifiée avait pu se retrouver ici. Alors il courut chercher un seau d’eau, qu’il versa sur la tête en feu de la momie.

— Tu vois à quoi la haine et le meurtre te conduit ? Je sais que tu brûles d’envie de me tuer, mais ce n’est pas une bonne solution, ni pour toi ni pour moi. Viens, on va s’asseoir et boire un café.

— J’en ai assez de toi ! Tu m’as créée et je suis totalement envasée. Euh … embaquée. Non, empotée. Tu vois, je n’arrive même pas à trouver les bons mots.

La momie ramassa sa main et suivit Franklin vers le bureau. Il servit deux tasses de café qu’il fit chauffer, pendant que la chose s’asseyait dans de lugubres craquements. Le jeune homme posa les tasses fumantes sur la table et regarda sa création.

— Je vais changer ta couleur, enlever la lueur dans tes yeux et resserrer tes bandelettes. À ce propos, tu feras attention car tu commences à les perdre.

La momie regarda le vestige de son corps et s’aperçut en effet qu’elle s’effeuillait de plusieurs endroits. Elle essaya tant bien que mal de faire tenir le tout, mais plusieurs morceaux étaient manquants. Au bout du rouleau, l’horreur plus très horrible posa sa tête sur ses mains. Et bing ! Elle tomba le menton sur la table, faisant voler au passage quelques vieilles dents mal chaussées. La terreur pitoyable avait oublié que l’une de ses deux mains était posée à côté de sa tasse. De rage, elle la balança en direction du placard, puis regarda son créateur avec dépit et lui dit :

— C’est bien gentil de me servir un café, mais je ne vois pas comment le boire ! Que je sois un antique cadavre de roi égyptien ou encore un dessin numérisé, je n’ai ni estomac ni œsophage. Alors laisse tomber le moment convivial autour d’une table et renvoie moi là d’où je viens. Le Nil et ses circuits imprimés vaudront mieux que ton bureau qui est un danger pour une mamie comme moi. Non, momie.

Franklin voulait lui aussi en finir avec ce moment particulièrement étrange, mais ne savait pas comment faire. Pendant qu’il y réfléchissait, la momie faisait les cent pas dans la salle. Son angoisse augmentait à vue d’œil. Il est vrai qu’une vie dans ce monde n’était pas faite pour elle. Elle n’était qu’une création provisoire, destinée à amuser un graphiste épuisé. À force de marcher en long et en large, la créature accéléra la perte de ses bandelettes. Tant et si bien qu’elle finit par laisser trainer derrière elle une bande de tissu de plusieurs centimètres. Mais elle était trop préoccupée pour s’en apercevoir. Ce qui devait arriver arriva, la momie se prit les pieds dans son bandage défait. Dans sa chute, elle voulut se retenir au porte-manteau. Mais elle ne put éviter de tomber lourdement, se prenant l’objet sur son crâne. Son nez déjà en piteux état se fractura, créant une béance qui allait jusqu’à la bouche.

Quand elle voulut se relever, elle entortilla une bandelette autour de la chaise de Franklin, qui tomba à son tour. Le jeune homme entra dans une colère noire, aussi bien contre la maladresse de la chose, que contre son incompétence à créer une momie digne de ce nom.

— Maintenant tu t’assieds et tu ne bouges plus ! hurla-t-il.

Il lui fallait se concentrer, chose impossible si une chaîne de catastrophes s’abattait derrière lui. Pour commencer, il devait connaître la réaction qui avait conduit à donner vie à un dessin numérisé. Mais, à part l’orage tonnant au loin, le graphiste ne put identifier de cause à ce phénomène inédit. Il songea bien à interroger la momie, mais elle ne pouvait pas faire les choses les plus banales correctement, comme faire peur ou tuer, alors elle ne pourrait pas l’aider.

À force de travail, Franklin sentit la lassitude s’emparer de lui. Bientôt il ferait jour, et Georges reviendrait. Que se passerait-il alors, quand il verrait sur le sofa du bureau une chose rose, brulée et à qui il manquait une main. Pas le choix, il fallait résoudre ce problème rapidement. Il essaya en vain plusieurs solutions : recréer le dessin de la momie dans l’ordinateur, rotoscoper à nouveau puis numériser afin de remplacer le dossier. Rien ne marchait, car Franklin avait épuisé toute son énergie dans cette folle nuit.

Vaincu par la fatigue, et à une heure du retour de Georges, Franklin s’assoupit sur son clavier. La momie s’en aperçut et pensa qu’enfin sa chance tournait. Puisque son apparition s’était faite pendant le sommeil de son créateur, sa disparition serait peut-être plus favorable dans les mêmes conditions.

Le temps passait, Georges était en train de se laver. Et la momie était encore assise sur le canapé. Franklin dormait profondément. Il rêvait à nouveau de son doudou, celui qu’il avait tant chéri puis perdu quand il était enfant. D’un geste inconscient, il ramena son pouce droit dans sa bouche, et se mit à le sucer.

Georges montait à présent dans sa voiture. Il arriverait au bureau dans une demi-heure maximum. Il était pressé de voir les avancées de son collègue dans ce projet qui comptait tant pour la note finale de leur examen. Mais Franklin était peu doué, bien que volontaire. Il travaillait dur afin de combler ses lacunes, mais demeurait sous le niveau des autres. Malgré tout, jamais Georges n’aurait voulu d’un autre binôme. C’était son ami, un gars bien avec la tête sur les épaules et un solide sens de la réalité.

Dans le bureau, la momie comprenait qu’il était trop tard pour elle. Bientôt quelqu’un la découvrirait. Alors elle serait emmenée, autopsiée et examinée sous toutes les coutures. Franklin atterrirait certainement à l’asile lorsqu’il raconterait son épopée de la nuit passée.

Par un hasard ou une volonté divine, ce fut au moment où Georges passait son badge sur le détecteur de la porte principale que Franklin reproduit la séquence qui avait tout déclenché. Une étincelle jaillit de l’ordinateur et la momie disparut. Le jeune homme ne s’était aperçu de rien.

Il fut réveillé par la porte du bureau qui grinçait. Il vit son ami Georges ouvrir d’immenses yeux éberlués. La cause était évidente. La momie devait se trouver encore assise sur le sofa. Alors qu’il cherchait à l’explication qu’il allait donner, Franklin vit canapé vide. La chose la plus importante à faire était donc de retrouver cette satanée chose et de la cacher.

Georges avançait prudemment parmi les objets présents au sol. Il évita le porte-manteau et le ramassa, puis s’approcha de son ami. Celui-ci semblait s’être éveillé depuis quelques minutes seulement, les cheveux en pétard et les yeux hagards. Qu’avait-il bien pu faire pendant la nuit passée qui pourrait expliquer le capharnaüm qui régnait dans la pièce ? Alors que Franklin tournait la tête à droite et à gauche à la recherche d’on ne savait quoi, son ami entreprit de faire le tour des pièces alentours. Franklin voulut s’interposer mais il chut en se prenant les pieds dans sa chaise.

— Va te coucher, Franklin ! Tu ne tiens pas debout, et tu n’as pas dû beaucoup dormir. Je ne sais pas ce que tu as fait, mais nous en parlerons à ton réveil. Moi je vais nettoyer un peu, je crois.

Franklin ne sut quoi faire ou dire. Il était en effet fort fatigué, et son lit serait un bon réconfort. Il mit son manteau et sortit, plus du tout convaincu que la présence de la momie ne fut pas rêvée.

Georges continua son inspection. Dans le couloir se trouvait une odeur de brûlé ainsi que des traces noires sur le mur et une flaque d’eau à terre. Le haut d’une porte était ébréché. Dans le bureau, une longue bande de papier rose, sûrement du papier toilette, entourait les pieds de la chaise de Franklin et se déroulait sur plusieurs centimètres. Le plus étonnant se trouvait sur la table. Aux côtés de deux tasses remplies de café froid, des dents qui paraissaient avoir été abandonnées par une antique momie. Le garde-manger était quant à lui aussi vide que d’habitude. N’ayant pas eu le temps de prendre son petit-déjeuner, Georges attrapa la viande séchée qui trônait seule dans le placard. Il fut amusé de voir que le plus gros morceau avait la forme d’une main. Affamé, il croqua dedans de bon cœur. Le goût était un peu rance, mais ça passait quand on n’avait que cela.

Georges se mit assis sur le sofa, terriblement troublé par tout ce qu’il venait de découvrir. Est-ce que le surmenage avait fait dérailler son ami ? Etait-il devenu fou ? L’explication que Georges préféra retenir fut le somnambulisme. À cause de la fatigue, de la pression et d’une longue nuit à travailler, Franklin s’était sûrement assoupi. Puis il avait déambulé et fait un certain nombre de choses toutes plus bizarre les unes que les autres. Quant à la présence des dents presque fossilisées, c’était moins aisé à comprendre. Peut-être que le jeune graphiste avait apporté cela avec lui afin d’avoir un modèle pour travailler.

Après avoir tout rangé et nettoyé, Georges fit couler du café et se mit au travail. Il devait s’occuper des choix esthétiques pendant que son ami gérait toute la partie technique. Mais il avait beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, rien ne lui convenait. Les momies qu’il esquissait étaient soit trop peu effrayantes, soit déjà vues.

Par acquis de conscience, et pour expliquer le nombre d’heures que Franklin avait passé au bureau, Georges alluma son ordinateur. Il voulait connaître l’état d’avancement de son collègue.

Ce qu’il vit le stupéfia. Un dossier était resté ouvert, intitulé « momie qui fout les boules ». Il représentait une œuvre à la fois horrible et terriblement réelle. La momie qui occupait le centre de l’écran avait le haut du crâne fissurée, son nez présentait une fracture qui s’étendait jusqu’à la mâchoire inférieure. Il lui manquait une main ainsi que quelques dents. Les détails qui la rendait unique, c’était cette couleur rose brûlé qui recouvrait les quelques bandelettes encore présentes et la lueur assassine dans les orbites vides. Le dessin était à la fois original et horrifiant, nouveau mais aussi très représentatif. Georges n’eut pas à travailler longtemps avant de rendre la première image de leur projet absolument parfaite.

Quand Franklin revint au travail après quelques heures de repos et un solide petit-déjeuner, il trouva son collègue allongé sur le sofa, un grand sourire aux lèvres. Ne comprenant pas trop pourquoi, il regarda l’image que Georges avait mise en fond d’écran de son ordinateur. Il s’agissait de la momie, sa momie ! L’incompétente et maladroite chose avait réussi à regagner son lieu d’origine. Et il fallait avouer que le résultat était surprenant. Presque rien n’était changé depuis son départ pourtant. Le jeune homme s’assit aux côtés de son ami, qui lui dit tout en lui serrant la main :

— Félicitations ! S’il te faut péter un câble pour obtenir ce résultat, on va y remédier. Cette momie est horrible, j’adore. Je suis sûre que si elle était avec nous, nous aurions plutôt intérêt à fuir rapidement.

— Tu ne crois pas si bien dire ! marmonna Franklin en souriant.

Georges n’avait rien entendu, mais ces paroles n’étaient pas pour lui.

— Alors que s’est-il passé ? Parce que tu as quand même fait un beau bazar !

— Si je te le disais, tu ne me croirais pas.

— Essaye toujours, tu sais à quel point j’ai l’esprit ouvert !

— C’est la momie que j’ai dessinée qui est sortie de l’ordinateur. Elle a voulu me tuer, mais plus empotée qu’elle, tu meurs !

— Mais bien sûr ! Et moi j’ai passé la nuit avec Maryline Monroe qui s’est échappée de mon rêve. Sérieusement tu n’as pas une histoire plus crédible ? Comme, je ne sais pas moi, qu’un singe fou a débarqué ici pour faire la fête avec toi. Ne me dis pas, c’est pas grave, tu as bien bossé et c’est ce qui compte ! Mais la prochaine fois, nettoie au lieu de laisser en plan.

Le jeune graphiste pensa que sa prochaine œuvre sera une belle jeune femme à moitié dénudée. La nuit devrait être autrement plus palpitante. Malgré tout, Franklin remercia intérieurement sa compagne de la nuit. Toutes ses bêtises en faisaient un être attachant, qui bientôt ferait frissonner plus d’un jeune cinéphile.

 

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