Underground Airlines

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Ce livre est bâti comme un roman policier, avec le héros qui découvre progressivement nombre de vérités inattendues, non comprises celles sur lui qu’il raconte progressivement. Mais, à cause du sujet traité, l’esclavage et le traitement des noirs, du fait que l’auteur est blanc, se pose la question de savoir dans quelle mesure sa relation du point de vue d’un héros noir est valide. Quant au mode de présentation, une uchronie dans laquelle Lincoln a été assassiné en 1861 et il n’y a pas eu de guerre de Sécession, ni d’abolition de l’esclavage, mais un compromis comportant la promulgation d’amendements à la Constitution qui interdisent toute abolition imposée par le pouvoir fédéral, la question de savoir s’il est possible de la qualifier d’uchronie ou si on doit s’en tenir à « histoire parallèle » ou « alternative history » est soulevée.

 

Il y a, au moins, trois définitions possibles du mot « uchronie », plus ou moins larges, et la réponse sera « non » dans la définition la plus étroite, celle que je préfère, et « oui » dans les deux autres.

La définition restreinte, celle qui plaira aux historiens « expérimentaux », réserverait le nom aux récits qui traitent des conséquences, directes et à court terme ou indirectes et à long terme, d’une divergence. Cela s’applique à Pavane, de Keith Roberts, à Ring the Jubilee, de Ward Moore, au Maître du Haut Château...

La définition la plus large s’appliquerait à tout roman qui « viole l’histoire pour lui faire de beaux enfants » et inclurait quasiment toute fiction. Et n’aurait presque aucun intérêt.

Entre les deux, fidèle à la définition de Charles Renouvier, « l’utopie dans l’histoire » s’applique à tout monde distinct du monde réel, obtenu à l’aide de la modification d’un ou plusieurs faits historiques. Cela inclut des récits comme Underground Airlines qui modifient certains faits mais conservent une grande partie des autres. Dans une uchronie qui prétendrait, seulement, tirer les conséquences de la divergence, il serait inattendu que réapparaisse, comme dans ce roman, un certain nombre de personnages de notre réalité, comme James Brown ou Michael Jackson, que certains événements de notre Histoire n’aient pas changé quand ces événements ont, d’une manière ou d’une autre, découlé de la guerre de Sécession. À moins d’imaginer, comme dans la Croisée des ondes, l’intervention d’un maître occulte. Mais dans une histoire parallèle, si on veut avoir limité les modifications à celles qui permettent la vision utopique, pourquoi pas ?

 

L’important dans cette histoire est ailleurs que dans la seule étude des conséquences de la divergence. C’est au contraire montrer ce qui n’a pas changé. Le traitement des noirs dans ce monde imaginaire n’est en rien différent de celui qu’on peut constater dans notre monde où, même si l’esclavage a officiellement disparu, le racisme, les inégalités, les traitements humiliants et brutaux sont toujours là. Comme dans toute utopie ou uchronie, la distanciation induite par le changement de monde fournit un effet de grossissement sur des problèmes actuels, réels, et oblige à les voir, aussi, dans la réalité présente.

 

Plus qu’à suivre les rebondissements de l’enquête du narrateur, c’est bien cette réflexion que nous appelle le roman.

 

Underground Airlines, par Ben H. Winters, traduit par Éric Holstein, Actu SF, Perles d’épice, 2018, 436 p., couverture de Diego Pripodi, 19,90€, ISBN 978-2-36629-931-1

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