LAINE Sylvie 01

Auteur / Scénariste: 

Après la récente chronique de l’anthologie Fidèle à ton pas balancé de Sylvie Lainé, il devenait évident de ne pas en rester là. La chronique méritait d’être accompagnée par une interview de Sylvie que les lecteurs pouvaient retrouver sur Phénix Web et sur mon blog. La voici !

Je remercie Sylvie pour sa patience, sa gentillesse et le temps qu’elle a consacré à répondre à mes questions.

 

Tu as fait le choix d’écrire des nouvelles plutôt que des romans. Format dans lequel tu excelles. Mais peut-on imaginer que dans l’avenir tu fasses une exception en écrivant un roman (peut-être court), plus long que tes nouvelles L’opéra de Shaya ou Les yeux d’Elsa ? En tout cas, un texte qui se suffirait à lui-même pour être édité seul.

Ecrire un roman, peut-être, pourquoi pas ? Si un jour j’ai plus de temps libre ! Mais ce n’est pas ma priorité. S’il s’agit d’avoir un texte publié seul, il y a des possibilités, puisque certains éditeurs publient des novellas : le Bélial par exemple a lancé une magnifique collection (Une heure-lumière). La nouvelle et la novella sont des formats qui me conviennent parfaitement et où je me sens à l’aise. Je ne suis pas du tout sûre d’avoir autant de plaisir à écrire un roman. Il faudrait pour cela que je charpente un scénario. Il me faudrait un projet basé sur un certain nombre de séquences ou de moments significatifs que je pourrais gérer indépendamment les uns des autres. Il y a d’excellents romans bâtis sur ce principe et j’ai adoré Les milliards de tapis de cheveux de Eschbach, par exemple. Mais j’aime bien partir sur du neuf à chaque fois que je commence une histoire ! La SF pour moi, c’est quand même beaucoup la découverte de l’inexploré, la nouveauté, l’angle ou le contexte inattendus. On m’a très souvent posé cette question : pourquoi ne pas revenir à un de mes univers (ou à un univers conçu collectivement), pour le reprendre et y inventer d’autres histoires ? Mais mon rapport personnel à l’écriture fait que cette perspective n’a rien d’exaltant, au contraire. Je n’attends pas spécialement de la SF qu’elle m’offre des univers que je puisse connaître et approfondir jusqu’à ce qu’ils me deviennent totalement et intimement familiers et confortables. Je ne veux pas me réfugier dans la SF pour y vivre une vie parallèle. Je veux qu’elle m’offre des sensations inhabituelles, des surprises et du dépaysement toujours renouvelé, et qu’il faille chaque fois en réinventer le sens.

 

Comme beaucoup de fans de SF, j’ai envie de faire le parallèle entre tes nouvelles et le Cycle de l’Instrumentalité de Cordwainer Smith. On trouve des deux côtés une certaine poésie dans les textes, même si les deux univers n’ont pas de lien commun. Ce qui m’amène à te demander si l’idée de structurer tes nouvelles dans ton propre univers ne pourrait pas voir le jour dans le futur ? Et puis d’autre part, avec Les seigneurs de l’instrumentalité, Cordwainer Smith a écrit 27 nouvelles et un roman court (Nostralie), alors que ton recueil Fidèle à ton pas balancé fait 26 nouvelles de science-fiction. Est-ce qu’il ne nous manquerait pas une nouvelle et un roman court pour rendre heureux le fan ? Je sais, je pousse un peu loin !

Je suis moi aussi une grande fan de Cordwainer Smith, donc la comparaison me réjouit. Les seigneurs de l’instrumentalité est un cycle magnifique dont les nouvelles gardent une grande autonomie – une partie du cadre dans lequel elle se déroule est commun, c’est vrai, ou alors peut-être faudrait-il dire que chacune d’entre elles se déroule dans un cadre qui reste compatible avec celui des autres. Pour avoir ce principe en gardant sa liberté, il faut un cadre immense comme celui qu’offre le space-opera et il faut aussi se donner la liberté de l’évoquer sur une durée très longue, plusieurs générations. En forçant un peu et en les reprenant, je devrais pouvoir faire rentrer une dizaine de mes nouvelles dans un cadre de ce type. Il faudrait renoncer à d’autres…

 

Dans tes nouvelles, on est souvent confronté à une civilisation en perpétuelle évolution. Elle n’est pas figée, pas fermée, mais oscille entre utopie et dystopie. Mais où se trouve le point d’équilibre ? Existe-t-il vraiment ou bien n’est-ce qu’une chimère qui ne sera jamais atteinte par aucune civilisation ?

Je ne crois pas à une utopie stable, parce que je ne crois pas que le bonheur puisse exister dans l’immobilisme. Oui, c’est vrai, tu as raison, cette conviction est un de mes principaux fils conducteurs. Mes personnages aussi sont des gens qui évoluent et ils évoluent parce qu’ils ne sont pas pétris de certitudes. Mais ça  ne veut pas dire que je ne crois pas au bonheur ou à l’utopie ! Au contraire. Si j’arrivais à décrire une utopie (L'opéra de Shaya et Carte blanche sont un peu des tentatives en ce sens, à mes yeux) ce serait des utopies où l’on rebat les cartes, où la variation et le mouvement font partie du cycle. Parce que être vivant, ce n’est pas être figé – on n’est vraiment figé que quand on est mort. Nous le serons bien assez tôt, et ça ne me fait pas rêver.

J’ai conscience aussi que cette vision peut surprendre, peut-être même gêner ou mettre mal à l’aise. Catherine Dufour l’avait exprimé très clairement dans sa préface à Espaces insécables. Et parfois, certains lecteurs ont des mots très durs pour mes personnages et les trouvent faibles ou lâches… Mais cela pourrait nous emmener sur d’autres discussions et sur le fait que je ne trouve pas très intéressants les rapports humains basés sur la domination et le pouvoir. Ces rapports sont partie prenante de l’immobilisme, une société figée en aura besoin.

 

Un des thèmes récurrents dans tes nouvelles, c’est la rencontre de l’autre. Que ce soit une personne, un extraterrestre, une entité, une civilisation, la communication est au cœur de chaque texte, mais les moyens de se faire comprendre sont loin d’être aussi simples. Ce qui mène à des situations dramatiques, voire cocasses. Je pense évidemment aux deux nouvelles Petits arrangements intragalactiques. On dirait que comme auteure tu prends un malin plaisir, à non pas chercher la confrontation, mais à mettre en évidence une incompréhension entre les différents intervenants. Est-ce que je me trompe ?

Hélas, ce n’est pas un malin plaisir, c’est juste un constat que je fais tous les jours – je ne peux pas faire ou vivre quelque chose avec quelqu’un sans me demander quelle vision il a de la situation. Et il est très rare que sa vision soit exactement la même que la mienne…

 

Si la rencontre est un de tes thèmes préférés dans tes nouvelles, celle-ci ne mène pas nécessairement à une forme de compréhension des différents intervenants. On dirait même que tout le problème se situe dans la manière de communiquer avec l’autre. Pourrais-tu imaginer une nouvelle où les problèmes de compréhension mutuelle n’ont pas lieu, mais où c’est justement cette absence de difficultés qui soit le vrai problème ?

Ah, je me suis un peu approchée de cette question au moins une fois, avec la question de la télépathie dans Définissez : priorités. Si nous avions la capacité de ressentir ce que ressentent les autres et de partager leurs émotions, qu’adviendrait-il des nôtres, comment tout cela pourrait-il s’entremêler ? Tu as dû voir à quelles conclusions j’arrivais…

 

Plusieurs lecteurs font souvent référence au fait que tu as une écriture emprunte d’une grande poésie. J’aimerais dire que tes textes sont d’une grande sensibilité, qu’ils sont mélodieux, qu’ils véhiculent une musique que l’oreille n’entend pas nécessairement, mais que l’esprit interprète à sa manière. Est-ce une erreur de faire ce parallèle ?

J’aime bien ce parallèle parce que j’ai une sorte d’instinct un peu difficile à expliciter qui me dit très clairement si quelque chose sonne « juste » ou pas. Cela fonctionne un peu comme la musique, il est question d’harmonie et d’équilibre – des mots, du sens, de la construction des phrases, des émotions qui s’expriment et de la manière dont tout cela se relie. J’ai du mal à l’expliquer. Mais je ressens aussi ces sensations quand je joue du piano (je ne joue pas très bien, et pas souvent, et je n’improvise pas, mais le plaisir de l’interprétation est là).

 

Parmi les auteurs de science-fiction qui t’ont marquée à l’adolescence (Silverberg, Asimov, Herbert, Sturgeon, Sheckley, Farmer, Spinrad, etc.) y en a-t-il un qui a eu un impact plus important que les autres ? Si oui, lequel et pourquoi ?

Tous ceux-là, et d’autres, selon les moments… Asimov pour l’ampleur de ses projets et leur dimension sociale et politique. Silverberg pour l’incroyable richesse de son imaginaire qui se déploie dans toutes les directions. Herbert, ou Farmer, pour quelques séquences inoubliables, comme le gom-jabbar de Dune, ou le réveil sur les berges du Fleuve de l’éternité. Sturgeon pour ses personnages, bien sûr. Spinrad, parce que c’est lui qui le premier a ouvert la porte pour moi. Sheckley, pour le regard tendre et sarcastique qu’il porte sur ses personnages et son humour qui renouvelle tout. Et plein d’autres, je ne veux pas faire de choix.

 

Quels sont les genres littéraires, les livres, les auteurs contemporains qui t’inspirent ? Y a-t-il un ou plusieurs auteurs (tout genre confondu) dont tu es une inconditionnelle ?

Je t’en donne douze ? Cinquante ? Globalement j’ai une nette préférence pour la SF, parce que la fantasy répond plus rarement à mes attentes d’inattendu et de surprise. Allez, tiens, si je n’en cite qu’un ce sera Greg Egan.

 

Une des caractéristiques de tes nouvelles, c’est que les personnages ne sont ni bons ni mauvais, mais qu’ils n’ont pas leur sort entre leurs mains. Ce qui pourrait être une forme d’amour pourrait très bien déboucher sur un échec sans qu’aucun des personnages ne soit responsable de cette situation. C’est mon imagination ou bien est-ce vraiment le cas dans tes textes ?

C’est tout à fait vrai, ils ne sont ni tout à fait bons ni tout à fait mauvais. Et la crise qu’ils ont à résoudre tient souvent au fait qu’ils ne tiennent pas leur sort entre leurs mains. Une fin heureuse, chez moi, c’est une fin où l’on devient maître de son destin.

 

As-tu un livre de chevet ? Si oui, s’agit-il d’un livre de science-fiction ?

J’ai eu, à certaines périodes de ma vie, un livre de chevet qui y est resté des mois. Dune l’a été il y a bien longtemps, mais le Gödel, Escher, Bach : Les Brins d’une Guirlande Éternelle de Douglas Hofstadter l’a été aussi, je les reprenais régulièrement tout en lisant d’autres choses. En ce moment j’ai des coups de cœur, des enthousiasmes, mais ça fait longtemps que je n’ai pas eu de livre de chevet. Ah, si ! Depuis des années, les nouvelles de Salinger (Un jour rêvé pour le poisson-banane) sont sur ma table de nuit. Un ouvrage dont je n’épuiserai jamais les mystères et qui est un bonheur pour mon oreille musicale intérieure…

 

Y a-t-il un roman de science-fiction qui t’a marquée, que tu aurais aimé avoir écrit ? Peut-être sans changer une virgule, peut-être en le remaniant et en lui donnant une connotation plus personnelle. Pourrais-tu nous en dire plus ?

Le dernier que j’ai lu et dont j’ai pensé que j’aurais pu ou aimé l’avoir écrit, peut-être un peu différemment, mais dont le principe me parlait totalement, c’est le Libration de Becky Chambers. Ses thématiques (évoluer, prendre en mains sa vie, construire un rapport à l’autre sur d’autres principes que la domination) me parlent. J’aurais eu envie de le terminer un peu différemment, en pulvérisant un peu plus le cadre, sans doute !

 

Dix ans auront été nécessaires pour voir aboutir Fidèle à ton pas balancé, recueil qui reprend toutes tes nouvelles de science-fiction. Je ne doute pas que dans l’avenir ActuSF continuera à publier d’autres recueils écrits de ta plume, mais j’espère, Sylvie, qu’on ne devra pas encore attendre dix ans pour voir un recueil aussi complet. D’où ma question : quels sont tes prochains projets littéraires ?

J’écris des nouvelles. La prochaine à paraître sera dans la revue Usbek et Rica. J’ai détruit deux mots dans le Dictionnaire des mots en trop qui va paraître aux Editions Thierry Marchaisse, et j’ai quelques autres projets en cours. Des nouvelles ! Vive les nouvelles. Bisous !

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