À Suspicious River

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À vingt-quatre ans, Leila traine son existence misérable entre un mari épousé trop vite dont la volonté de maigrir vire à l’obsession et un travail comme réceptionniste dans un motel miteux qui accueille le plus souvent des touristes de passage. Elle porte en elle les traces d’un drame familial, la mort de sa mère sauvagement assassinée quasiment sous ses yeux. Elle rêve d’une nouvelle existence, d’un « ailleurs » meilleur. Alors, pour tromper son ennui et mettre de l’argent de côté, elle couche avec les clients du motel. Pour le prix d’une nuit d’hôtel, elle se rend disponible. Certains hommes finissent par ne venir que pour elle, jusqu’au jour où débarque un dénommé Gary Jensen, aux allures de faux durs, qui la frappe dès leur première rencontre. Mais le mal est fait : Leila se sent attirée par cet homme louche qui ne dévoile rien de son passé, qui fait penser à ces voyous d’opérette des sixties. Il lui promet monts et merveilles, lui fait des déclarations pour mieux l’endormir. Car Gary n’est rien d’autre qu’un proxénète ayant abandonné femme et enfant pour se livrer au trafic sexuel…

En alternant les chapitres de la Laura actuelle et de celle de l’enfance, à la première personne, Laura Kasischke nous offre un roman très sombre et désespéré. Les pages les plus troublantes sont celles où Laura, détachée des réalités, se livre à des fellations ou offre son corps à des rapports aussi brefs qu’oubliables. On la sent morte à l’intérieur, et pourtant elle est prête à tout compromettre pour quitter l’ennui de sa vie et suivre cet inconnu beau parleur. Une histoire si désespérée même qu’on ne parvient même plus à souhaiter que tout s’arrange pour elle. Parce que dès les premières pages, le lecteur sent intuitivement que Laura est perdue.

Je ne ferai que deux reproches en ce qui concerne ce livre, pas dans le contenu, l’histoire en elle-même glaçante, mais plutôt dans la narration. Tout d’abord, le changement intempestif de temps de conjugaison, du présent au passé et à l’imparfait, parfois sur un même paragraphe, nuit au déroulement du récit. Comme je n’ai pas lu le texte en version originale je ne saurais dire si c’est une volonté de l’auteure, mais cela peut se révéler inconfortable. Ensuite, c’est l’abus de comparatifs qui alourdit l’ensemble. Je ne pourrais dire combien de fois le mot « comme » est utilisé, au moins une fois sur chaque page, parfois de façon curieuse, étonnante ou peu compréhensible. Sans ces deux petites limites, À Suspicious River (un A avec un accent, et non pas le A anglais, a été ajouté lors de la traduction, ce qui n’était pas indispensable) est un roman remarquable, dur et froid, où le lecteur ne parvient pas à détacher ses yeux de la dégringolade inévitable de Leila.

 Je remercie les éditions Folio pour leur confiance.

 

Laura Kasichke - À Suspicious River - Editions Folio - 06/23, 9,20€

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