Requiem pour une étoile

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Voici un roman qui, à sa manière, annonce que la SF a définitivement cessé d’être un « genre » et que l’anticipation (ou ne serait-ce pas plutôt la description d’un monde voisin, au même plan temporel que le nôtre, mais juste un peu plus structuré sur certaines réalités ?) s’intègre sans particularité notable dans la littératures de fiction, d’imagination.
La quatrième de couverture nous annonce un mélange d’anticipation et de thriller et une fable visionnaire.

Sur le caractère anticipation, voir plus haut : le monde décrit n’est pas, en aucune façon, le résultat d’une évolution du nôtre et l’histoire ne suggère en aucune façon un processus évolutif : c’est un monde proche du nôtre, légèrement décalé en ce sens que certains caractères de notre monde sont mis en évidence, grossis ou présentés comme visibles et reconnus. Sous les noms des cinq régions qui divisent ce monde, on peut reconnaître des visions légèrement caricaturales de lieux existants. Cette zone d’habitation appelée la Fourmilière, n’est-ce pas une vision cauchemardesque de Paris, ou de n’importe quelle autre ville possédant un métro ? Le lieu de travail et d’exil appelé la Fournaise, j’y verrais n’importe quelle ville tropicale où on envoie les gens gagner une prime d’éloignement. La Ferme, qui n’est que signalée comme le lieu duquel proviennent les denrées alimentaires, la Fondation, où sont envoyés les jeunes pour s’instruire, ne font que symboliser les caractères différents de la campagne et de l’université par rapport à la vie urbaine. Enfin la Fosse, zone de relégation des exclus, c’est un symbole, non développé, de la prison. Étant donné que la totalité du roman porte sur la Fourmilière, ville où revient le héros après son travail à la Fournaise, et sur ce qu’il a vécu à la Fournaise, rien n’aurait interdit de nommer, par exemple, Paris et Dakar les lieux utilisés.

Thriller ? Pas du tout à mon avis, le roman ne comporte aucune montée de tension, attente d’un éclatement. Il s’agit d’un « mystery tale » tout à fait classique, la recherche, par le héros et par ceux qui l’entourent, des souvenirs perdus, recherche qui fera apparaître un crime qui n’a pas été commis, ainsi qu’un autre crime, ancien, à l’origine de celui-ci. L’étude des personnages que le lecteur découvre dans trois récits successifs qui se complètent et montent, puis résolvent l’énigme, fait de ce roman un bon « polar psychologique » qui se conclut, de manière assez surprenante, par les révélations finales et l’épilogue.

De là à parler d’une « fable visionnaire »... Il s’agit d’une intrigue bien montée, mais assez particulière : les personnages qui l’animent sont quand même assez exceptionnels, tous les trois, et toute idée de généraliser leurs motivations et leurs réactions serait fallacieuse. Pour ma part, je veux de plus les voir comme à part d’une autre façon : dans un contexte réaliste, il faudrait que les héros soient soit d’origine africaine (en plaçant alors la Fournaise à Dakar ou ailleurs en Afrique), soit Brésiliens ou Sud-Américains (et la Fournaise serait Rio, Medellin, ...). Leurs réactions face à la vie à la Fourmilière font penser à des visions de ce monde par un non-indigène.

Rejeter les affirmations de la 4° de couverture ne conduit pas pour autant à rejeter le roman. Pour être non généralisable, cette histoire est néanmoins intéressante et bien construite. Elle nous raconte l’amour impossible entre un homme marié, expatrié pour gagner de l’argent et une jeune prostituée de la ville où l’homme est venu travailler, et comment la vie que lui mène dans cette ville, la perte d’un travail et le choix d’un autre vont l’obliger à utiliser une drogue qui lui fera perdre la mémoire, jusqu’à ce que, revenant dans sa ville, il ne reconnaîtra plus sa femme et ses fils. Puis l’enquête, les récits des trois personnages qui vont, l’un après l’autre, dévoiler les secrets de cette histoire, ainsi que les secrets plus anciens des personnages. Le tout entrecoupé par des images brutales de la vie dans les deux villes : le métro devenu un coupe-gorge où les mendiants rackettent à main armée leurs « généreux donateurs » ; la nécessité de gardes du corps, même pour simplement envoyer un enfant à l’école ; les tueurs à gages presque officiellement reconnus... C’est un autre monde que le nôtre, un monde où certaines possibilités ou phénomènes occultes du nôtre sont devenus des vérités connues. Et que le héros amnésique redécouvre avec la même surprise que le lecteur le découvre. Lecteur qui, en plus, découvre peu à peu les arcanes de la situation et de la vie passée des personnages.

J’ai aimé. Pas une oeuvre majeure, pas une « fable visionnaire sur les dérives de l’individualisme », mais un excellent roman d’« énigme criminelle » dans un décor prenant.

Jennifer D. Richard, Requiem pour une étoile, couv. Chris Chradle, Robert Laffont, 2010, 226 p.

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