PASQUES Jean-François 01

Auteur / Scénariste: 

© Photo J-F Pasques

 

Comme c’est la première fois que je vous interviewe, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Jean-François Pasques, j’ai 51 ans et je suis Capitaine de police en fonction à Nantes. J’ai travaillé pendant une quinzaine d’années à Paris, notamment en section criminelle à la 1ère Division de Police Judiciaire. Fils de personne est mon huitième roman.

 

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire Fils de personne ? Quelle est l’histoire derrière ce roman ?

C’est une enquête de police au plus proche de la réalité, menée par un groupe de PJ suite à la découverte du cadavre d’un homme dans un bassin du jardin des Tuileries à Paris. Cette macabre découverte vient se rajouter à une enquête déjà en cours concernant trois disparitions inquiétantes de femmes dans la capitale.

à travers cet ouvrage, j’ai choisi d’aborder le thème des enfants nés « sous X », un thème très peu abordé dans les polars. C’est un sujet mal connu, entouré d’une part de mystère et de secret.

Au cours d’affaires criminelles, il m’est arrivé de rencontrer des enfants nés « sous X » et des femmes ayant fait le choix d’accoucher sous anonymat, principalement des victimes ou des témoins. Ces personnes m’ont laissé quelque chose de durable, une émotion intense en me dévoilant une douleur froide et retranchée, une profonde souffrance. Il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir partager cette intimité et d’entendre ces lourds secrets. On en ressort bouleversé, un peu comme en sortant d’une salle d’autopsie.

 

Quel message souhaitez-vous faire passer à travers votre roman ? Quels sont les thèmes qui vous tiennent le plus à cœur et que vous souhaitez mettre en avant ?

Je n’ai pas de message à faire passer dans mes romans. Comme pour mes précédents ouvrages, j’ai écrit le livre que j’aurais voulu lire en me faisant plaisir, sans glauque ni sordide, sans course poursuite dans un rythme effréné ni cadavres à tout bout de champ, sans excès de forme pour masquer une absence de fond. Ce livre, c’est simplement du vécu policier transposé en littérature avec l’Homme au centre des choses.

 

Comment décririez-vous votre style d’écriture ?  Qu’est-ce qui vous distingue des autres auteurs et qu’est-ce qui vous plaît le plus dans l’écriture de romans ?

Les adeptes du polar qu’on dévore goulûment pour se remplir l’estomac vont faire fausse route avec moi. J’aime prendre mon temps, peser les mots pour mieux retrouver les saveurs oubliées de notre belle langue française. J’ai besoin d’un environnement et d’une atmosphère pour installer mes personnages en composant ma petite musique. Sur les bases de la littérature noire et avec les aiguilles de la littérature blanche, je re-tricote mon matériel professionnel pour en faire un autre motif, moins tragique puisque désiré et surtout plus consensuel. J’éprouve beaucoup de plaisir à écrire, c’est le carburant de ma création. Pour moi, l’écriture est un voyage, une évasion. Elle me permet de mettre de la distance avec les drames auxquels je suis confronté au quotidien et d’exprimer ce que je ne parviens pas toujours à faire à chaud. En somme, elle me permet de dire qui je suis tout en étant quelqu’un d’autre.

 

Quels sont les personnages principaux de Fils de personne et quelle est l’histoire qui les relie ? Qu'est-ce qui vous a poussé à créer ces personnages et à leur donner vie ?

Comme dans tout roman policier, il y a des enquêteurs et plus particulièrement un binôme. Le commandant Julien Delestran, chef de groupe, homme d’expérience, un peu bourru de prime abord mais pétri d’humanité, est assisté du lieutenant Victoire Beaumont, dynamique et curieuse de tout. La différence d’âge fait qu’elle pourrait être sa fille. On sent une relation très forte entre ces deux personnages : respect pour l’une qui n’hésite pourtant pas à le remettre en question, admiration pour l’autre sous des élans de paternalisme. Elle est la fille qu’il n’a pas eue et lui le père qui lui manque. C’est une filiation romanesque.

Bien entendu, il y a un criminel, dont j’ai tenu absolument à montrer la part d’humanité malgré le drame. Il y a aussi des témoins et des victimes parmi lesquelles le cadavre d’un clochard dont les policiers vont s’attacher à redonner vie en remontant son histoire et dévoilant son destin hors norme.

Enfin, chose assez rare, une psychologue est nouvellement affectée dans le service de PJ. Elle va devoir s’imposer auprès d’effectifs réfractaires à sa présence. Claire Ribot est un personnage qui vient compléter le binôme Delestran-Beaumont en apportant une réelle plus-value à l’enquête.

Ces personnages sont vrais et authentiques, hauts en couleur, avec des trajectoires de vie qui façonnent leur destin. Le livre met en lumière ce que chacun peut en faire : s’engager, lutter, fuir, subir, se venger...

 

Quel a été votre processus d’écriture pour ce roman ? Quelle a été votre méthode de travail et comment avez-vous construit votre intrigue ?

J’ai une méthode très personnelle comme certainement tous les auteurs.

Je prends beaucoup de notes, que ce soit au cours de mes lectures, lors de mon activité professionnelle ou encore dans ma vie privée et je les consigne dans des carnets.

Lorsque j’envisage l’écriture d’un roman, je commence par définir les thèmes que je souhaite développer puis la trame et les personnages principaux. Cela me prend du temps, plusieurs mois. Ce travail préparatoire est cérébral. Je tâtonne, renonce, ébauche puis progressivement, j’emboîte les pièces de mon puzzle. Lorsque tout est clair et fluide dans mon esprit, je passe à l’écrit en établissant un séquencier dans lequel chaque chapitre est résumé. Ensuite, je vais chercher du matériel dans mes carnets de notes pour nourrir mon récit, habiller mes personnages, dépeindre mes atmosphères et décors, ciseler mes dialogues.

Vient ensuite le travail d’écriture, pendant un an environ, à raison d’une dizaine de séances par mois, sur mes journées de repos car je suis policier avant tout. Je suis mon séquencier pas à pas, ma feuille de route, tout en développant les idées. En cours d’écriture, il m’arrive d’effectuer des modifications, d’atténuer, de supprimer ou de laisser surgir une idée pour l’incorporer à mon récit mais sans toucher à la trame et les grandes lignes qui sont définitivement figées.

J’écris très tôt le matin à six heures, lorsque mon esprit est frais. Le soir, j’ai essayé, c’est impossible, mon cerveau est fatigué de ma journée, je me consacre alors à la lecture. Sur une séance de cinq heures, je produis en moyenne 1 500 mots. J’écris donc lentement. J’ai pour principe de ne jamais forcer. Seul mon plaisir compte. Lorsque je pioche ou lorsque ça ne vient pas comme il faut, j’abrège ma séance et j’y reviens plus tard.

Je n’ai pas de contrainte horaire ni de délai de production, j’écris en totale liberté pour mon petit plaisir.

 

Quels sont les challenges auxquels vous avez été confronté durant l’écriture de Fils de personne ? Comment avez-vous surmonté ces difficultés ?

Le seul challenge que j’ai eu à relever est d’avoir été au bout de mon histoire, celle que j’aurais voulu lire si quelqu’un d’autre l’avait écrite. C’est un travail de longue haleine qui demande, outre la préparation, de la rigueur, de la discipline et de l’engagement. Il ne faut jamais lâcher le fil que l’on déroule parce qu’au bout, il y a le lecteur. Finalement, je suis comme un cheval de trait qui trace inlassablement son sillon dans son champ, un Sisyphe heureux car l’écriture n’est pas une punition.

Bien sûr, il y a des passages plus difficiles à écrire que d’autres et des moments où l’on est moins bien disposé. Il faut s’écouter écrire, se faire confiance et insister, chercher le bon passage. J’essaie toujours d’être en « état de création » pour éviter le remplissage, c’est ma ligne de conduite.

 

Votre métier dans la police vous aide-t-il à écrire des romans ?

Mon métier est un atout majeur car il offre le privilège de se retrouver au centre des choses avec une source intarissable de personnages, de situations, de décors et d’histoires humaines à vivre de l’intérieur. Lorsqu’on est policier, il n’est pas nécessaire d’avoir de l’imagination pour écrire. Bien au contraire, il faut parfois se forcer à réduire la réalité pour rester crédible. Mais un roman policier, ce n’est pas une procédure judiciaire ou un rapport de police. Il faut avoir envie d’en faire quelque chose d’autre, avec du style, de la sensibilité et un peu de gourmandise.

Dans L’étranger, Albert Camus fait dire à l’avocat de Meursault au cours de son procès : « Tout est vrai et rien n’est vrai ». Dans mes romans, c’est un peu la même chose. Chaque instant est vrai mais l’histoire n’est que le fruit de mon imagination.

Avec l’écriture, on peut faire du propre avec du sale, du beau avec du laid, on peut même retrouver une certaine innocence dans les tréfonds de l’âme humaine et y voir un peu de lueur, non pas d’espoir mais d’humanité. L’écriture me sert de réenchantement en quelque sorte.

 

Que vous apporte le Prix du Quai des Orfèvres ?

Le Prix du Quai des Orfèvres procure une visibilité sans pareille, tant dans les librairies que dans les médias. C’est une référence. Il est considéré par certains comme « le Goncourt du roman policier » . Il est attendu, convoité, et cela se concrétise par des ventes importantes. C’est vertigineux !

Ce prix m’offre une reconnaissance d’autant plus qu’il a été décerné par un jury composé de grands flics, de hauts magistrats et de journalistes indépendants. Pour le policier que je suis c’est une double satisfaction.

Maintenant, il faut savoir garder les pieds sur terre. J’ai bien conscience que sans ce bandeau rouge, Fils de personne serait resté dans l’anonymat, noyé dans la masse. Ce prix me donne surtout le devoir de porter cet héritage avec humilité et de le transmettre par la suite en ayant apporté ma petite pierre à l’édifice.

 

Quels sont vos auteurs et vos livres préférés ? Qu’est-ce qui vous a le plus influencé dans votre travail d’écriture et comment avez-vous trouvé votre propre voix en tant qu’auteur ?

Chimiste de formation, j’ai découvert la littérature tardivement vers trente ans, lorsque j’ai commencé à me poser des questions auxquelles la science ne pouvaient pas répondre. En lisant Camus, j’ai compris ce qu’était vraiment cette sorte de nausée qu’il m’arrivait parfois d’éprouver à la fin d’une enquête criminelle. L’absurde et sa solution, la révolte, m’ont aidé à y voir clair, surtout dans mon métier. J’ai poursuivi la découverte des auteurs classiques à un âge où les autres avaient tendance à les oublier : Balzac, Maupassant, Flaubert, Stendhal et puis, il y a eu le choc avec Céline. Là j’avoue, j’ai pris une sacrée claque, difficile de s’en remettre. Alors je me suis tourné vers des auteurs russes, Tolstoï, Dostoïevski, Tourgueniev et Tchekhov. Après Céline, les Russes, ça passe bien.

Ensuite, j’ai eu la chance de découvrir Kessel et Gary. J’ai été autant impressionné par leur œuvre littéraire que leur vie d’homme au destin extraordinaire et je suis arrivé à Simenon qui reste pour moi l’auteur avec lequel je me sens le plus « en famille », principalement avec ses « romans durs » ; les Maigret, même si je les ai tous vus en adaptation télévisuelle, je me les réserve pour ma retraite.

Alors forcément, avec tous ces monstres de la littérature, je suis sous influence. Je me suis mis longtemps dans leur sillage et puis à un moment, j’ai bifurqué pour prendre ma propre voie, parce qu’il aurait été inutile, insensé et prétentieux de vouloir faire comme eux. En fait, je suis parti à l’aventure en me faisant confiance sans oublier ce que j’avais appris, lu et apprécié d’eux.

 

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite se lancer dans l’écriture de romans ? Quels sont les éléments clés à prendre en compte pour réussir à écrire un bon livre ?

Vastes questions. Suis-je légitime pour y répondre ? Qu’est-ce qu’un bon livre, d’ailleurs ? Le livre qu’on aurait envie de lire ? C’est peut-être un début de réponse...

Pour moi, le plus important, c’est de croire en soi, de se faire plaisir et surtout de ne pas envisager la publication avant d’avoir mis le point final à son histoire. Si publication, il doit y avoir, cela viendra après. Et c’est là aussi un long parcours du combattant qui peut entraîner de terribles désillusions ; donc mieux vaut prendre le plaisir avant, en écrivant.

Je me permettrai un dernier conseil, car je suis tombé dans le piège au début : écrire, ce n’est pas s’écrire. On n’écrit pas pour soi, on écrit pour être lu, donc pour quelqu’un d’autre.

 

Quels sont vos projets pour la suite ? Avez-vous déjà commencé à travailler sur un nouveau roman ou avez-vous d’autres projets en tête ?

J’ai terminé d’écrire le manuscrit de Fils de personne en mai 2021 pour l’envoyer au secrétariat du prix du Quai des Orfèvres avant la date butoir du 15 mars 2022 (le prix a été décerné le 8 novembre 2022). Depuis la fin de la rédaction du manuscrit, pour ne pas attendre inutilement, j’ai poursuivi l’écriture. Je viens de terminer une histoire se déroulant en Sibérie, une enquête policière sous fond de réchauffement climatique et de fonte du permafrost, avec des corps qui remontent à la surface, des corps superbement conservés par la glace pendant soixante-dix ans et qu’un médecin légiste va faire parler. Bien entendu, ces révélations datant de l’époque du goulag ne vont pas plaire à tout le monde… Je vais laisser reposer ce manuscrit pendant quelques mois avant d’engager les corrections pour un envoi à l’éditeur en fin d’année.

L’année 2023 va être consacrée à présenter le PQO dans les salons littéraires et les librairies un peu partout en France, ce qui va réduire considérablement mes disponibilités pour l’écriture que je concilie avec mon travail de policier. Mais j’y reviendrai en 2024 avec l’appétit creusé par le manque.

 

Critique du livre Fils de personne ici

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