La création

C’est Boris Karloff, sous le maquillage patiemment mis au point par Jack Pierce, qui a le plus contribué à donner tout d’abord un visage, puis un aspect général à la créature du Dr Frankenstein. Et son interprétation livra tout le côté dramatique de l’existence d’un être venu en nos sphères, par la folle volonté d’un homme qui se voulait Dieu.

Les films de la Universal, « Frankenstein », « La Fiancée de Frankenstein » et « Le Fils de Frankenstein » sont les plus représentatifs de la détresse et de l’incompréhension à l’égard d’un être créé à partir de cadavres, et auquel on a, pour finir, greffé le cerveau d’un criminel. On appréhende ainsi parfaitement ce que les apprentis sorciers de tout acabit représentent comme danger pour une quelconque société.


Mais cette idée d’un savant défiant tout créateur, qu’il fût Dieu, ou force d’émergence supérieure aux capacités du commun des mortels, n’est pas née dans un studio de cinéma, mais de l’imagination d’une jeune fille anglaise de 18 ans, Mary Shelley. C’est en 1818 en effet, que fut publié son roman « Frankenstein ou le Prométhée moderne ». Le XIXe siècle, comme j’ai l’habitude de le dire et même de le répéter, fut sans aucun doute le siècle de toutes les audaces, et celui qui a posé de façon solide les fondements des littératures de l’imaginaire. Et c’est effectivement le cas de cette œuvre, parfaite symbiose de la science-fiction et du fantastique, genres qui se rejoignent souvent. Mary Shelley a réveillé par ailleurs une vielle légende séculaire, propre à l’acte de la création, celle du Golem.

Le Golem est selon certains, un être humanoïde artificiel fait d’argile, qui prend momentanément vie lorsque l’on trace sur son front un verset biblique.

Selon une autre version qui rejoint d’ailleurs la première, le rabbin qui l’a conçu était le Marharal de Prague, qui lui a donné la vie en écrivant sur son front le mot Emeth, qui signifie « vérité » en hébreu, et désigne l’un des noms de Dieu.

Ainsi on voit bien que de tout temps, l’humanité a cherché en quelque sorte à contrôler sa propre essence.

Cela s’est vérifié au cours des siècles par l’élaboration d’automates et autres êtres animés, jusqu’à la conception de robots dont beaucoup reste à découvrir dans les décennies à venir.


Mais la création peut se concevoir également à partir d’éprouvettes, et alors, l’Homme devenu Dieu, se permet toutes les fantaisies biologiques.

C’est-ce que l’on découvre dans le roman d’Aldous Huxley, « Le Meilleur des mondes ».

Manipulations génétiques, et autres transgressions biologiques, remplacent l’imbrication de cadavres pour créer « l’Homme Nouveau » , « l’Homme Parfait ». Les laboratoires prennent la place des cimetières des films gothiques, et pour créer la vie, quelques pipettes et molécules, renvoient au rayon des accessoires, l’orage violent et la décharge électrique génératrice de vie, des films de James Whale.

Et là, pas question de recommencer les erreurs commises par le Dr Frankenstein. Les êtres ainsi créés sont parfaits, normalement parfaits, puisque sélectionnés au stade le plus primaire de leur conception.

Mais au final, le résultat est pourtant tout aussi monstrueux. Car dans le deuxième cas, on assiste à l’avènement d’une société sélective, prônant la discrimination, et n’acceptant les différences que pour mieux mépriser, voire persécuter tous ceux qui ne sont pas conformes.

Le fantastique et la science-fiction abordent par essence des thèmes qui plongent dans les réflexions, mais ne sont pas exempts d’un côté distractif. Or le thème de la création étant suffisamment sensible pour rappeler toutes les périodes les plus noires de l’Humanité, où l’on éliminait certains individus du fait même de leur existence, il ne peut qu’amener réflexion et gravité, si ce n’est son lot de frissons.


Pour illustrer ce thème, je vous conseille tout particulièrement :

- « Frankenstein ou le Prométhée moderne » - roman de Mary Shelley - Folio SF.

- « Frankenstein » - BD de Denis Deprez - Casterman.

- « Le Meilleur des Mondes » - roman d’Aldous Huxley - Pocket.

- Le coffret DVD « Frankenstein », comprenant :

- « Frankenstein » de James Whale, 1931.

- « La Fiancée de Frankenstein » de James Whale, 1935.

- « Le Fils de Frankenstein » de Rowland V. Lee, 1939.

Et deux autre films de deux réalisateurs différents datant de 1942 et 1944.

Octobre 2006