Ki et Vandien Intégrale

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Je dois reconnaître, avec honte, n’avoir encore lu aucune des œuvres qui sont parues sous le pseudo de Robin Hobb, seulement les premières œuvres que cette auteur a publié sous le pseudonyme deMegan Lindholm, alors qu’elle n’avait pas vraiment choisi dans quelle branche de la fiction elle allait écrire. Et si on peut reprocher à Alien Earth de ne pas être de la hard science, même si l’auteur semble avoir renoncé à écrire dans cette branche, c’est une science-fiction tout à fait correcte. Le dernier Magicien ou Le Dieu dans l’ombre constituent des romans fantastiques de grande qualité. Et la Saga de Ky et Vandien a contribué à établir son renom dans la fantasy.

Et c’est là que, comme souvent, j’ai un problème parce que nous sommes dans une partie de la fantasy que, pour ma part, je préfère rattacher à la science-fiction, celle qui n’inclut pas le rejet de la rationalité scientifique. Comme avec la série « Dying Earth » de Jack Vance , comme avec les livres (non traduits) de la regrettée (Patricia) Jo Clayton, comme avec la trilogie de Terremer d’Ursula Le Guin ou avec le multivers de Michael Moorcock, nous avons une magie « rationnelle », avec des règles, et parfois de manière plus ou moins explicite un sous-entendu de la 3° loi de Clarke (toute technologie suffisamment développée prend l’aspect de la magie). Et c’est plus ou moins clair dans cette saga : le monde dans lequel vivent et agissent les héros est un monde inconnu que se partagent plusieurs espèces humanoïdes disposant de coutumes différentes, parfois de pouvoirs spéciaux. En plus nous apprendrons dans la troisième partie de la saga que ces espèces ont été rassemblées par des « dieux », et qu’il existe même des « portes » vers d’autres univers. Une situation du type d’Omale (qui n’était pas encore connu, surtout pour un auteur américain comme Megan Lindholm ), de l’Anneau-monde (mais sur celui-ci les espèces sont séparées dans des parties distinctes de l’Anneau) ou, toujours pour le lecteur français, des Portes sans retour de Julia Verlanger.
Et, comme la technologie et la sociologie de ce monde sans nom sont de type moyenâgeux, tout ce qui sort de ce repérage, par exemple les œufs de communication des Ventchanteuses, est classé magie. Comme la saga est une suite de quêtes aventureuses, comme aucune technologie ni aucune explication pseudo-scientifique genre mitochondries n’est invoquée, on la classe sans hésiter dans la fantasy. Mais elle ne rentre pas dans les limites, plus étroites, que je fixe à cette branche dans mon propre classement. Disons que la sous-branche, que je rattache personnellement plutôt à la SF qu’à la fantasy « pure », pourrait s’intituler « fantasy rationnelle » et inclurait les références citées plus haut et quelques autres, par exemple la saga de Darwath de Barbara Hambly ou la trilogie Coldfire (traduite au tiers) de C. S. Friedman. Et pourrait aussi accepter certaines œuvres classées comme science-fiction ou « science-fantasy » comme les œuvres de Catherine L. Moore, de Leigh Brackett, la « romance de Ténébreuse » ou celle de Pern...

Revenons à cette saga particulière. J’ai présenté le cadre. Dans ce cadre, qui mélange allègrement différences d’espèces et simples questions raciales, en jouant sur le fait que le mot « race » s’applique dans les deux cas en anglais, les humains partagent donc un monde sans nom ni carte avec un certain nombre d’autres races dont certaines n’apparaîtront que de manière ponctuelle, sans que cette apparition joue vraiment un rôle dans le récit (et c’est dommage). On sent que ces récits ont été écrits à partir d’un monde foisonnant créé au fur et à mesure de ses désirs par un futur auteur, monde dont il a voulu - quand le roman a pris forme - rappeler certains traits en fait hors sujet. Libre au lecteur de développer à sa manière ces ouvertures vers d’autres possibilités de récits. Au début, nous n’avons qu’une héroïne, Ki, qui devrait appartenir à une tribu Romni, mais qui a pris ses distances avec les autres membres de sa tribu en épousant un homme non Romni et en voyageant seule avec lui et leurs enfants. Jusqu’au jour où un couple de Harpies attaque et tue son mari et ses enfants. Le premier roman, Le Vol des Harpies, qui aurait pu rester un one-shot, raconte comment Ki va entreprendre de les venger et, aidée par un jeune voleur, Vandien, qui a essayé en vain de lui prendre un cheval, mener sa lutte contre les dites Harpies, hybrides hommes-oiseaux de proie qui hypnotisent leurs victimes et font croire aux humains du pays qu’ils habitent qu’ils peuvent les faire communiquer avec leurs morts.

Puis deux autres romans enchaînés, Les Ventchanteuses et Les Portes du Limbreth, font réapparaître Ki et Vandien, désormais associés, dans une nouvelle lutte avec un autre groupe d’humains, les Ventchanteuses. Celles-ci sont des humaines, toujours femmes, qui ont pris la succession d’une espèce non humaine qui contrôlait les vents et sont devenues, à ce titre, auxiliaires voire dominatrices pour tous les paysans. Sans savoir pourquoi, Ki va se trouver mêlée aux luttes de pouvoir entre certaines Ventchanteuses et à la lutte contre elles d’un magicien, Dresh, d’abord à propos d’un fossile de l’espèce disparue, puis à propos de connaissances que Ki ne sait plus avoir. Ce combat l’amènera, dans le second volet, à découvrir un « monde parallèle » dominé par des cristaux pensants, le ou les Limbreth.

Enfin le quatrième roman, Les Routes du destin, nous montre ce qui arrive quand Ki et Vandien, bannis des pays du Nord contrôlés par les Ventchanteuses, se trouvent pris dans une lutte de pouvoir pour un duché du Sud, Loredan, entre un duc paranoïaque et des rebelles inconscients.

Il est certain que bien d’autres aventures resteraient possibles pour nos héros, tellement le monde imaginé par Megan Lindholm est foisonnant et incomplètement décrit. Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec une autre série du même genre, inconnue des Français, la série en six romans de Tiger et Del de Jennifer Roberson (Sword Dancer, Sword Singer, Sword Maker, Sword Breaker, Sword Born et Sword Sworn), qui content, dans un monde de type moyenâgeux où les hommes sont la seule espèce intelligente, les quêtes successives des deux héros pour en finir avec leurs passés respectifs, la vengeance de Del contre ceux qui ont enlevé son frère et la découverte par Tiger d’une famille qu’il ne connaissait pas. Je ne peux que recommander à tous ceux qui pourront les lire (jusqu’à nouvel ordre, seulement les anglophones pour celle de J. Roberson) ces deux séries passionnantes, assez différentes en dehors de cette base commune de l’exploration en couple d’un monde foisonnant.

Ki et Vandien, l’intégrale, par Megan Lindholm aka Robin Hobb, traduite par Xavier Spinat et Guillaume Le Pennec, Mnemos, 2012, 845p.,couv. Alain Brion, 28€

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