Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (L')

L’homme à abattre


Et pour quelques dollars de plus
L’action se déroule en 1881, le célèbre Jesse James a 34 ans. Avec sa bande de renégats, il dévalise les occupants d’un train et prépare déjà son prochain braquage de banque. Frank, son frère aîné, vient de le quitter car ce dernier est bien décidé à se ranger. Jesse sait pertinemment que ses ennemis, qui sont légion, sont prêts à tout pour toucher la faramineuse prime promise pour sa capture qui vient encore d’augmenter, atteignant du coup un montant record (bien supérieur d’ailleurs à ce que ses complices peuvent espérer tirer de leurs dangereuses activités), et se couvrir ainsi de gloire. Pourtant, cela ne l’a pas empêché d’intégrer, depuis peu, dans sa bande un dénommé "Robert Ford", un petit nouveau qui lui voue une admiration sans borne. Après l’attaque nocturne du train, Jesse James demanda à Robert Ford de l’aider à déménager, précaution habituelle qu’il prenait toujours après chaque attaque d’envergure. Une fois ce petit service rendu, Ford fut invité à prolonger son séjour auprès de celui qu’il idolâtrait depuis sa tendre enfance.

La légende de Jesse James
Les principaux protagonistes habitent Kansas City et St Joseph, deux villes du Missouri en pleine expansion. L’ère des pionniers est depuis longtemps révolue et le téléphone vient juste de faire son apparition. La presse de l’époque relate avec enthousiasme et dans le menu détail les exploits du plus célèbre hors-la-loi des États-Unis tout en jetant un regard complaisant et admiratif sur les multiples braquages sanglants que Jesse James et sa bande avaient commis depuis de nombreuses années. Les éditeurs de journaux et de romans populaires avaient trouvé en lui de quoi satisfaire la soif de sensationnalisme du grand public. Ils embellissaient fréquemment le récit de ses exploits ou lui en prêtaient même d’autres, carrément inventés de toutes pièces, en mettant toujours en valeur son audace et son charisme. Du coup, le grand public voyait en Jesse James un rebelle et un héros et non pas le criminel et l’assassin qu’il était réellement.
Sa légende le faisait passer pour une sorte de "Robin des Bois", ennemi juré des banquiers et propriétaires de chemins de fer ainsi que pour un généreux défenseur des petits fermiers exploités. Ses concitoyens le considéraient comme le dernier aventurier, un symbole de liberté, un porte-drapeau de l’esprit américain, un rebelle charismatique narguant la loi et n’obéissant qu’à ses propres règles. Bien que réprimant sa conduite, la population était toutefois heureuse d’avoir trouvé en lui un porte-parole assez audacieux pour commettre des actes répréhensibles que beaucoup d’entre eux rêvaient en secret de faire de même.


Le fan
C’est en faisant passer Jesse James pour un aventurier plein de bravoure et un défenseur des opprimés du Missouri que la presse transforma cet authentique criminel en un héros, le faisant ainsi devenir un objet d’adulation et un mythe vivant. C’est cette fausse image de James qui berça la jeunesse de Robert Ford. Fasciné depuis sa plus tendre enfance par ces récits héroïques, il y puisa la matière de ses propres rêves de gloire et fit de lui l’un de ses plus fervents admirateurs. C’est comme cela que le jeune homme nourrit son adoration inconditionnelle, sa dévotion aveugle et ses fantasmes à l’égard de James. Ce jeune homme idéaliste et ambitieux rêvait depuis longtemps de partager les aventures de son idole mais en réussissant à 19 ans à faire partie du cercle très fermé des rares intimes de Jesse James, il ne se doutait pas qu’il finirait, peu de temps après, par abattre chez lui l’ennemi public n°1 qui était poursuivi par la police de 10 états.


Chronique d’une mort annoncée
C’est avant tout l’accumulation de regards qui tuent et l’usage à répétition de petites phrases assassines qui, envenimés par la paranoïa grandissante de James, vont créer un climat de terreur constante jusqu’au point de retour. Comme le dit si bien l’adage : "C’est l’occasion qui fait le larron". Alors lorsque James pousse l’ironie jusqu’à offrir à son futur bourreau l’arme de son crime, avant de retirer son ceinturon et de lui tourner volontairement le dos tout en le narguant une ultime fois, la tentation devient bien trop grande pour Ford. L’occasion est trop belle et sachant qu’une telle opportunité ne se présentera jamais une deuxième fois, il abat son idole d’une balle dans le dos, rentrant ainsi, du même coup, dans l’Histoire comme étant le "sale petit lâche" qui tua Jesse James dans le dos.


Ennemis rapprochés
Ceux qui s’attendent à voir un western traditionnel, passez votre chemin car tel n’est en aucun cas le propos du film. L’Assassinat de Jesse James par le Lâche Robert Ford pourrait aisément être catalogué dans la catégorie "psychodrame" car le scénario nous dresse ici le portait intime et (entre)croisé de ses deux hommes entrés, chacun à leur façon, dans la légende et l’Histoire des USA. D’un côté, on a un charismatique et imprévisible desperado dont on découvre les tourments intimes (ses motivations complexes, son obsession du secret, ses relations de plus en plus tendues avec les autres, son extrême méfiance vis-à-vis de tout le monde y compris des membres de sa bande et/ou de sa famille, sa paranoïa grandissante, son instabilité émotionnelle allant de violentes crises de colère à de longues périodes de méditation en solitaire). Face à lui, on a un jeune homme fougueux, ambitieux et idéaliste qui rêve depuis des années de vivre de grandes aventures auprès de son "héros" mais qui se rend compte, une fois parvenu dans le Saint des Saints, que "rêve" et "réalité" sont deux choses très différentes. Déchiré entre toutes sortes de sentiments contradictoires (vénération, fascination, identification désespérée à l’homme qu’il adule, jalousie, angoisse, frustration, ressentiment, haine), le petit nouveau de la bande finit par prendre conscience qu’il ne pourra jamais être Jesse James à la place de celui-ci. C’est alors qu’une idée folle commence à germer dans son esprit : il va tout faire pour devenir célèbre, lui aussi, en étant celui qui aura abattu le plus grand hors-la-loi de son temps. A lui donc la gloire et la richesse, en touchant la prime faramineuse qui lui reviendra alors de fait.


Autopsie d’un meurtre
Après que Charley Ford eut présenté son jeune frère Robert à Jesse James et que celui-ci l’intégra dans sa bande, le décor est désormais planté. Le scénario émet ensuite des hypothèses et nous soumet des explications possibles (et plausibles) sur ce qui a bien pu se passer entre les deux hommes pendant les quelques jours qui ont précédé le fatidique moment, reste alors au spectateur à se faire sa propre opinion. Tel un médecin légiste, Andrew Dominik dissèque avec précision le meurtre pour tenter de reconstituer ses tenants et ses aboutissants. Tel un psychiatre, il plonge dans les méandres du cerveau de ses deux "ennemis rapprochés" pour tenter d’analyser leurs motivations respectives et décortiquer par le menu leurs relations, tout à la fois complexes et ambiguës, qui vont inexorablement les entraîner vers l’inéluctable.
Le scénario cherche à savoir pourquoi Jesse James, personnage extrêmement méfiant vis-à-vis de tout le monde y compris de ses proches et dont la tête était mise à prix, prit le risque inconsidéré d’inviter un quasi inconnu chez lui. Même s’il adorait le risque et défiait sans cesse la mort, pourquoi a-t-il détaché son ceinturon et sciemment tourné le dos à Ford, se mettant ainsi volontairement dans une position d’extrême fragilité ? S’agirait-il, en fait, d’une ultime provocation de la part de James (qui prenait visiblement un malin plaisir à manipuler les autres) à l’égard de Ford, intimement convaincu que celui-ci n’aurait jamais le cran de le tuer ou bien une façon comme une autre de mettre fin à une vie pour laquelle il n’avait plus goût mais sans avoir à le faire de ses propres mains ? Telles sont les questions qui restent encore à ce jour sans réponse.
Le parti pris du scénario, adapté du roman éponyme de Ron Hansen, fait de ce film quelque chose de très différent par rapport aux autres films ayant déjà précédemment traité du même sujet tandis qu’Andrew Dominik opte pour une mise en scène empreinte de lyrisme et de mélancolie qui met en valeur l’époustouflant duo (voire même duel) d’interprétation de Brad Pitt et de Casey Affleck qui font des merveilles dans le non-dit et mériteraient largement tous deux d’obtenir un Oscar pour leurs prestations respectives. Le seul bémol de ce surprenant anti-western réside toutefois dans sa longueur un peu excessive.



L’Assassinat De Jesse James Par Le Lâche Robert Ford
Réalisation : Andrew Dominik
Avec : Brad Pitt, Casey Affleck, Sam Shepard, Mary-Louise Parker, Jeremy Renner, Paul Schneider, Jeremy Reiner, Zooey Deschanel, Sam Rockwell, Garrett Dillahunt
Sortie le 10 octobre 2007
Durée : 2 h 39

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