Fosse commune

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Je connais Kenan Gorgun. Enfin… Je ne vais pas vous jouer ici le couplet du copinage sauvage, voir de la complicité inévitable entre les critiques et les auteurs. Non. Je connais Kenan Gorgun pour l’avoir croisé à plusieurs reprises, lors d’une célèbre Foire du Livre de Bruxelles, sous les Pyramides, où l’équipe de Phénix (une revue de l’imaginaire dirigée par Marc Bailly, dont la signature croise parfois dans les eaux bouillantes de Lire est un Plaisir !) s’était fait un plaisir d’organiser quelques rencontres avec des écrivains de ce que certains appellent encore de la paralittérature. A l’époque, Kenan Gorgun écrivait beaucoup, débordait de projets de toutes sortes et brûlait de ce désir d’être lu et publié.

Vorace lecteur, j’avais eu l’occasion de parcourir certains de ses textes et d’en retirer au moins une certitude : le bougre ne manquait pas d’énergie, ni de style… Mais se foutait comme de sa dernière chemise des règles les plus élémentaires de la narration, bien décidé à secouer le lecteur… pour le simple plaisir de le secouer.

Ses premiers écrits publiés, et ce ne fut guère une surprise, prirent la forme de nouvelles. Parce dans cette forme concentrée, où l’histoire a parfois moins d’importance au cœur de la folie des sentiments ou dans les méandres brûlants d’une idée délirante, Kenan Gorgun excelle. L’énergie, déjà citée plus haut, vous explose à la figure, les phrases vous maltraitent avec la force d’un boxeur poids lourds et votre esprit s’extasie devant tant de maîtrise de l’art de la déflagration littéraire.

Aujourd’hui, Kenan Gorgun débarque chez Fayard avec ce Fosse Commune… Et là, au fil d’un récit qui n’en est pas vraiment un, la faille narrative s’élargit soudain pour engloutir totalement le lecteur et le recracher au bout de cinquante pages… s’il tient jusque-là. N’est pas Dantec qui veut. Et si même l’auteur d’Artefact épuise au fil de ses égarements aux odeurs douteuses, que dire d’un « jeune auteur » dont c’est la première tentative de harponner le lecteur dans la cours des grands ? Je connais Kenan Gorgun. Et je trouve dommage qu’une grande maison comme Fayard publie en l’état cette brique qui ne manque pas de « moments » mais entérine une espèce de marche folle vers des textes qui confondent style et substance, réflexions et vaines digressions… Au point de flirter avec les frontières de la fumisterie pure et simple. Evidemment, la cervelle farcie de thrillers et de romans à la mécanique parfaitement huilée, je suis peut-être imperméable au chef-d’œuvre, incapable de surprendre le génie au cœur d’un texte qui n’est pas fait « pour tout le monde ». Mais on touche alors à un élitisme littéraire qui m’énerve encore davantage et qui consiste à porter au pinacle tout ce qui est obscur et torturé, ampoulé et chiadé, dans une espèce d’ultime snobisme qui voudrait que ne plus rien dire, ni raconter, constitue forcément un aboutissement et une réussite.

Je connais Kenan Gorgun. Je suis déçu que l’énergie et le talent qu’il possède se déversent dans cette littérature de poseur.

Ah zut, je crois que du coup, j’ai oublié de vous parler ce que raconte Fosse Commune… Et bien justement, à force de vouloir m’éblouir et me secouer, l’auteur est parvenu à me le faire oublier.

Kenan Gorgun, Fosse commune, Fayard, 440 p.

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Commentaires

Bien écrit, Christophe !

Bruno

salut à tous,j’ai bien essayé de lire Fosse Commune,en vain ,je n’y comprends rien !Et pourtant ,j’aime beaucoup lire(tous les genres litteraires)mais là je n’y arrive pas !bon,je réessayerai plus tard...