Histoire zéro

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Que reste-t-il de nos vingt ans ?

Quand on pense à William Gibson, on a envie de chantonner « Que reste-t-il de nos amours » ou alors de repenser à nos vingt ans partis depuis longtemps en poussière. Au début des années 80, « hard science » et « space opera » dominent un genre fatigué des expérimentations stylistiques de la « new wave ». Le lectorat semble devenu plus frileux, plus conservateur, disent alors les critiques de l’époque. Ce n’est qu’une apparence. Dans l’ombre, un type nommé William Gibson écrit ses premières nouvelles, peignant un futur sombre dominé par des multinationales. Ses histoires décrivent des personnages sous influence technologique permanente, connectés à un espace immatériel nommé matrice. Prothèses, implants envahissent alors cet univers développé par Gibson et ses amis Tom Maddox et Bruce Sterling. Quand le « Neuromancien » sort en 1985, c’est une déferlante, une mode qui rajeunit la science-fiction et amène de nouveaux lecteurs. Avec cependant des effets pervers : désormais fleuriront des romans pleins de cyborgs en tous genres, de fusion homme/machine ad nauseam

Le mythe Gibson

Mais l’impact de William Gibson dépasse le genre. Le cyberpunk a un impact culturel indéniable dans les années 80 et 90. Au cinéma, « Johnny Mnemonic », nouvelle de Gibson, est adaptée en 1995 avec Keanu Reeves dans le premier rôle, « New Rose Hotel » est transposé à l’écran par Abel Ferrara (pour un résultat plutôt arty). En musique, Billy Idol reprend des thèmes chers à Gibson (« Cyberpunk » en 1993) et surtout le groupe U2 qui réalise « Zooropa » (également en 1993) en s’inspirant ouvertement - le chanteur Bono le revendique à l’époque dans ses interviews - des écrits de l’écrivain canadien. Gibson s’impose donc progressivement comme un formidable créateur d’idées et de concepts pour notre époque. Pour autant, « Neuromancien » laisse une impression de lourdeur stylistique. Gibson, il s’agit ici d’un jugement personnel, est un écrivain difficile d’accès. Walter Jon Williams (« Câblé ») et Bruce Sterling (« Les mailles du réseau ») ont une écriture plus fluide. Toujours est-il qu’un nouveau Gibson constitue toujours un évènement. Il est comme le monolithe de « 2001 » : on vient se recueillir devant lui, chercher l’inspiration.

Un lecteur perdu dans des pièges et des tiroirs

Ici, notre prophète nous parle de mode et reprend le personnage de Bigend, sorte de deus ex machina déjà présent dans « Identification des schémas », qui s’est mis en quête d’un blouson hors mode, dont il existe peu d’exemplaires, inconnu dans un monde où tout change et donc hors de prix. Pour mener cette enquête digne d’une fashionista hystérique, Bigend choisit d’avoir recours aux services de l’ex-rockeuse Hollis et du mystérieux Milgrim. Ce dernier est un personnage renfermé, lunaire, qui sort d’une période intense de toxicomanie. Ce couple improbable part donc pour l’Europe, entre Londres et Paris, à la recherche de cet artefact peu commun, recherché aussi par l’armée.

Gibson peint dans « Histoire zéro » un monde à tiroirs, comme une orange qu’on pèlerait à la recherche de l’explication ultime du grand dessein qui préside à notre monde. Gibson affecte dans cet ouvrage une démarche littéraire qu’on qualifiera à grand trait de post-moderne mais qui débouche au final sur pas grand-chose. Le blouson restera un grand secret, Milgrim trouvera l’amour et Hollis enregistrera un nouvel album. « Histoire zéro » est trop long, trop abscons : le lecteur zélé avide de plongée artistique reste désespérément à la surface. Difficile d’être un génie à plein temps…

William Gibson, Histoire zéro, traduit de l’américain par Doug Headline et Jean Esch, Au diable Vauvert, 548 pages, 23 €

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