GENEFORT Laurent 03

Auteur / Scénariste: 

Interview de Laurent Genefort réalisée le 7 mars 2009 à la Foire du Livre de Bruxelles.

Tu as annoncé que la collection TSF reprendrait des livres de SF des années 30 à 70. Mais les années 30 sont plutôt marquées par la SF anglo-saxonne. Trouvera-t-on autant d’auteurs anglo-saxons que francophones dans la collection ?

En réalité, la collection accueillera probablement des auteurs à partir des années 1910. 1930 était un peu trop restrictif par rapport aux objectifs actuels. J’aimerais beaucoup rééditer Gustave Le Rouge, par exemple. L’idée initiale était de rééditer des auteurs de l’entre-deux guerres. Mais cette période reste très minoritaire par rapport à la SF des années 1960-70 qui reste le gros du contingent des rééditions.

Quels sont les livres que Laurent Genefort aimerait retrouver dans la collection "Trésors de la SF" en dehors des Verlanger et Cooney ?

Les auteurs que j’édite, ce sont précisément les auteurs que je veux y trouver, puisque Bragelonne m’a donné carte blanche sur le choix des textes. Il n’y a aucun auteur que je rééditerais à contrecœur.

 Est-ce que les sorties 2010 sont dans la même lignée que celles de 2009 ?

Il y aura Eric Frank Russell, qui était un de mes auteurs favoris quand j’étais adolescent. Je crois avoir lu Guêpe 5 ou 6 fois quand j’étais au collège et au lycée. Guerre aux invisibles reste cher à mes yeux, même s’il n’est pas représentatif du pacifisme de Russell. Pour moi c’est une des plus belles histoires de subordination humaine par des extraterrestres. Et pourtant l’ouvrage date de 1938 ! En 60 ans, je trouve qu’on n’a pas mieux fait. Il s’agit d’un grand auteur qui commence hélas à tomber dans l’oubli.

A l’instar de Michael G. Coney qui a récemment été réédité chez Bragelonne, est-ce que des CLA SF qui n’ont jamais été réédités, feront leur apparition dans la collection TSF ? Je pense par exemple à des auteurs comme James Gunn, Vonda McIntyre, James H. Schmitz.

La plupart de ces auteurs figureront justement dans la collection.

Aura-t-on aussi des inédits ? Des romans qui n’ont jamais été traduits en français ?

J’espère ! Je ne peux pas trop en dire sur ce qui n’est pas encore conclu au niveau des droits. Je ne peux pas indiquer des titres qui ne sont pas signés.

J’avais aussi Keith Laumer, Beam Piper…

Keith Laumer est dans ma liste de favoris.


Henry Kuttner, James H. Schmitz, Christopher Anvil…

Kuttner, pareil ! En revanche je n’ai pas encore relu son œuvre récemment, donc je n’ai pas encore fait ma liste de bouquins rééditables. Je ne sais pas encore.

Jack Williamson, E.E. doc Smith…

Jack Williamson, pour moi, c’est d’abord et surtout Les Humanoïdes. C’est un bouquin qui m’a terrifié quand j’étais ado. En revanche, je ne sais pas trop encore ce que je pourrais y ajouter.

Il y a des nouvelles concernant les humanoïdes

Il faut au moins deux romans. C’est ce qui a écarté un certain nombre d’auteurs qui sont uniquement des nouvellistes, ou qui n’ont publié qu’un seul roman. Je ne peux pas les intégrer dans TSF, car à la base il s’agit d’une collection d’anthologies de romans auxquels je peux adjoindre des nouvelles.

Est-ce que le lecteur qui achète un livre de la collection « Trésors de la SF » achète systématiquement un omnibus ?

Oui, bien sûr. C’est la vocation de la collection. L’idée est d’insérer un corpus nouveau à travers les postfaces, des nouvelles qui n’ont pas été traduites ou éditées. Cela va être le cas pour Michel Jeury par exemple, qui est prévu courant 2010. Son recueil comptera 3 romans, dont Poney-Dragon qui est un chef-d’œuvre. Je suis ravi de le rééditer, et intimidé je dois dire. Je ne suis d’ailleurs pas le seul directeur de collection à m’intéresser à Jeury…

Des auteurs comme Fredric Brown qui sont déjà chez Denoël…

Ah, oui. J’aimerais Brown, Heinlein, Farmer, Asimov – les grands anciens. Il y a des dizaines.

Edgar Rice Burroughs …

C’est un auteur qu’on trouve facilement, alors qu’il devient très difficile de trouver Keith Laumer. Je vais plutôt privilégier des auteurs comme Laumer parce qu’il faut les exhumer pendant qu’il est encore temps.

J’avais aussi des auteurs francophones sur ma liste, comme P.J. Herault par exemple ?

P.J. Herault reprendra le flambeau de Julia Verlanger dans TSF, quand les cinq tomes de l’intégrale seront édités.

Est-ce que c’est Rivière Blanche qui ne sait pas le sortir ?

Non, au contraire. J’ai contacté Jean-Marc Lofficier pour lui demander l’autorisation de publier Cal de Ter. Il a eu l’immense gentillesse d’accepter, alors qu’il les avait programmés. Adolescent, j’ai lu P.J. Herault. C’était dans la parfaite continuité de Verlanger : le même flot narratif, de la SF populaire des années 70. Cela a commencé en 1976, la même année que Julia. Cela m’a permis de rencontrer ce monsieur, aussi talentueux que modeste.

Je voudrais revenir sur le Fleuve Noir car la collection TSF se prête bien aux rééditions. N’y a-t-il pas un peu trop d’éditeurs qui puisent dans le Fleuve Noir ? Il y a de très bonnes choses qui méritent une réédition. Va-t-on trouver dans ta collection un certain nombre de bons auteurs du Fleuve Noir ?

Oui ! Par exemple, j’ai une grande tendresse pour B.R. Bruss, sous-estimé selon moi. La force de B.R. Bruss, ce sont ses idées. Ce n’était pas un romancier majeur au sens où il avait du mal à installer des ambiances. C’est son principal défaut et c’est sans doute ce qui fait qu’il a un peu été oublié. Si on passe cet aspect-là, ses romans sont très courts (il faut les lire comme de grosses nouvelles), les idées sont incroyables. Dans l’un de ces romans, qui date de 1965 ou 66, il y a l’amorce d’un « Dune ». L’empire a standardisé la culture humaine qui est en train de dégénérer. L’empereur décide alors d’isoler une dizaine de colonies spécifiques, de telle manière qu’elles croissent sans contact avec le reste de la civilisation. C’est une sorte d’expérience sociale grandeur nature. L’empereur décide de les redécouvrir une centaine d’années plus tard. Sauf qu’il va mourir et les planètes vont être oubliées, pour n’être redécouvertes que mille ans plus tard. Ce côté « grand dessein galactique » où l’on manipule des cultures entières est très dunien. Pour un auteur français ayant écrit cela dans une collection populaire en 65-66, c’est tout à fait incroyable. Après cela redevient de l’aventure assez basique, mais l’idée est là. B.R. Bruss était un auteur qui avait des idées supérieures au niveau de la prose populaire du Fleuve Noir.

J’ai aussi une série de questions pour toi mais en temps qu’auteur. Je voudrais aborder Mémoria pour lequel je trouve beaucoup de points communs avec La Mécanique du talion. Je m’étais dit que tu ne t’embarrasses pas de gros pavés comme beaucoup d’auteurs le font actuellement. Tu vas directement à l’essentiel, dans des romans d’action dans lesquels on suit le raisonnement du personnage principal. Je m’étais demandé si tu avais une technique d’écriture particulière pour que cela devienne aussi fluide, aussi limpide alors qu’on est dans les pensées du personnage principal ?

La genèse de ces deux romans est systémique plutôt que scriptée. Je sais où je vais, mais je ne sais pas toujours comment j’y vais, ce qui donne un côté dynamique à certains moments de l’histoire. En revanche, je sais toujours où je vais, comment cela finit et les moyens pour y parvenir. Mais j’ai beaucoup de plages d’improvisation dans mes romans, sinon je ne pourrais pas écrire. Il y a des auteurs qui s’épanouissent pleinement dans l’écriture en suivant des plans très rigoureusement. Moi, je ne peux pas.

Quand tu as commencé l’écriture de Mémoria, connaissais-tu déjà la fin de l’histoire ? Dans les 20 ou 30 dernières pages quand on découvre qui est vraiment le tueur, c’est une grosse surprise. Je me suis demandé si c’était déjà planifié dès le départ.

Oui, puisque l’idée est de poser la question tout au long et d’y répondre à la fin. Est-ce que nous ne sommes que la juxtaposition de nos souvenirs ? Mon personnage n’utilise pas ses propres souvenirs mais ceux des autres, mais le problème est le même.

Les points communs entre les héros des deux romans – le vengeur et le tueur – c’est que ce sont des personnages populaires. Dans La Mécanique du talion, le héros est une sorte de Monte-Cristo. On est dans le roman populaire, sauf que l’univers n’est pas un univers de roman populaire. C’est un univers de complexité où les responsabilités se diluent dans la vastitude de l’univers, dans les ramifications hiérarchiques… Peu importe qui sont les donneurs d’ordres dans La Mécanique du talion ou dans Mémoria. Dans un univers marqué par la complexité et la diversité, ce genre de héros est destiné à se dissoudre. Et dans les deux romans, la fin est le récit de leur dissolution, de leur anéantissement. Parce que ce genre de personnage populaire ne peut pas vivre dans des univers aussi complexes. C’est un jeu sur le genre, d’une certaine SF, d’un certain space opera.

Tu situes aussi « Omale » dans le même univers que celui des Portes de Vangk.

« Omale » est à part. C’est un univers fermé, sans contact avec l’extérieur. On peut dire que ce sont deux cycles différents.

« Omale » c’est trois romans et une longue nouvelle (« L’affaire du Rochile »). Est-ce que tu compte encore nous donner des suites au cycle ?

Plus d’autres nouvelles qui sont parues dans Galaxie, dans Ciel et espace

Est-ce que le lecteur va un jour trouver « Omale » sous forme d’Omnibus ?

Le cycle va continuer. Mais je ne peux rien te dire !

« Omale », ça pourrait être une BD. Comme je sais que tu as participé en temps que scénariste à la BD « T’ien Keou » avec Ponzio, est-ce que « Omale » ne risque pas un jour de devenir une BD ?

J’ai été approché en ce sens, mais ce n’est pas à l’ordre du jour parce que d’une part, cela nécessite beaucoup de travail préparatoire ; d’autre part, c’est d’abord et avant tout un univers romanesque. Dès qu’on met en images un monde, on le réduit, on le « précipite » au sens chimique. Pour le moment je préfère qu’il reste en suspension dans la littérature.

Comme auteur tu as basculé du côté de la fantasy. Est-ce que c’est un passage qui va se prolonger ou bien vas-tu revenir à tes premiers amours qui sont la SF traditionnelle ?

En fait, mes premiers amours c’est la SF et la fantasy. J’ai commencé à écrire de la fantasy dès 1989, mais elle n’a pas été publiée à l’époque. Je suis très à l’aise dans les genres : j’aime beaucoup faire du vrai space op’, du vrai cyberpunk, de l’uchronie… Ce n’est pas parce que c’est une manière de se cadrer, mais parce que quand on se trouve à l’intérieur d’un genre, on peut réellement approfondir ses thèmes – très bien connus des lecteurs –, et innover. C’est un travail « vertical ».

Est-ce qu’il y a des choses que tu veux absolument réaliser ? Est-ce qu’il y a des choses que tu as planifiées, sans révéler le contenu ?

A l’heure actuelle j’écris le dernier volume des « Hordes », qui est quelque chose qui me tient à cœur parce que c’est une manière de rendre hommage à ma culture howardienne… qui est tout autant importante que Gibson. Je l’ai lu de manière naïve à la même époque. Cela fait partie de moi autant que Gibson, autant que Farmer, autant que la SF classique ou moderne. Dans les « Hordes » il y a du Howard, mais aussi du manga. Et cela fait longtemps que l’imaginaire de fantasy anglo-saxon ne m’inspirait plus beaucoup. Au contraire, j’ai toujours accroché la fantasy japonaise. Dans les « Hordes » il y a beaucoup cette espèce de mélange très japonais entre le monde des démons et le monde des hommes qui sont quasiment des univers parallèles.

Après ta trilogie de fantasy, continues-tu dans le genre ?

Je vais revenir à « Omale ». J’ai en outre deux gros travaux en cours : la traduction d’un cycle monumental de space opera chez Bragelonne qui s’appelle « La Saga des Sept Soleils », de Kevin J. Anderson. Et le gros de mon travail actuel concerne un jeu vidéo dont je ne peux rien dire, car il n’est pas encore annoncé.

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