Factory et Medina

Illustrateur / Dessinateur: 

Bonjour à toutes et à tous.

Belle découverte d’un auteur français de SF, Yacine Elghorri, qui parallèlement à la bande dessinée, a travaillé comme story bordeur pour le dessin animé aux USA. Je n’avais encore jamais lu un de ses albums, oubli enfin réparé avec la lecture des trois tomes de Factory, ainsi que les deux premiers tomes de Médina, étant eux empruntés à la bibliothèque.


Bien m’en a pris. Malgré un air de déjà vu pour le style lorsqu’on feuillette simplement les albums, rappelant notamment Matsumoto et parfois Bilal, il est pourtant bel et bien original. Quant à la narration, elle est assez surprenante par certains aspects, même si les histoires restent compréhensives et s’inscrivent dans de grandes thématiques SF connues voire classiques.

Factory

trois tomes

Éditions Carabas, 2007-2009

Factory raconte une terre ravagée par la pollution, sans nourriture, où une population vivant dans des bidonvilles est nourrie par une Factory, inquiète. Un inspecteur vient la contrôler. Il ne doit pas découvrir la sinistre vérité, la nourriture vient d’humains recrutés dans les bidonvilles, gavés comme des oies. Comme elle a perdu son dernier précog capable de prédire l’avenir proche, la Factory ne sait pas ce qui l’attend…

De son côté, un homme traverse le désert, il a découvert un peuple de cochons intelligents, qui fournirait de la viande à satiété.


Mais un autre peuple, celui des singes, veut lui aussi sa part du gâteau et part en guerre…

Ce qui est le plus frappant dans cette histoire, c’est la sobriété du récit.
Sobriété d’abord du nombre de pages, 36 par album, ce qui est bien peu, la tendance étant pour nombre d’auteurs à dépasser allégrement les 48 pages de la bd cartonnée. Cela oblige forcément Yacine Elghorri à restreindre, non les faits nécessaires à l’établissement et à la compréhension de son histoire, mais à réduire les interstices.

Aucun vide nulle part.

D’où une forme de récit, non pas véritablement accélérée, mais très brutale, sans temps perdu. Factory raconte l’urgence par sa forme narrative même, l’urgence de fournir à tout prix une alimentation à une population en voie d’extinction.

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Guère de place pour des histoires parallèles, pour une exubérance de récit. On crève de faim et cela entraîne les dernières extrémités en terme de comportements…

Sobriété du dessin aussi, où plutôt des décors lequel dans de nombreuses cases est réduit à un aplat de couleurs. Pourtant là, il ne s’agit en aucun cas de paresse, mais bel et bien d’un style maîtrisé.

Car Yacine Elghorri vient du story bordage de dessin animé, même s’il a toujours pratiqué la bande-dessinée en parallèle. Il ne perd donc pas de temps en décors complexes, en tentative de prouver son grand talent par une accumulation de détails, ce qui peut aussi chez un autre auteur être très jouissif. Il ne s’agit pas là de juger ou de hiérarchiser des styles graphiques mais bien de ressentir qu’un choix bien assumé entraîne une sensation agréable pour le lecteur.


Yacine Elghorri saute même une étape pourtant à priori indispensable en bande-dessinée : il n’encre pas, mais une fois son trait fait au crayon, il le scanne et le colorie directement à l’ordinateur.

Cela peut plaire ou pas, mais j’ai eu la forte impression de ne pas lire véritablement une bd, au sens d’une œuvre de fiction, mais bien plus un carnet de dessins, témoignage d’une action en cours. Comme si Yacine Elghorri accompagnait ses personnages, assistait aux scènes, en rendait compte rapidement sur un carnet, pressé par le temps.

Tout le contraire d’un autre auteur, Jo Sacco, qui lui pratique réellement le carnet de voyage documentaire, notamment au Proche-Orient, mais dont le résultat final est une bd au graphisme très complexe, fourmillant de détails, soigneusement ancrée.

Medina

Série en cours en trois tomes, scénario de Dufaux.

Éditions Le Lombard , 2010


Avec exactement le même style graphique et narratif que pour Factory, Medina raconte le combat des derniers humains réfugiés à Medina contre des êtres venus d’ailleurs par une singularité ouverte par la Science. Les Drax peuvent infecter les humains qui, au bout de quelques heures, se transforment sinon en Drax tout du moins en horribles bêtes agressives…

Mais un espoir subsiste, une jeune fille enceinte d’un Drax est ramenée à Medina. Les envahisseurs veulent à tout prix la récupérer…

Là encore, la sécheresse efficace de la narration est frappante ainsi que la reprise de trois thèmes classiques, l’invasion d’une espèce extra-terrestre expansive tentant d’éradiquer l’espèce humaine, le dernier bastion de résistance pris d’assaut et le croisement entre les deux espèces, symbole d’un autre type de relation ou bien alors de victoire pour l’un des deux camps.


Yacine Elghorri ne tente pas d’inventer de nouveaux récits avec une réflexion inédite sur les thématiques traitées. Pourtant, à aucun moment, contrairement à d’autres bandes dessinées banales voir médiocres, jamais l’on ne ressent un quelconque sentiment d’ennui. Nous avons affaire à un véritable auteur graphique, qui parvient à traiter l’histoire de telle manière qu’elle nous paraisse neuve, inédite.

Retravailler sur des classiques n’est donc pas forcément un obstacle à la nouveauté, au plaisir du lecteur. N’hésitez pas à découvrir cet auteur, au style narratif sec et jouissif à la fois.

Une interview à lire sur Sceneario.com

Il existe deux autres albums de Yacine Elghorri aux éditions Carabas. À priori, tout doit être bon à lire…

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