Brodeuse de Winchester (La)

"Jane Austen était morte à l'âge de quarante et un ans sans mari ni enfants, seulement une soeur dévouée. Violet n'avait même pas cela, et elle n'avait certes pas plusieurs romans à son actif. Il ne lui restait que trois ans pour rattraper Miss Austen en termes de créativité."

Winchester, 1932. Violet Speedwell, trente-huit ans, fait partie de ces millions de femmes restées célibataires depuis la pénurie d'hommes d'après-guerre. Pour échapper à une mère acariâtre, elle décide de prendre son envol. Mais son célibat lui attire plus de mépris que d'amitié. C'est au sein du cercle des brodeuses de la cathédrale qu'elle trouvera le soutien qui lui manque pour affronter les préjugés de son époque. Grâce à Arthur, le sonneur de cloches, elle découvre aussi un tout autre cercle, masculin cette fois. Au même moment, la radio annonce l'arrivée d'un certain Hitler à la tête de l'Allemagne.

Que faire de sa vie quand on n'a d'autre perspective que de s'occuper d'une mère tyrannique jusqu'à sa mort, avant de devoir mendier une maigre subsistance à un frère indifférent ?

Pour Violet, pas question de se contenter d'obéir à la voie tracée par le sort. Avec un entêtement incompris par ses proches, cette femme plus très jeune décide de se rebeller et de prendre sa vie en main. Mais attention, on parle d'une Anglaise des années 30. Sa révolte se manifeste par petites touches discrètes et non par de grandes déclamations.

À travers ce personnage, Tracy Chevalier livre un portrait réussi de l'Angleterre de cette période, où les âmes se trouvaient embourbées dans les convenances et où il était de bon ton de se morfondre en silence. Qu'il s'agisse du cercle des brodeuses, des sonneurs de cloches ou de son amie Gilda, Violet utilise tout ce qu'elle trouve pour s'affranchir du carcan qui menace de l'étouffer.

L'autrice parvient à rendre beaucoup d'émotions par ses descriptions d'évènements ordinaires et de situations très quotidiennes. Avec une pudeur très british, elle suggère, elle effleure, elle propose et parvient à provoquer l'émotion là où on s'y attend le moins. Tout un monde disparu reprend vie sous sa plume, celui d'une classe moyenne très éprouvée par le lourd tribut d'une guerre dont les traumatismes ne sont pas encore dissipés et qui s'apprête à vivre un nouveau conflit tout aussi destructeur.

C'est beau, c'est doux, c'est surtout un magnifique portrait de femmes variées, dont chacune emporte l'enthousiasme du lecteur, qu'il s'agisse de celles qui ruent dans les brancards ou de celles qui s'accommodent tant bien que mal de leur destin.

Un roman élégant, intelligent, bien plus fin et universel qu'on pourrait le penser de prime abord.

La brodeuse de Winchester de Tracy Chevalier, chez Folio, ISBN 978-2072936944, 8,60 €