Crache-Béton

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Cette nouvelle apocalypse en miniature concoctée par le très baroque Serge Brussolo, grand spécialiste en la matière, nous entraîne à la découverte d’une station balnéaire coupée du monde : Saint-Hamine. Sise à proximité d’une mer intérieure où se produisaient, lors de spectacles destinés aux estivants, des baleines apprivoisées originaires d’une autre planète, la ville se trouve isolée de tous du jour où les bêtes contractent une étrange maladie qui transforme en pierre l’eau de mer rejetée par leur évent (c’est la raison pour laquelle on les appelle des « crache-béton »). Les concrétions pierreuses ainsi éjectées s’accumulent sur le front de mer, show après show, implacablement, jusqu’à élever de véritables murailles instables qui, au moindre son, s’effondrent le long des rues en de violentes cataractes meurtrières.

Au moment où commence le récit, ces parois sont d’ailleurs sur le point de totalement recouvrir l’agglomération.

C’est pour lutter contre cette fatalité que les habitants de Saint-Hamine se sont organisés en milices paramilitaires censées faire régner l’ordre dans la cité. Seulement, la loi martiale qu’ils instaurent équivaut à la mise en place d’un régime tyrannique impitoyable, traquant les déviants avec acharnement, n’hésitant pas à sacrifier un nombre incalculable de vies humaines dans son combat désespéré contre les baleines.

David, le personnage principal du livre, découvre par hasard cette situation. Il n’est venu en ce lieu que pour se faire quelques sous en vendant des chats à décorer ( !) et le voilà prisonnier de cet univers déjanté où il va devoir apprendre à survivre. Car une fois entré, on ne sort plus. Le besoin de chair fraîche pour aller batailler contre les crache-béton est bien trop intense. Les miliciens veillent à ce que tous les imprudents qui débarquent ici par erreur finissent dans les cales d’une des galères confectionnées sur place. Là, ils pourront souquer sang et eau afin de mener leur bateau au « corps à corps » avec les cétacés. Ainsi, un jour peut-être, la ville sera finalement délivrée de cette terrible malédiction…

Serge Brussolo prend un plaisir évident à tirer toutes les conclusions qui s’imposent de la situation de départ qu’il nous décrit. Certaines sont amusantes, d’autres terrifiantes - mais quoi qu’il en soit, elles font toutes sens dans le contexte envisagé. Comme toujours chez lui, bien que totalement bizarroide, l’univers qu’il imagine n’en est pas moins totalement cohérent à sa façon. De manière décalée, certes. Biscornue, même. Mais crédible.

Bien qu’il ne s’agisse pas ici d’un de ses meilleurs romans, on découvre cependant le monde en miniature que constitue Saint-Hamine - ses immeubles croulant dangereusement sous les gravats comme ses égouts infestés d’une faune humaine dégénérée, ses forêts constellées d’arbres en ébullition qui explosent à tout bout de champ en lardant d’échardes meurtrières ce qui a le malheur de passer à proximité comme son lac où se déroulent régulièrement d’affreux carnages hommes/cétacés – avec toute la curiosité d’un entomologiste penché sur une fourmilière grouillante. Les mœurs étranges de ses habitants, les castes constituées, les affrontements qui éclosent de-ci de-là nous tiennent en haleine, nous poussent à tourner page sur page.

Et qu’importe si tel aspect du récit est surdéveloppé tandis que tel autre est laissé en jachère. Le plaisir tient moins ici dans la perfection formelle de l’ensemble que dans le développement implacable d’une idée de départ, enrichie en cours de route de ramifications multiples, tendant toutes vers une même fin : le plaisir du lecteur.

Un Brussolo mineur, donc, mais néanmoins digne d’intérêt.

Serge Brussolo, Crache-Béton, 216 p., Editions Denoël

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