Anomalie (L’)

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Commençons par lever la question de savoir si c’est un livre de science-fiction. La réponse est incontestablement oui. D’abord parce que Le Tellier ne manque pas de citer quelques références, fut-ce lorsque ses personnages se rappellent avoir lu des livres ; ensuite parce que le thème fondamental, les réactions individuelles et collectives à un phénomène nouveau, est l’un des thèmes majeurs de la SF. Et, même s’il ne le cite pas, il y a un roman de Vercors, Comme un frère, sur le thème du personnage qui se dédouble qui, bien que publié en littérature générale, reste un roman de SF que j’avais déjà signalé à l’occasion de sa lecture.

 

Ceci étant, le procédé de la succession d’histoires séparées, autrefois original, devient lassant à la longue. Il permet toutefois à l’auteur d’évoquer un certain nombre de sujets distincts et d’exprimer un certain nombre d’opinions sur différents aspects de la société.

Il est dommage que les personnages restent plus ou moins de simples ébauches, des archétypes sans profondeur psychologique. Certains, comme le mathématicien et les autres « scientifiques » consultés par la « Procédure 42 », tiennent de la caricature. Et à évoquer trop de conséquences de l’« anomalie », le roman perd le lecteur sans creuser réellement aucun des aspects du problème.

 

Enfin il y a un piège courant que Le Tellier, auteur expérimenté, aurait dû éviter : que nous, lecteurs, nous posions la question de la création divine ou de la possibilité de n’être que des éléments d’une simulation est une chose ; que des personnages de roman se la posent, particulièrement quand leur créateur, l’auteur, vient d’imaginer une situation « anormale », oblige le lecteur à leur répondre immédiatement : « Mais vous êtes dans un roman, et de plus un roman fantastique... ». Peut-on faire dire à un personnage de roman « On se croirait dans un roman » ? À la rigueur s’il cite un auteur, cela tient du clin d’œil... Heureusement, et même s’il fait durer la discussion de cette hypothèse, et la répète à l’occasion, Hervé Le Tellier n’en fait pas l’essentiel du roman et se garde bien de prétendre la valider ou l’exclure... Je n’en ai pas moins failli arrêter ma lecture en cours de roman.

 

Alors ce roman aurait-il gagné un prix si publié en SF ? J’en doute. Même si, s’adressant aux lecteurs « mainstream », il ne manque pas de qualités. Et si, paradoxalement, je ne suis pas sûr qu’il puisse les inciter à lire de la SF, même celle qui s’approche de la littérature générale.

 

L’anomalie par Hervé Le Tellier, Folio n° 7096, 2022, 402 p., couverture de Martin Barraud, F8, ISBN 978-2-07-296582-1

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