Verschueren-Tag : interview

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Jérôme et Jeam, avant de parler de la série Bartók, pourriez-vous rapidement vous présenter tous les deux ?

Jérôme : Passionné de SF et de polars, je me suis lancé tard dans l’écriture, à 34 ans, en 2008, avec la publication de divers jeux de rôle. En juin 2012 est sortie ma première nouvelle, dans le recueil U-Chroniques du salon angevin ImaJn’ère. Puis, un an plus tard, c’était le tour de mon premier fascicule, chez le Carnoplaste.

 

Jeam : Illustrateur indépendant, de formation arts plastiques Bac et BTS, j'ai commencé à travailler professionnellement en 1991, après quelques parutions faniques et confidentielles.

En publicité sous patronyme : Jean-Michel Ferret, né en 1964.

En science-fiction sous pseudonyme, Jeam Tag, né en 1991 donc -simple transposition en anglais (un peu forcée pour le prénom) - avec des participations en conférences, expositions, etc.

Depuis une interruption forcée de quelques années au tournant de 2010, reprise d'activité en imaginaire par l'illustration mais pas que : quelques interventions d'après une étude entamée de longtemps sur « Les récits de SF adaptés à l'écran », par exemple.

Co-créateur d'une petite entreprise de diffusion d'images sur divers supports (tirages limités, vêtements, catalogues d'expositions...) souvent inspirées des territoires de l'imaginaire (En cours, une petite série « Jules Verne », dont le premier visuel fut improvisé pour la Convention Nationale d'Amiens cette année).

 

Je suppose que vous êtes tous deux très mélomanes, car choisir Bartók comme héros d'une histoire fantastique ne relève pas du hasard. Parlez-nous de vos goûts musicaux respectifs.

Jérôme : La musique me suit depuis longtemps. Au collège, j'étais fondu de Metallica et Iron Maiden. Au Lycée, c’était Sepultura, Slayer, Morbid Angel et Steve Vai. À l'époque, on n’était qu’une dizaine de « hardos » par lycée à écouter ce qu'on appelle maintenant du « Metal ». J'en étais à jouer de la guitare électrique dès que j'avais deux secondes devant moi… Juste après, mes horizons musicaux se sont élargis : Frank Zappa, Sonic Youth, PJ Harvey, Rollins Band, Nomeansno, John Cale… De ce type de musique, je n'écoute que mes vieux CD de cette époque. Les seuls musiciens/groupes dont je suis encore l'actualité sont Tool, Pierre Bensusan, Mike Keneally et Batlik.

En parallèle, à 14 ans, j'ai vécu mon premier choc de musique dite « classique », avec le huitième quatuor de Chostakovitch. Son ambiance incroyable m’a obsédé pendant de longues années. À 19 ans, c’est la Musique pour cordes, percussion et célesta, chef-d'œuvre de Bartók qui m'a hypnotisé. Depuis, j’ai découvert d'autres compositeurs et d'autres époques : de la musique de la Renaissance à la musique contemporaine, en passant par Bach, Bruckner et d'autres.

Pour résumer, dans une journée, je peux passer du Mahler, du Noir désir, du Dutilleux, du Mamani Keita, etc.

 

Jeam : Pour ma part, mon inculture musicale (hélas!) m'a finalement fait apprécier un panel très large qui pourrait horrifier les puristes : de jazz(s) en rock(s) (de Floyd en Zappa, de Led Zep en Radiohead, etc.), quelques miettes de variété, voire du bizarre. Le classique, que je méconnais trop, ponctue cependant régulièrement mon environnement de travail et pas seulement les occurrences astronomiques (Les Planètes, de Holst) ou inspirations filmiques SF (dans 2001 par exemple), qui restent mes inspirations autres, n'est-ce pas.

(Oups! Pendant que j'écris cela, Nathalie Dessay dans son émission sur France Inter  diffuse Zarathoustra -dirigé par Boulez, excusez du peu- et du Star Wars de John Williams, c'est fou!). La (re)découverte pour moi de Bartok est un joli cadeau que nous fait Jérôme : à l'instar de la série BD de Cosey (« Jonathan ») que je lisais au début des 1980 : ces fascicules sont « Une histoire à lire en écoutant... ».

 

Pourquoi avoir choisi plus précisément Bartók comme héros ? D'autres compositeurs ont fui l'Allemagne nazie pour se réfugier aux States, tels Schönberg ou Milhaud, Stravinsky ou Hindemith. Pourquoi le choix du musicien hongrois ?

Jérôme : Bartók n'a jamais fait aucune concession, crachant au visage des nazis et de leurs sympathisants, quoi qu’il lui en coûte. Rien ne l'y obligeait, il ne faisait pas partie des minorités traquées. Ainsi il aurait pu continuer à travailler dans son pays, sans problème, comme son ami Kodály. Mais Bartók méprisait tellement la barbarie et le totalitarisme, quel qu’il soit, qu’il ne pouvait rester silencieux. C’est lui qui est allé provoquer les nazis en leur demandant d’inscrire ses œuvres au programme de leur exposition d’art dégénéré, leur précisant « Ce serait un honneur pour moi ! ».

Autre caractéristique importante pour un héros : son destin tragique. Pendant que Schönberg et Stravinsky jouaient au tennis à Los Angeles, Bartók crevait la dalle à New York  (Je ne dis pas que l’exil n’était pas dur pour les autres, mais pour Béla, c’était un véritable enfer).

 

D'où viennent ces étranges ombres qui entourent le compositeur, cette « nuée de fantômes qui s'échappent de son corps », et qui lui donnent de mystérieux mais fort efficaces pouvoirs ? Y a-t-il un élément dans sa biographie qui évoque une recherche ésotérique, ou est-il dû à votre pure imagination ?

Jérôme : Quelques faits tout d’abord : Béla est né en Transylvanie, il possède le même prénom que notre cher Lugosi et c’est un spécialiste des « musiques nocturnes ». Tout ça en faisait un bon super-héros lunaire.

Mais surtout, il a travaillé pendant des années à la sauvegarde de la musique populaire paysanne de Hongrie, de Roumanie et d'autres pays alentours. Cet art était menacé de sombrer dans l'oubli, méprisé de tous. Grâce au travail de Bartók et Kodály, l’âme de ces peuples ayant vécu une histoire sanglante est encore vivante aujourd'hui. Il me paraissait normal que les esprits sauvés de l’oubli viennent lui apporter leur aide lorsqu’il se retrouve au pied du mur...

 

Eva est un superbe personnage, l'arme secrète d'Hitler aux États-Unis. Une invention de votre part, ou est-elle inspirée d'un personnage historique réel ?

Jérôme : C’est une pure invention. Physiquement, elle est inspirée de l’espionne allemande du film « La maison de la 92e rue », mais leurs personnalités sont très différentes. Je l'ai décalée pour qu'elle soit plus amusante et sympathique, malgré son caractère monstrueux…

 

L'apparition subite d'Edgar Varèse vers la fin de votre novella surprend agréablement. Quels ont été les contacts réels entre Varèse et Bartok ? Leur rencontre n'est-elle qu'uchronique ?

Jérôme : Ce dont je me souviens avec certitude, c’est que Varèse était l’une des rares personnes présentes à l’enterrement de Bartók. Robert Darvel, l’éditeur du Carnoplaste, m’avait demandé de faire intervenir des guest-stars musiciens et Varèse s’est tout de suite imposé. Outre sa musique extraordinaire et sa personnalité détonante, il se trouvait au bon endroit, au bon moment. Je ne pouvais décemment pas laisser passer ça…

Il y aura d’autres personnalités plus ou moins connues dans les prochains fascicules : des Russes dans « Béla Bartók dans les griffes de Baba Yaga », un Flamand dans « Béla Bartók et la main guidonienne », et d’autres…

 

Intermède graphique et question à Jeam : l'illustration de couverture est superbe. Pourquoi vous y être limité et ne pas avoir commenté graphiquement la novella plus avant ? D'autres scènes impressionnantes auraient mérité une illustration. Envisagez-vous plus de dessins par la suite ?

Jeam : L'économie de la fabrication d'un fascicule ne s'y prête pas forcément malgré les envies ; d'ailleurs, même en édition plus fortunée cela reste fort rare.

Il n'empêche, parmi les esquisses préparatoires à l'illustration de ce volume, il en est dont j'aimerais trouver le temps de les finaliser en noir et blanc (comme si cela avait été pour des inserts à l'intérieur du texte, ainsi que tu le suggères, Bruno).

Notamment le contrechamp du finale de la séquence de couverture, que j'esquisse parfois en dédicace.

J'espère, au fur et à mesure des aventures, engranger quelques scènes remarquables parmi celles qui ne seront pas retenues en couverture, mais qui pourraient être réalisées et diffusées d'une manière ou d'une autre : les récits joliment picaresques de Jérôme s'y prêtent assez bien.

 

J'évoquais dans ma critique l'inspiration de Frédéric Dard. Votre style est en effet plutôt débridé pour ne pas dire parfois franchement populaire. Ce qui fait ressortir l'énergie de Becky, l'héroïne, et assure une dynamique impitoyable à votre texte. Comment avez-vous conçu le style d'écriture par rapport au fort contenu dramatique ?

Jérôme : De manière purement instinctive, en gardant dans l’esprit qu’un fascicule relève de la littérature populaire. Il ne s’agissait pas de trahir l’esprit du Carnoplaste : « Le premier degré, c’est la subtilité ». De plus, Becky représente le symétrique complémentaire de Bartók (concept fondamental dans sa musique). Le compositeur hongrois est âgé, blanc, calme et réfléchi, natif de l’ancien monde. Becky devait donc être jeune, noire, impétueuse et du nouveau continent. Ça tombe bien, c’est une personnalité qui me parle, ça n’en a été que plus facile…

 

La spectaculaire réception finale, durant laquelle nous rencontrons Eleanor Roosevelt et Einstein a-t-elle quelque fondement historique, ou est-elle pure invention de votre part ?

Jérôme : C’est une invention, basée sur des faits réels. Elle aurait très bien pu exister, la « Raimbow room » ayant accueilli nombre de telles petites sauteries du gratin new-yorkais. Mais sans Eva pour les animer, ces dernières devaient être bien mornes…

 

Jeam : Pour la séquence qui suit, j’avoue pour ma part pas mal recherches de documentation pour dessiner la scène au sommet du « Top of the Rock » autant que faire se pouvait fidele au Skyline de l’Époque : j’en remercie l’auteur d’avoir situé ce « finale » au sommet de ce complexe que je connaissais peu : King Kong (1933) eut son empire State, Superbartock (1940) son Rockefeller !

 

Avec ce premier opuscule, nous n'en sommes donc qu'au premier volume de votre saga. Mais vous continuez les aventures de Bartok jusqu'à son décès en 1945. Quelle est la ligne que vous poursuivez ? Y aura-t-il cette construction en arche chère au compositeur ?

Jérôme : La ligne poursuivie est celle des « monstres astraux », les mystérieux alliés du IIIe  Reich. Dans ce premier opus, on rencontre « le Prince ». Le reste de la famille fera son apparition petit à petit, lors des fascicules ultérieurs, pour un final explosif.

Quant aux formes chères à Bartók… Les cinq parties du premier fascicule sont équilibrées à l'aide du nombre d’or (en utilisant le nombre de signes), comme la Musique pour cordes, percussion et célesta. C’était un calibrage très délicat, qui m'a donné pas mal de fil à retordre !

Depuis le début, je cherche à utiliser la forme en arche (A-B-C-B'-A'). Du coup, les fascicules sont tous organisés en cinq parties. Mais le principe n'est pas appliqué rigoureusement. Dans le fascicule de 1943, année de l'écriture du Concerto pour orchestre, qui utilise cette structure, j'essaierai de respecter cette contrainte !

 

Dernière question, plus traditionnelle. En dehors de la poursuite des aventures bartokiennes, quels sont vos projets, en solo ou à deux ? D'autres cycles musicaux, ou de la pure SF sans musique ?

Jérôme : Le deuxième opus de Bartók est en correction, Jeam va bientôt s'attaquer à la couverture et j'ai hâte de suivre son processus de création. Jeam travaille à la gouache et c'est un réel plaisir de voir ses toiles naître, évoluer peu à peu et cheminer vers leur version finale…

Par ailleurs, je travaille sur un roman d'anticipation, sans musique, programmé pour sortir en 2015. C'est un gros projet. Et juste après, ce sera au tour de la Russie pour le troisième fascicule Bartók !

 

Jeam : Certes, je travaille en traditionnel, mais suis en train de m'initier aux arcanes du Moderne. Le Piano éthérique de la première couverture était déjà venu se superposer à une image peinte, numérisée puis corrigée en numérique. Photo d'un clavier trituré et  transformé, avec adjonction de quelques petites âmes errantes sur les touches. Pour la faire courte : je suis un illustrateur à l'ancienne, mais qui ne néglige pas les outils actuels. J'espère le montrer avec l'image que je commence à travailler pour l'épisode 2. Cela aussi est une grande aventure. Sinon, question projets personnels, je finis en ce moment l'affiche du Salon du Roman Populaire d'Elven, consacré cette année à la Gastronomie, autre sujet primordial pour l'Humanité, avec la Musique.

Mais j'espère revenir très vite à la science-fiction, qui reste l'essentiel

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