Valet de Pique

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Avec Valet de Pique, J.C. Oates nous offre encore une fois un thriller brillant, démontrant s’il en était besoin la maestria qui est la sienne.

 

L’histoire est construite avec des ingrédients connus, et déjà utilisés. Pourtant leur mélange ici est unique. Andrew J. Rush est un écrivain à succès de romans policiers. Son style élégant et politiquement correct lui a valu le surnom de « Stephen King du gentlemen », ce qui suffit à donner le ton.  Avec A.J. Rush, la moralité est toujours sauve. Sa vie de père de famille, dans une petite ville du New Jersey, offre aux yeux du monde la façade lisse et respectable d’un bon citoyen américain. Oui, mais… car il y a un mais, bien sûr. Notre gentil écrivain n’est pas si inoffensif qu’il n’y paraît. Sous le pseudonyme de « Valet de Pique », il signe en effet depuis quelque temps des romans violents, noirs et pervers, écrits au cœur de la nuit, à l’insu de tous. 

Le jour où Haider (encore un nom aux résonnances multiples !), une écrivaine ratée, auteur autopublié de romans policiers et d’horreur, l’assigne en justice pour plagiat, cette belle façade se fissure et menace de s’effondrer. Pourtant cette femme à moitié folle est connue des services juridiques, elle a déjà attaqué notamment S. King pour les mêmes raisons !

Jeux de masques, jeux de doubles, J.C. Oates fait peu à peu monter le suspense par petites touches subtiles. Les références littéraires sont nombreuses, entre E.A. Poe dont le chat noir hante les pages et l’esprit du héros, ou S. King dont la figure revient comme un leitmotiv au fil des chapitres. La mise en abyme est vertigineuse dans ce récit métaphorique, riche en intertextes, jusqu’à cette plongée gothique et fantastique dans ce que j’appellerais « l’antre de la création » pour éviter de révéler l’intrigue, où fiction et réalité se mêlent dans des entrelacs inextricables et hypnotiques.

Finalement, c’est la question même de la création romanesque qui est évoquée, car où est la limite entre plagiat et pure invention, lorsque les idées flottent dans une sorte d’inconscient collectif d’où émergent certaines œuvres et pas d’autres ? C’est sans doute ce qu’il faut comprendre de ce parallèle déroutant : « Elle avait eu des idées inspirées, des idées brillantes (…), mais elle avait été manifestement incapable de les mettre en forme, comme d’autres l’avaient fait avec un immense succès commercial. Meurtre au crépuscule était-il si inférieur que cela à Meurtre à minuit ? ».

 

À travers les pensées de son personnage, J.C. Oates nous livre aussi quelques bribes de réflexion assez dérangeantes : « Être femme mais non féminine ne l’avait sans doute pas aidée dans sa carrière (…). Elle avait espéré s’introduire dans un domaine dominé par les hommes, celui du roman policier américain populaire, ce que peu de femmes ont réussi à faire, et assurément pas une femme affichant l’ego de ses homologues masculins ».

Qu’à cela ne tienne, il faut reconnaître que ces grandes dames du thriller ou roman policier anglo-saxon ont le don de nous entraîner exactement là où elles le désirent : Valet de Pique se lit d’une traite, sans qu’on le lâche une seconde, jusqu’au dénouement fatal.

 

Valet de Pique par Joyce Carol Oates, traduction de Claude Seban, Philippe Rey

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