Supplication (La)

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Svetlana Alexievitch est écrivain et journaliste biélorusse, dissidente soutenue par le PEN Club et la fondation Soros. Née en 1948, elle reçoit en 2015 le prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre, elle est la première femme de langue russe à recevoir cette distinction.

 

Des bribes de conversation me reviennent en mémoire…Quelqu’un m’exhorte :

-  Vous ne devez pas oublier que ce n’est plus votre mari, l’homme aimé qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination. Vous n’êtes pas suicidaire. Prenez- vous en main !

TCHERNOBYL. Ce mot évoque dorénavant une catastrophe écologique majeure. Mais que savons-nous du drame humain, quotidien, qui a suivi l’explosion de la centrale ?

Svetlana Alexievitch nous laisse entrevoir un monde bouleversant : celui des survivants, à qui elle cède la parole. L’évènement prend alors une toute autre dimension.

Pour la première fois, écoutons les voix suppliciées de Tchernobyl.

 

Un évènement raconté par une seule personne est son destin. Raconté par plusieurs, il devient l’Histoire. S. Alexievitch

Quand j’ai reçu La supplication, je pensais que je savais ce qui m’attendait durant cette lecture.

Tchernobyl , nous savons tous ce qui se cache derrière ce mot. Et plus encore les gens de ma génération qui ont vécu cette époque et plus encore les gens qui comme moi ont des origines russes.

Que faisais-je le 26 avril 1986 ? A l’heure de l’explosion, je dormais sûrement, peut-être faisais-je la fête, j’étais étudiante…Très honnêtement je ne m’en souviens pas, étrangement je ne m’en souviens pas… La catastrophe a d’abord été cachée puis minimisée.

Pol Cruchten qui réalisa en 2016 un film adapté du livre de Svetlana Alexievitch a dit qu’il avait lu ce récit d’une traite… Impossible pour moi. J’ai dû m’arrêter à de nombreuses reprises afin de digérer ou de tenter de digérer ce qu’il m’était donné à lire. Les mots dits deviennent alors maudits.

Tchernobyl , personne ne sait ce qui se cache derrière ce mot. Personne ne sait ce que c’est.

On imagine pouvoir picorer à droite à gauche les récits récoltés par Svetlana Alexievitch, sauter des passages qui pourraient paraître redondants ou trop difficiles mais c’est sans compter sur le talent de l’auteur. Elle imprime à son recueil de témoignages une dynamique, une énergie qui fait qu’on ne se sent pas capable de se lasser de ces paroles continues, toutes autour du même sujet, toutes autour de la même douleur… Les douleurs d’un peuple sacrifié.

Il y a toutes les douleurs physiques qui pulvérisent les corps des contaminés et explosent les vies des proches : « Je lui ai soulevé le bras et l’os a bougé, car la chair s’en était détachée…Des morceaux de poumon, de foie lui sortaient par la bouche…Il s’étouffait avec ses propres organes internes. »

Il y a les douleurs physiques et morales des enfants : « Ma fille avait six ans, je la borde et elle me murmure à l’oreille : papa, je veux vivre, je suis encore petite. »

Il a les douleurs des déportés car comment appeler les milliers de personnes à qui on demande de partir sans explication, sans dire que le retour ne sera pas possible, jamais… Jamais ? Comment dans l’esprit de ces gens de la Terre, Leur Terre peut-elle être morte à jamais ? : « Empoisonnée par la radiation ou non, elle reste ma patrie. »

Il y a toutes les douleurs larvées de ceux à qui on a menti, menti, menti… et à qui on a tu les choses. Les conséquences de ces mensonges et ce mutisme claquent comme des balles : « […] j’ai donné mon calot à mon fils. Il me l’a tellement demandé. Il le portait continuellement. Deux ans plus tard, on a établi qu’il souffrait d’une tumeur au cerveau … Vous pouvez deviner la suite vous-même. Je ne veux plus en parler. »

Il y a les morts dont on a peur… : « […] on évite d’enterrer d’autres morts auprès d’eux. »

… Et les vivants qui terrifient. : « Lorsque les filles de ma classe ont su que j’avais la leucémie, elles ont eu peur d’être assises à côté de moi…Peur de me toucher… »

 

Ce recueil est une supplication oui, celle de tout un peuple à qui on a enseigné, durant des siècles, la peur et l’aptitude à survivre à l’horreur dans le silence.

On n’écrit pas sur Tchernobyl, on se tait et on essaie d’oublier l’inoubliable.

Impossible d’apprécier le style de l’auteur dans ce recueil puisqu’elle ne s’y exprime que très peu. Or elle est tout de même présente partout, à chaque page, à chaque ligne, oreille attentive et discrète. Calice respectueux recevant ce flot inépuisable de mots terribles et douloureux.

On ne ressort pas indemne de ce récit, une chose est sûre à la fin de cette lecture on a le sentiment d’avoir touché de l’œil « l’incroyable quantité de mensonges liés à Tchernobyl ». Il est de ces livres que nous devons tous lire et dont nous devons recommander la lecture… tout le temps, pour toujours.

Aujourd’hui « Une agence de voyage de Kiev propose des voyages à Tchernobyl et une tournée au cœur des villages morts… ». No comment.

 

La supplication par Svetlana Alexievitch, traduit par Galia Ackerman et Pierre Lorrain, illustré par Patrick Landmann, Editeur J’ai Lu, prix de vente: 5,80 €, isbn 978-2-290-13599-0

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