Spécial SF suisse : Trois films (partie 1)

Bonjour à toutes et à tous !

Un film récent : Cargo réalisé par Ivan Engler, 2009


Découverte aujourd’hui, quelque peu décevante malgré certaines qualités évidentes, d’un récent film de science-fiction suisse, Cargo, réalisé par Ivan Engler en 2009, récemment sorti en dvd. Le film a bénéficié d’un petit budget, entre 4 et 5 millions de francs suisses, ce qui n’a pas empêché une esthétique de bonne qualité.


Le film adopte un ton très froid, un jeu d’acteurs réduit à presque rien et une esthétique elle aussi glaciale. Un long métrage issu des hautes altitudes alpestres pourrait-on dire...

Dans un futur pas très éloigné, la terre n’est plus viable, trop polluée. La population s’est réfugiée dans une immense station orbitale, gérée par une corporation qui envoie les plus chanceux vers une autre planète colonisée, Rhea. Pour pouvoir se payer un voyage et rejoindre sa sœur, une médecin embarque sur un cargo immense à destination de ce nouvel Eden.

Mais voilà que l’équipage découvre un enfant en léthargie dans les cales… La cargaison n’est donc pas celle annoncée par la corporation. Dès lors, le mystère s’épaissit, d’autant qu’un mouvement terroriste est peut-être à bord, proclamant que la corporation ment, que la Terre redevient viable, qu‘il est temps de redescendre.


Bon départ de scénario qui arrive à tenir ses promesses jusqu’à la fin. Attention, je vous révèle la clé du film, sautez le paragraphe si vous le souhaitez…

En réalité, la colonie Rhea elle n’a pas tenu toutes ses promesses. Sa colonisation a échoué et la corporation ne sait plus quoi faire pour maintenir l’espoir de la population. Alors, le mensonge est organisé. Elle envoie autour d’un lointain soleil des colons endormis dont le cerveau relié à une machinerie numérique permet de fabriquer de faux messages en provenance Rhea, reflétant leur vraie personnalité. Terrible subterfuge que va découvrir l’équipage du cargo.

L’un des meilleures scènes du film, la seule qui apporte enfin un peu d’émotion sensible et utile, est celle où la commandante penaude du cargo tente de justifier auprès de la médecin cet énorme mensonge, cette entreprise titanesque de conservation des corps.


L’aspect assez agréable du film, avec le jeu très retenu des acteurs, fait que les notions de mal et de bien s’estompent au profit de logiques sociales, réalisées par des employés anonymes.
Logique parfois déconcertante… A quoi bon envoy
er les corps des faux colons si loin ? Pourquoi ne pas les garder à proximité en orbite terrestre ? Pour une corporation, voilà bien de l’argent gâché… Sauf à considérer que l’argent n’est pas le souci. Mais il n’est guère possible pour le spectateur d’imaginer une autre économie, puisque la médecin s’embarque sur le cargo pour gagner l’argent nécessaire à payer le voyage jusqu’à la merveilleuse Rhea…

Il y a un illogisme gênant, sans doute uniquement destiné à satisfaire cette envie de filmer un cargo dans l’espace, point de départ du film.


La paresse du scénariste n’est jamais porteuse d’un bon film, jamais. On n’écrit pas un film uniquement pour satisfaire une envie filmique d’images mais aussi pour raconter une histoire qui porte, qui restera dans l’esprit du spectateur.
Pourtant, il me semble que ce thème de l’espoir à tout prix nécessaire, tant pour la société tout entière que l’individu, est prodigieusement intéressant, dictant toute une logique comportementale, qui aurait pu être bien plus développée dans le film, pourtant judicieusement avare de scènes de bagarre.

Je doute même à vrai dire de mon propre avis. Peut-être que ce scénario en fait est prodigieusement juste. Qu’une entreprise privée se confondant avec le politique peut être amené à la pire des extrémités, y compris contre ses propres intérêts à long terme. Que l’irrationalité peut gagner des organisations complexes et conçues pour la rationalité.
De nombreux exemples historiques effectivement le prouve : l’Allemagne nazi privilégiant les convois de déportation pour les camps d’extermination plutôt que les trains de l’armée en guerre, la royauté française catholique exterminant les protestants au détriment de l’économie.

Enfermée dans son mensonge, comment la corporation va-t-elle révéler sa supercherie ? Comme l’explique la commandante du cargo, une fois la terre redevenue habitable - mais dans combien de temps - la corporation compte faire revenir les corps en stase des faux colons, les réveiller et les rendre à leur proches.

D’ailleurs à ce propos, le film me semble assez intéressant sur ce conflit moral entre la corporation et ses opposants politiques, minoritaires et souhaitant réveiller la société humaine survivant en orbite. Certes ils réussissent, détruisent le rêve, révèlent la supercherie, remplacent un espoir pour un autre.

Mais obsédé par la Terre, ils en oublient totalement les millions, le milliard peut-être, d’humains innocents en orbite lointaine, qui ne reviendront jamais. Rien dans le film ne suggère qu’ils seront un jour rapatriés. Pour le mouvement rebelle appelant au retour sur Terre, ils ne sont qu’une arme politique, la preuve ultime qui mettra à bas la corporation.

Libérer l’Humanité de sa torpeur, la ramener sur Terre, suggère donc qu’elle en oublie son rêve d’un autre monde, qu’elle abandonne l’utopie qu’on lui a fabriqué pour la tromper et donc jusqu‘aux individus constituant cette utopie.

Cette leçon de politique fiction est assez vertigineuse…

Paradoxalement, Cargo nous présente une corporation à sens unique, dictatoriale, aux employés en habits militaires, avec de vagues résistants tournant au terrorisme, de manière obsolète à mon avis… Pourquoi d’ailleurs le terrorisme et non une révolte, une grève de la faim, tout autre moyen à imaginer ?

C’est à la fois peu crédible et peu intéressant. Peu crédible car si un film tend à refléter son époque, alors nous sommes bien plus dans un monde complexe, torturé par divers intérêts ou divers groupes sociaux s’affrontent tout en collaborant à l’occasion… Cette corporation gérant unilatéralement toute une Humanité a un goût de théorique, pas de vécu. Nous voilà à nouveau dans 1984...


Cargo me semble là basé sur une narration qui date, même si encore une fois pour un film qui se veut sans doute de genre, il est assez réussi, ne tombant jamais dans le n’importe quoi pathétique.

Voilà bien mon souci de cinéphile, le film de genre, qui contraint ce cargo à ne pas aller aussi loin que son idée de base intéressante pourrait le suggérer.

Un exemple d’image cette fois, très frappant. Cliché absolu de nombre de films spatiaux, les cales, les sombres couloirs du vaisseau cargo sont humides, de l’eau dégouline, l’équipage marche dans des flaques. Pourtant dans le passage entre la partie habitation et la partie cargo, il neige…

D’où une esthétique nouvelle, très plaisante à l’image, alpestre. Malheureusement, à nouveau dans le final, nous retrouvons les sempiternelles flaques d’eau…

Un vrai sens esthétique, l’envie de faire un film original dictait de ne conserver que la neige pour tout le film et d’abandonner résolument cette ambiance façon Alien. Dommage donc que le réalisateur n’ait pas compris ce qu’il avait en main, surtout que techniquement produire de la fausse neige en studio ne représente pas plus de difficulté que de faire pleuvoir.

Il est assez étrange de visionner tant de films actuels au firmament de la technique imagière et basés sur une narration obsolète, sans volonté de cohérence ou d‘imagination débridée, sans grande culture sociologique et politique. La croyance dans la seule image fait des ravages semble-t-il. Cargo n’y échappe pas tout à fait, étant un long métrage se référant à des films hollywoodiens. Heureusement, il bénéficie d’un traitement des personnages, d’un montage bien plus sobre et d’un scénario peu assimilable immédiatement, qui demande réflexion puisque hors du Mal et du Bien.

Péniblement, Cargo s’extirpe de son statut de produit d’Entertainment mais ne parvient pas à devenir à mon sens une véritable œuvre cinématographique. Alors que paradoxalement, la quadrilogie Alien l’est devenue…


Le refus de toute émotion entraîne tout de même un retrait du spectateur. Nous comprenons intellectuellement cette histoire et pouvons en découvrir des subtilités cachées, nous goûtons à l’esthétique parfaite, trop parfaite parfois, nous apprécions certaines bonnes idées. Mais le récit semble ne pas vraiment nous concerner. Dommage. Car le scénario pouvait véritablement conduire à un grand film.

Mais sans émotion, le cinéma n’est rien, rien qu’une coquille vide, un cargo à la dérive.

N’hésitez pas toutefois à visionner Cargo, film imparfait certainement, mais intéressant pour un jour espérer aboutir à un film de vaisseau perdu dans l’espace vraiment novateur, renouvelant le genre que nous aimons tant.

Sections: 
Type: