PAQUET Olivier 01

Auteur / Scénariste: 

Olivier, Bleu argent est votre premier roman jeunesse/young adult. Est-ce que le processus d’écriture a été différent de vos autres romans ?

Sur le processus pas tellement. Je fais partie de ces auteurs qui découvrent l’histoire pendant l’écriture, que ce soit pour adulte ou young adult. Disons que j’ai une histoire avec beaucoup plus de péripéties et que j’ai réduit les moments les plus contemplatifs. Je me sens plus à l’aise avec les héros adultes et j’aime jouer avec le non-dit que cela implique. Dans Bleu argent, les deux adolescents devaient diriger l’histoire alors même qu’ils accompagnent une sorte de Gandalf Kenobi en la personne de Virgile.

 

Cette étiquette peut d’ailleurs paraître un peu étrange, certains personnages du Melkine étant des adolescents sans que le cycle soit considéré comme visant ce public. Est-ce que tout livre proposant une quête initiatique tombe forcément dans la littérature jeunesse ?

Bleu argent est un roman sur les contes et leur pouvoir, j’ai volontairement choisi une forme classique, presque canonique des mythes du héros. On peut y retrouver toutes les étapes. Pour le Melkine, l’optique était différente parce que je savais que l’on découvrirait les mêmes personnages à 30 et 45 ans.

À la fin de la trilogie, on peut mesurer si les héros ont progressé par rapport à leur adolescence. J’imagine mal que ces problématiques appartiennent à la littérature jeunesse. Ces questions ne se posent que pour des adultes (et tant mieux, un adolescent qui se les poserait serait bien ennuyeux).

 

Les deux héros sont des adolescents assez classiques dans leurs attentes et leurs réactions, malgré leur talent. Pensez-vous que Monsieur Tout-le-monde porte en lui des gènes de héros ?

Des gènes de héros ou de salopard, ça fonctionne dans les deux sens. Beaucoup de héros de la vie quotidienne n’ont d’autre pouvoir que leur volonté et les circonstances qui les mettent à l’épreuve. Nous ne sommes pas programmés pour être des héros, les événements nous obligent à faire des choix qui nous transforment.Le super-héros tragique ou dramatique est peut-être un personnage qui regrette de ne pas avoir eu ce simple choix, ses pouvoirs sont une sorte de malédiction l’empêchant d’être uniquement un héros.

  

Dans Bleu Argent, vous mettez en scène une société dont les dirigeants sont prêts à tout pour conserver l’ordre établi, et ce en toute bonne foi. Peut-on y voir une critique de l’engagement politique ?

Une critique de l’aveuglement politique, plus généralement. En réalité, toute institution qui fonctionne convenablement et qui ne s’interroge pas sur les mécanismes permettant au système de perdurer peut conduire au même résultat. Nous vivons tous avec un minimum d’axiomes, de principes, que nous ne remettons pas en cause parce que le coût de cet effort nous apparaît trop élevé.

Chaque habitant de Poéia est confronté à la tragédie qui permet à cette société d’être heureuse. Je reprends en cela la merveilleuse idée d’Ursula LeGuin dans « Ceux qui partent d’Omelas ». À la différence que cette tragédie résulte d’une erreur d’interprétation et de communication.

Ce qui condamne la lignée des Hauts Trameurs dans Bleu argent, ce ne sont pas les sacrifices qu’ils ont imposés, mais leur manque de curiosité. Ils ne peuvent donc qu’être vaincus par le navire qui l’incarne de manière absolue, le Melkine.

 

Lyzia et Joris changent le monde parce qu’ils sont motivés par la réalisation de leur rêve. Vous pensez qu’on peut changer le monde avec des rêves ?

Je ne dirai pas les rêves, mais la volonté. La relation entre Lyzia et Joris est rythmée par les hauts et les bas de leur volonté. Parfois, Lyzia pousse l’action parce qu’elle sait où elle va, tandis que Joris hésite et s’enferme et à d’autres moments, c’est l’inverse. J’ai constamment voulu maintenir ce va-et-vient de leurs tempéraments parce que je ne souhaitais pas que Joris devienne ce type de héros unique avec la fille qui suit et regarde les événements passer. Dans ce couple, chacun a sa partition, son rôle et veut construire son avenir.

Dans le Melkine, les rêves de Théo vont provoquer sa chute et ceux de la Technoprophète vont quasiment entrainer la destruction de l’humanité. Les rêves en tant que tels, je ne les vois pas comme quelque chose de forcément bénéfique. En revanche, ils créent une motivation, ils aident à porter le regard vers l’horizon plutôt que sur ses pieds. Même si le réel finit par nous rattraper, je ne crois pas que ce mouvement aura été vain, il nous aura appris sur nous-mêmes, définissant des priorités que nous ignorions avant d’avoir mis à l’épreuve nos rêves. À la fin, Lyzia et Joris savent pourquoi ils sont arrivés là, cela n’avait rien d’une erreur ou d’un caprice.

Je ne crois pas que les rêves peuvent changer le monde, mais qu’ils sont un bon moyen d’atteindre la vérité sur nous-mêmes.

 

Et qu’est-ce qui vous fait rêver ?

Les étoiles. Je n’irai peut-être jamais dans l’espace, ou alors très vieux, mais ce rêve m’a toujours habité depuis mon enfance. Voir le ciel par une nuit dégagée en montagne, c’est une expérience qui m’a marqué à tout jamais. En ville, on ne peut pas éprouver cette sidération devant la quantité phénoménale d’étoiles.

Je ne conçois pas le rêve de l’espace comme une évasion, une fuite des problèmes terrestres, mais plutôt comme une autre manière de regarder notre monde, notre Terre, afin de prendre conscience que nous faisons partie d’une humanité et pas seulement de peuples dispersés à la surface.

 

La SF est souvent perçue comme délivrant des messages d’alarme ou proposant des contextes anxiogènes. Pourtant, c’est plutôt l’espoir qui se dégage de votre dernier roman. Vous êtes optimiste de nature ?

Pragmatique, je dirais. Si j’observe objectivement le monde, je préfère vivre maintenant plutôt qu’il y a 50 ou 100 ans. L’humanité, pour l’essentiel, vit mieux quand on regarde le moyen ou le long terme. Bien souvent, le pessimisme traduit le sentiment de perdre des privilèges alors qu’ils se diffusent et se modifient. Ce que je trouve terrifiant, ce n’est pas un monde qui change, mais un monde qui stagne. Bien sûr, le changement climatique a un impact majeur sur notre avenir, il met en danger notre survie en tant qu’espèce, mais cela ne causera pas l’extinction de la vie sur notre planète. Des gens se mobilisent, cherchent des solutions, imaginent, réussissent, échouent.

Le problème des récits anxiogènes, c’est qu’ils peuvent finir par nous paralyser. À force de nous promettre l’Apocalypse, pourquoi agir ? Le pessimisme est un luxe de nantis. Même en Irak ou en Afghanistan, les populations sont plus optimistes que les Français. Je n’ai jamais écrit un texte promettant des lendemains qui chantent, ce n’est pas mon truc, mais à la fin de chacun de mes romans, il est plus ou moins dit que tout redevient possible (le bien comme le mal). Je ne pense pas que nous avons besoin d’optimisme, mais de croire que rien n’est définitif.

 

Une question liée à la précédente, vous proposez des héros dépourvus de pouvoir et d’armes, qui réussissent cependant à changer le cours des choses. Ce côté utopique n’est-il pas un peu naïf au regard de ce qui se passe dans le monde ?

Mon premier roman, Structura Maxima, montrait un monde qui s’effondrait parce que chaque camp avait accumulé trop d’armes pour ne pas les utiliser. Poéia est un monde heureux, les armes n’ont aucune raison d’y avoir du pouvoir. En plus, Bleu argent est un conte. Dans le fond, il ne traduit pas une réalité du monde actuel, contrairement au Melkine. Malgré tout, j’ai envie de mettre en scène des mondes où l’intelligence a du pouvoir, où la curiosité est récompensée. Je veux qu’un lecteur retienne qu’en comprenant le monde dans lequel on vit, on peut trouver sa place et de manière harmonieuse.

J’aime l’idée propagée par la série Doctor Who que le Docteur privilégie toujours une autre solution que les armes quand il le peut. L’un des principes de la Trilogie Melkine est que les anciens élèves ne tuent pas. Toute l’humanité est convaincue de ce principe comme s’il était gravé dans du marbre. Il arrive une fois, dans tous les romans, qu’un ancien membre de l’équipage tue une personne, mais de manière si exceptionnelle que le personnage en devient légendaire.

           

De manière générale, le space opera se fait rare ces dernières années. Qu’est-ce qui vous intéresse dans le genre ?

Les grands espaces, le caractère démesuré, l’obligation de tout lâcher, d’exploser le budget d’effets spéciaux. Il existe tellement d’éléments dans le space opera que cela en fait un terrain de jeu immense. On pourrait penser que puisqu’il a été labouré par des centaines d’auteurs, l’endroit est devenu stérile, mais on trouve régulièrement des auteurs capables d’ouvrir d’autres perspectives. C’est totalement inépuisable.

Après, il y a la fascination pour les étoiles, pour le voyage démentiel, le danger permanent et l’inconnu. Le space opéra permet de renouer avec la tradition du récit d’exploration, retrouver les traces de Christophe Colomb et de Marco Polo. Nous nous doutons qu’il n’y a plus de nouveau continent à découvrir sur Terre, alors qu’on découvre des exoplanètes toutes les semaines. Même si nous ne pourrons pas les explorer physiquement, nous pouvons les imaginer et penser autrement la vie.

 

Pensez-vous poursuivre l’exploration de l’univers du Melkine, ou vous tourner vers d’autres domaines, comme la Fantasy par exemple ?

Avec le Melkine, j’ai trouvé mon univers idéal, celui où je peux m’amuser avec les éléments qui me parlent le plus comme les différences culturelles, la communication et l’espace. Je ne compte donc pas l’abandonner. J’ai écrit un ensemble de nouvelles que je réunirai dans un recueil un jour et qui se situent à des périodes variées de ce monde de l’Expansion. Pour l’instant, je n’ai pas d’idée de roman qui me vient, mais on ne sait jamais. Bleu Argent m’a presque surpris.

Il est peu probable que je m’adonne à la Fantasy un jour. Je pourrais créer des univers s’en approchant, cependant ma dynamique, c’est la science-fiction. C’est là où je me sens le plus libre et le moins contraint. J’ai un vague projet qui pourrait être vu comme de la Fantasy, cependant, je sais qu’au cœur de l’histoire, on retrouve un esprit de science-fiction.

 

Beaucoup d’auteurs ont leurs petites manies pour écrire. Quelle est votre méthode d’écriture ? Vous faut-il un environnement particulier ?

Comme je fais partie des auteurs scripturaux, la méthode est assez expérimentale. Je développe et m’adapte en fonction du sujet et des besoins de l’histoire. Je n’utilise pas de plan, mais j’ai un carnet pour chaque roman qui me sert à balancer des notes, des croquis ou des remarques destinées à me guider lors de la réécriture du premier jet. Ma seule concession à l’écriture manuelle.

L’aspect le plus important de mon travail, c’est le rapport à la musique, au rythme. J’écris très rarement dans le silence complet. J’ai des listes de musiques pour m’aider à me concentrer et des musiques d’atmosphère pour des passages précis. Je peux écouter certains morceaux une centaine de fois pour créer la tension nécessaire dans une scène, aussi bien d’action que descriptive.

Sinon, un bon lieu pour écrire : le train. On y est coupé du monde, et le plus souvent d’internet. Ne pas avoir la tentation de regarder Facebook, ou de vérifier ses mails, ça aide.

 

Vous avez créé une planète (Poéia) très originale avec ses anneaux entremêlés. Quand vous imaginez un tel monde, qu’est-ce qui prime avant tout : une certaine plausibilité scientifique ou le « sense of wonder » ?

Avec cette idée d’anneaux entremêlés, je peux difficilement revendiquer une quelconque plausibilité scientifique. Il faut pas mal de prestidigitation pour faire tenir l’ensemble en détournant l’attention au bon moment. Ces tours d’illusionniste me passionnent, m’encourageant à tenter d’aller le plus loin possible en jouant avec les réalités scientifiques, quitte à cacher la poussière sous le tapis.

Pour Poéia, je suis parti de l’idée de la navette Bleu Argent qui tourne autour de l’étoile et qui devait atterrir. Spontanément, j’ai trouvé plus intéressant qu’elle soit observable depuis un anneau monde (je venais de parler de plein de planètes avec la trilogie Melkine, je voulais changer d’atmosphère). Problème, comment créer un cycle jour/nuit avec un anneau monde ? On a la solution de Larry Niven, avec des sortes de caches, mais j’ai opté pour plus radical encore avec un anneau interne qui projette une ombre. Après, je me suis « contenté » d’explorer les contraintes et utilisations de cette structure. Comment s’y déplace-t-on ? Comment s’y repère-t-on ?

Ce qui me motive, c’est que cela m’amuse. Je peux aussi bien être diverti par les exigences de la plausibilité scientifique que par le « sense of wonder », si je peux jouer avec le monde que j’imagine, ça me va. Évidemment, je joue sérieusement, ce qui signifie que je sais précisément où sont les failles, et où je suis à la limite de l’incohérence. Jusqu’à présent, personne ne l’a remarqué, ce qui signifie que je suis un pas trop mauvais illusionniste.

  

Avez-vous des sources d’inspiration privilégiées, des auteurs préférés ? Certains vous ont-ils influencé ?

La source primordiale de mon écriture, c’est le manga et la littérature japonaise. Le manga m’a surtout apporté une grammaire narrative particulière. Il ne suffit pas de parler de samouraïs pour « faire manga », je vois plutôt la bande dessinée japonaise comme un média avec son écriture propre, ses changements de rythme, sa capacité à modifier le niveau de détail du dessin selon le propos, selon ce que l’auteur veut souligner.

           

Un jour, Estelle Faye m’a dit que j’avais un style épuré et évocateur et je pense que je le dois à la littérature japonaise. Kawabata ou Soseki m’ont appris qu’on pouvait décrire précisément une femme, sans se servir de métaphores et la rendre poétique, à travers le choix d’un détail, la précision d’un mot. Évidemment, je suis persuadé qu’il me faudra une vie d’écrivain pour atteindre ces sommets de simplicité, mais c’est une voie qui me plaît.

 

Et pour finir, quels sont vos projets, littéraires et autres ?

En dehors de Bleu Argent, mon autre projet, c’est l’œuvre collective, Rêver 2074, où avec d’autres auteurs comme Jean-Claude Dunyach, Xavier Mauméjean, Joëlle Wintrebert, Samantha Bailly et Anne Fakhouri, nous avons créé une utopie dans le domaine du luxe. C’est traduit en anglais et il y aura tout un tas d’événements autour.

Côté écriture à venir, il y a tout d’abord la réécriture de Structura Maxima en vue d’une republication chez l’Atalante dans le deuxième semestre 2015, et j’écris aussi un nouveau roman qui se déroule cette fois en Europe et mêle ingénieurs et écologiste dans un conflit à coups d’animaux électroniques et d’arbres armés.

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