Royaume désuni

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Les guerres civiles ne sont pas l’apanage des pays du Tiers Monde. Nos sociétés occidentales sont également susceptibles, du jour au lendemain, de sombrer dans le chaos le plus noir si par malheur un concours de circonstances néfastes vient à se produire. Telle est du moins la thèse de James Lovegrove, l’auteur de ce roman d’anticipation, qui applique cette recette à son propre pays, ce royaume anglo-saxon qui n’a dans ces pages plus rien d’uni.

Suite à un « pari malchanceux » perdu par les instances dirigeantes de la nation, qui s’exilent rapidement, la Grande-Bretagne s’écroule, se morcelle en une myriade de communautés coupées les unes des autres. Ces multiples communautés ne tardent pas à régresser à un niveau antérieur de développement et de brutalité. Les forces militaires de la communauté internationale n’arrangent pas les choses en procédant régulièrement à des bombardements censés contrôler les accès de violence des diverses factions en présence, sans parvenir à rien d’autre qu’à accentuer encore davantage les souffrances du peuple des îles britanniques.

Tout commence lorsqu’une bande organisée de voyous, qui se désignent eux-mêmes sous le doux nom de « Bulldogs », investit par surprise le village de Downbourne afin de rafler les plus jolies femmes du cru pour leur jouissance personnelle. Ils les kidnappent violemment et les emmènent avec eux dans leur fief londonien. Moira Morris, l’épouse de Fen, l’instituteur de la bourgade, fait partie du lot.

Alors que leur couple bat de l’aile depuis plusieurs années, Fen prend soudain la folle décision d’aller reprendre son épouse des mains de ses ravisseurs, quoi qu’il lui en coûte. Sans moyen de locomotion, confronté à intervalles réguliers aux risques qui jalonnent désormais le moindre trajet d’envergure en territoire britannique, Fen n’en prend pas moins la route, animé par son rêve fou de regagner le cœur de Moira.

Il va sans dire que rien ne se passera comme il l’imaginait. Contraint de sauter en marche d’une locomotive pilotée par un Indien passablement dérangé, il se blesse grièvement, manque de se faire dévorer par une meute de chiens, avant d’être recueilli par une « secte littéraire » tout entière dévouée à la gloire d’un écrivaillon local. Durant ce temps, Moira va apprendre à s’attacher les grâces du chef des Bulldogs, un « Roi du Con » pas aussi primaire que son surnom pourrait laisser l’entendre…

Le récit oscille en permanence entre ces deux voix - celle qui suit les pérégrinations douloureuses de Fen en direction de l’ancienne capitale du pays, et celle qui nous narre la vie de courtisane à laquelle Moira prend progressivement goût. On peut voir dans la crise que connaît leur union une métaphore de celle que traverse le royaume, sans que l’issue positive de l’une ou l’autre de ces crises soit acquise d’avance.
Lovegrove mène efficacement son récit à travers les multiples écueils qui attendent ses personnages sur leur parcours. Il ponctue l’histoire de quelques références mythiques à « L’homme vert », qui viennent conférer à cette quête une dimension symbolique supplémentaire.

On regrettera en revanche les diverses allusions qui sont faites de-ci de-là à propos de la supposée volonté de la communauté internationale de garder la tête sous l’eau à ce Royaume Uni divisé en le bombardant régulièrement. Ces propos témoignent davantage de la paranoïa de l’auteur et de certains nationalistes britanniques que d’une vérité objective.

Cette réserve mise à part, « Royaume Désuni » se lit sans déplaisir.

James Lovegrove, Royaume Désuni, traduit de l’anglais pas Nenad Savic, 472 p., Bragelonne

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