Frank Miller et Sin City : la forme


Robert Rodriguez avait tellement aimé l’univers de Sin City, dès sa 1ère lecture, qu’il rêvait depuis lors de retranscrire à l’écran chacune des images dessinées par Frank Miller avec son graphisme en noir et blanc si particulier et, grâce à l’apport des nouvelles technologies, il était sûr d’y arriver. Il lui restait encore à convaincre Miller de le laisser faire puis à trouver le casting idéal susceptible de donner littéralement vie à cette incroyable galerie de personnages désespérés aux silhouettes épurées.

Duo à trois

En voulant adapter à l’écran, le plus fidèlement possible, l’univers des romans graphiques de Miller, Rodriguez s’est lancé dans une incroyable aventure. Le résultat final est si proche de l’œuvre originale qu’on a réellement l’impression que les personnages ont trouvé le moyen de s’évader des planches dessinées pour se matérialiser en trois dimensions. C’est un peu comme si le spectateur assistait à une sorte de “projection” de leurs silhouettes mouvantes hors de la page blanche. Cet univers en noir et blanc, est parfois frappé par de rares touches de couleur et découpé en mini-récits qui s’entrecroisent.


Si le film résulte du travail intensif et de l’étroite collaboration entre deux réalisateurs - enfin, presque trois [1] – il n’y a, bel et bien, qu’une seule et même vision de l’univers de Sin City. En partant des romans graphiques, il a tout d’abord fallu trouver de nouvelles idées pour compléter les blancs entre les dessins et étoffer les principaux personnages. Au moment du tournage, Miller s’est chargé plus spécifiquement de la direction d’acteurs sur le plateau, puisque personne mieux que lui ne connaissait aussi bien la psychologie des personnages. Quant à Rodriguez, il s’est principalement occupé de l’aspect technique du tournage, en s’arrangeant toujours pour que le déplacement des acteurs dans le champ et les cadrages de la caméra (proportions, angles de prises de vue, etc) reproduisent le plus fidèlement possible les dessins d’origine, puis du suivi de toutes les étapes de la post-production.

Les trois histoires ont été tournées en totalité et même si certains plans ont, par la suite, été coupés au montage, l’intégralité des scènes tournées se retrouvent dans le DVD qui comprend, outre le montage tel qu’il a été projeté en salles, chacune des trois intrigues en entier sur un CD-Rom séparé. Le spectateur a donc tout le loisir, s’il le désire, de les visionner indépendamment les unes des autres.

Série noire pour nuit blanche



Troublemaker Studios, le propre studio de Rodriguez situé à Austin (Texas), avait déjà sous la main l’équipe technique ainsi que le matériel high-tech nécessaires pour réaliser un film aussi fou et novateur. Cela permit aussi à Rodriguez de pouvoir travailler, en toute liberté, en dehors du système traditionnel des studios hollywoodiens tout en disposant sur place de tout ce qui rendait ce projet possible. Rodriguez a choisi de tourner entièrement en studio sur fond vert et en utilisant les toutes dernières caméras HD disponibles à l’époque. Cela facilitait grandement les choses car cela permettait de ne plus avoir à se préoccuper de la pellicule. Le fait également de tourner entièrement le film en studio sur fond vert, sans avoir d’arrière-plans ni d’éléments perturbateurs, permettait aux acteurs de se concentrer exclusivement sur leur interprétation, voire même de laisser libre cours, le cas échéant, à d’éventuelles improvisations. Les acteurs ont alors commencé à donner vie à Sin City, revêtus de leurs costumes et de leurs maquillages, avec juste l’apport de quelques accessoires. Il leur est aussi parfois arrivé que les partenaires devant leur donner la réplique dans une scène n’étaient même pas physiquement là sur le plateau mais seulement présents de façon virtuelle. Par la suite, les équipes des effets visuels ont ajouté des décors, entièrement créés en images de synthèse et tirés tout droit des romans graphiques, afin que le résultat final corresponde le plus fidèlement possible à l’œuvre de Miller.

La couleur qui tue

Rodriguez ne voulait pas simplement faire l’adaptation cinématographique de Sin City mais, bel et bien, de véritablement transposer les romans graphiques d’origine, quasiment case par case. La clé de la réussite consistait à conserver l’intégrité du travail de Miller. Partant de ce principe de base, Rodriguez décida qu’il n’y aurait pas d’écriture de scénario et qu’il allait directement concevoir le tournage du film à partir de l’œuvre de Miller. Il a alors commencé par effectuer un morphing de ses livres dans leur intégralité, image par image, puis en a fait des storyboards animés. Il a ensuite développé le style visuel du film en images expérimentales tout en continuant à l’ajuster et à l’affiner pendant toute la durée du tournage.


L’idée de départ de cette folle aventure a été de mélanger le photoréalisme avec le graphisme si particulier des dessins de Miller tout en réduisant les différents décors au strict nécessaire. En travaillant, à la fois, sur la photo et la lumière, Rodriguez a joué sur les ombres et les contrastes ainsi que sur les variations des lignes et des silhouettes.
Pour concrétiser à l’écran cet étonnant exercice de style, qui oscille entre théâtralité et esthétisme, il était indispensable de se débarrasser de toutes les nuances de gris se trouvant habituellement dans un film en noir et blanc traditionnel afin de revenir au style d’images que Miller avait dessinées. C’est pourquoi toutes les scènes ont été préalablement tournées en couleurs puis ont été désaturées jusqu’à obtenir un noir et blanc net ce qui permettait ensuite de pouvoir remettre à tout moment de la couleur en post-production. Il devenait alors possible d’utiliser la couleur comme une “arme”, un outil de narration à part entière. C’est ainsi que Goldie semble jaillir de l’écran avec ses cheveux blonds ou que Roark Jr. se retrouve avec la peau jaune. En outre, lorsqu’on voulait souligner la souffrance d’un personnage, on poussait alors sa couleur au rouge. Cela permettait également d’atténuer l’extrême violence de certaines séquences en faisant du sang un liquide blanc, tel qu’il était représenté dans les dessins de Miller, ce qui rend du coup sa visualisation très abstraite.

City of crime

Les décors de Sin City ont d’abord été élaborés par les équipes de Troublemaker. Par la suite, afin de développer de façon subtile un style visuel particulier et distinct pour chacune des trois histoires, Rodriguez a fait appel à trois différents studios d’effets spéciaux extérieurs, chacun d’entre eux prenant en charge l’une des trois histoires. C’est ainsi que Hybride Technologies s’est chargé des 735 plans de Sin City (l’histoire de Marv et Goldie), Café FX des quelques 600 plans que comprend Le Grand Carnage (l’histoire de Dwight) et The Orphanage des 600 plans de Cet Enfant De Salaud.
Dans une BD, les expressions faciales sont systématiquement exagérées. Quant aux émotions et aux sentiments, ils sont exprimés de façon outrée par les traits du visage et les mouvements du corps. De plus, le trait de Miller, qui frôle en permanence la caricature, n’est vraiment pas facile à reproduire à l’identique. Pour respecter le style de Miller, on a donc utilisé des prothèses et des maquillages spéciaux réalisés par KNB EFX, la plus grosse difficulté étant de donner aux nez cassés, cicatrices et autres mentons carrés, un aspect aussi naturel que possible. Pour transformer Mickey Rourke en Marv, on a commencé par scanner la tête de l’acteur et, à partir de là, on a créé cinq prothèses faciales différentes afin de trouver celle qui fonctionnerait le mieux. Son maquillage, qui demandait quotidiennement un temps de pose de 2 h et demie, se composait d’un faux nez et de sourcils, réunis en une seule prothèse, ainsi que d’un faux menton et d’une perruque. Venaient se rajouter à cela différentes blessures sur son visage, suivant les coups qu’il encaisse, ce qui demandait alors encore plus de travail aux maquilleurs. Pour l’ensemble du casting, environ 70 maquillages différents ont été conçus, de la pose des prothèses de base au faciès lacéré par les coups de griffes de Kevin, en passant par les masques destinés aux doublures de Rourke.


Pour le visage d’Hartigan, on a utilisé une technique à base de maquillage fluorescent appliqué sur ses cicatrices qui, à l’image, ne donnent pas un rendu de couleur rouge sang mais blanc exactement comme dans le roman graphique.

Pour la création de Roark Jr., transformé en une créature démoniaque et pourrissante, on a commencé par sculpter plusieurs bustes différents afin de pouvoir travailler sur les détails, depuis les rides sous les yeux à la forme et à la position des oreilles ainsi que du nez. On a ensuite créé pour Nick Stahl une prothèse complète de sa tête qui était mise en place avant d’être recouverte d’une barbe de plusieurs jours. On a également sculpté un torse et un ventre complets en mousse pour les séquences où il apparaît dénudé. On a également conçu une sorte de veste en mousse de latex qu’il revêtait pour simuler le ventre distendu de la créature.

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