Fabrique des salauds (La)

Auteur / Scénariste: 
Traducteur: 

Si je devais résumer ce pavé de presque 900 pages en une phrase, ce serait :

Un Forrest Gump à la sauce nazie, dans une ambiance proche des Bienveillantes de Jonathan Littell, porté par une écriture à la John Irving.

La fabrique des salauds raconte la vie peu ordinaire de Koja, Allemand de Lettonie, ainsi que de ceux qui l'entourent. De Riga en 1905 jusqu'à Berlin en 1974, c'est tout le vingtième siècle qui est décrit, avec les événements majeurs qui l'ont émaillé. Esthète à la morale fluctuante, fou d'amour à deux reprises, flanqué d'une famille hautement dysfonctionnelle, Koja fait ce qu'il faut pour survivre, coûte que coûte.

Nazi par hasard, espion par opportunisme, assassin par lâcheté, cet antihéros flamboyant se confesse au soir de sa vie à un pauvre jeune hippie qui n'a rien demandé et qui en paye le prix, donnant lieu à des passages d'un humour absurde et caustique qui contrebalancent la violence psychologique d'autres parties du livre. Basti, le hippie, est l'archétype de l'innocent qui apprend les exactions nazies, soviétiques, etc, et qui voit sa candeur disparaître peu à peu.

Koja croise au fil des années tout un tas de personnages historiques (Himmler, Heydrich, Yolkien, Shimon Peres...) qui influent sur son destin à des degrés divers. Sa vie offre le prétexte parfait pour explorer la montée du nazisme dans les pays baltes, la guerre et la construction laborieuse d'Israël et de la RDA/RFA.

L'écriture, truffée de références artistiques (poésie, littérature, peinture...) est très exigeante et demande une concentration importante. Il faut s'accrocher ! Les phrases, souvent longues, sont néanmoins belles et fluides. La fabrique des salauds n'est pas un roman que l'on peut lire distraitement sur la plage, il demande que le lecteur s'investisse corps et âme dans ses pages. Ce qui fait que l'on se prend régulièrement d'énormes gifles avec certains passages.

Car Koja est amoral, abject et monstrueux. Il en a conscience et tente vainement, tout au long du livre, de trouver une forme de rédemption. Ou, a minima, de compassion. Il en devient émouvant à plusieurs reprises, dans sa recherche effrénée de justifications d'actes injustifiables.

Car, en plus d'être une fresque historique monumentale, La fabrique des salauds dépeint avec maestria les affres de l'amour, avec deux personnages d'une grâce lumineuse (Maja et Ev). Elles parsèment le roman de miettes de pureté, malgré leurs actions.

Tout comme Les bienveillantes, ce livre fait partie de ceux qu'il faut lire plusieurs fois pour réussir à les digérer complètement. C'est un tour de force littéraire dont on ne sort pas indemne.

 

La fabrique des salauds de Chris Kraus chez Belfond, ISBN 978-2714478528, prix 24,90 €

Sections: 
Type: