Ceux qui boivent pour oublier sont priés de payer d'avance

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D’abord il y a Thibaud, un éducateur spécialisé pour ados en marge, qui s’enfonce de plus en plus dans l’alcool.Puis il y a Némo Mondragón, le policier flanqué d’un collègue trop bavard, qui enquête sur ces femmes qu’on retrouve massacrées chez elle. Violées, tabassées, elles ont expié leurs fautes dans la douleur et l’humiliation.Tandis que le premier témoigne, à la première personne, du désespoir de sa chute irrémédiable entre pertes de mémoire et tragédie sociale, le second décortique les vies des victimes pour tenter d’y trouver un point commun.Une histoire de trahison, de vérités de comptoir, de dérive sociétale et de bons mots éthyliques. Une histoire pour comprendre que l’oubli n’est pas une rédemption. 

Je ne manque jamais un roman de Nick Gardel ; je suis sûre d’y trouver mon compte, tout aussi bien en termes de fond que de forme. Son dernier, Ceux qui boivent pour oublier sont priés de payer d'avance n’échappe pas à la règle, j’ose même dire que c’est un très bon cru. Le titre, en premier lieu, donne le ton dès le départ, du roman mais aussi de l’auteur, pour ceux qui ne le connaîtraient pas. Car Nick Gardel est un amoureux des jeux de mots, des tournures bien balancées et de l’humour fin. Sa patte est inimitable et reflète l’homme qu’il est au quotidien. Mais le fond aussi révèle cet homme, plein d’humanité, mais toujours lucide et critique. Comme dans ses autres romans, il nous offre une galerie de personnages aux portraits incroyablement bien brossés et réalistes. Qu’ils soient loufoques, drôles, attachants, dignes, humbles, ou bien encore pitoyables ou même foutrement mauvais, on sent l’attachement que l’auteur leur porte, le regard acéré qu’il jette sur eux et la fine analyse psychologique qui en découle. Les personnages sont souvent, voire presque toujours, les éléments principaux de ses romans. Ensuite viennent les dialogues, qui font mouche, sont toujours soignés, je dirais même ciselés, et qui regorgent de jeux de mots, d’allusions, de clins d’œil aux copains, de références littéraires, musicales ou cinématographiques. Nick Gardel ne donne jamais dans la facilité et c’est toujours un régal que de se plonger dans de nouvelles aventures truculentes issues de son imagination.

Tout cela est bien beau mais semblerait quelque peu vide de sens si le fond n’était à la hauteur de la forme. Et là aussi l’auteur maîtrise son sujet. L’intrigue, solide, repose sur une enquête bien huilée, rondement menée et dont les rouages s’imbriquent parfaitement. Les bases et les codes du polar sont bien là et le déroulement de l’enquête, assorti de moult détails scientifiques, ravira les fans du genre. Enfin, la peinture sociale, toujours présente elle aussi, revêt cette fois un aspect vécu frisant le témoignage puisqu’elle touche à son quotidien d’enseignant spécialisé au sein d’une jeunesse en marge du système scolaire. Sans oublier l’autre thématique importante abordée : l’alcoolisme. La narration double nous donne deux points de vue différents dont celui de Thibaud, qui s’exprime à la première personne, et nous paraît bien proche de l’auteur en apportant une touche criante de vérité.

Un très bon roman donc, parfois violent et glauque, mais empreint d’une certaine poésie, certes désenchantée, et sauvé d’une noirceur totale par l’humour et un brin d’espoir. Un excellent cru à consommer sans modération !

 

Parue sur Beltane (lit en) secret

 

Ceux qui boivent pour oublier sont priés de payer d'avance, Nick Gardel, autoédition18,00 €

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