Abarat

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En rédigeant « Le Voleur d’Eternité » (1994), Clive Barker – représentant le plus illustre du mouvement « splatterpunk », aux visions sombres et torturées, n’hésitant pas à chanter les louanges des plaisirs sado-masochistes et des mutations corporelles les plus extraordinaires - avait déjà fait la preuve de son aptitude à imaginer des histoires destinées au jeune public. Cette première incursion dans le genre ne déméritait aucunement vis-à-vis des ouvrages du même acabit issus de la production littéraire visant la jeunesse contemporaine. Le premier tome d’« Abarat » (paru pour la première fois en langue anglaise en 2002) creuse aujourd’hui ce sillon prometteur, tout en lui conférant une autre dimension, plus en phase avec la créativité bouillonnante de son auteur aux multiples talents (écrivain, cinéaste, peintre…).

Le récit, illustré par Barker lui-même, nous transporte dans un archipel fabuleux, l’Abarat, composé de vingt-cinq îles – une pour chaque heure du jour et de la nuit, plus une dernière où tous les mystères du lieu ont, paraît-il, leur solution. L’héroïne du roman, la jeune Candy Quackenbush, se trouve projetée dans cet univers de magie - où elle sera amenée à côtoyer des êtres plus étonnants les uns que les autres, à vivre des aventures ébouriffantes, à voyager d’île en île par voie maritime ou aérienne, sur le dos de phalènes gigantesques ou de créatures marines douées de parole, etc. - alors qu’elle ne supporte plus l’existence insipide qu’elle mène en compagnie de sa famille déglinguée dans la morne ville de Chickentown, perdue quelque part dans un recoin isolé de l’Amérique profonde.

C’est en prêtant main forte à un sympathique personnage dénommé John Canaille (qui porte sur les bois de cerf qui ornent son crâne le visage de ses sept frères minuscules, particulièrement loquaces !), poursuivi par le terrifiant Mendelson Morphe, que Candy fait surgir en plein Minnesota une mer venue d’un autre monde - la mer d’Izabella - qui la conduira au loin jusqu’à l’Abarat.

John Canaille est en réalité un célèbre brigand qui a dérobé au personnage le plus inquiétant de l’archipel, un certain Christopher Gangrène, qui inhale en permanence un liquide bleu empli de visions cauchemardesques, une clé mystérieuse que celui-ci désire à tout prix récupérer. Gangrène a ainsi lancé Morphe aux trousses du brigand, qu’il a pisté jusque dans l’Outremonde – notre réalité. Contrarié dans ses visées maléfiques par l’intervention providentielle de Candy, Gangrène s’efforce dès lors de la capturer, de manière à l’interroger sur son monde et ses desseins.

Mais Candy peut compter sur le soutien d’une poignée de fidèles compagnons qui l’initient progressivement aux arcanes de cet univers tout à la fois terrifiant et fascinant. Un univers auquel, en tout cas, Candy semble s’accommoder avec une aisance qui en surprend plus d’un. Comment expliquer la familiarité qui la caractérise au contact de cette dimension parallèle, aux lois si différentes de celles opérant sur notre planète ? C’est ce que nous découvrirons probablement dans le second tome de cette série. Les bases du monde où se dérouleront les futures aventures de Candy et de ses comparses ont été posées par Barker avec le talent qu’on lui connaît. Il lui reste maintenant à prolonger sa création, à lui donner toute l’épaisseur qu’elle mérite.

Alors, le Minnesota n’est pas le Kansas et la mer d’Izabella n’est pas une tornade, mais on pense forcément au « Magicien d’Oz » en parcourant ces pages. Dans les deux cas, l’héroïne abandonne bien volontiers un quotidien en noir et blanc pour s’évader joyeusement dans un univers bariolé, comportant autant de créatures qu’il existe de dégradés dans un arc-en-ciel. C’est tout émerveillé qu’on suit la dérive de Candy au sein de ce décor psychédélique, peuplé d’une foultitude de personnages fréquentables ou non, mais toujours stupéfiants.

Candy choisira-t-elle de quitter l’Abarat ou bien décidera-t-elle de regagner Chickentown ? Christopher Gangrène obtiendra-t-il ce qu’il convoite ? John Canaille échappera-t-il à la maréchaussée ? Il faudra s’armer de patience avant d’avoir la réponse à toutes ces questions (et à bien d’autres !). Attendre bien sagement la parution de la suite des aventures de Candy Quackenbush au sein des horizons illimités de l’Abarat…

Clive Barker, Abarat, traduit de l’anglais par Hélène Collon, Coucerture : Clive Barker, 442 p., Livre de poche

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